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fer, les preux du christianisme dorment couchés sur la dalle funéraire. L'humilité de leur suprême attitude rachète l'orgueil de leur vie. Quel autre langage parlent à l'âme les spectacles funèbres de l'antiquité !

C'était le soir. Le couchant empourprait de ses reflets les deux files sépulcrales de la voie Appia. Rien ne rend la solennité d'aspect qu'offre alors cette partie de l'Agro romano, coupée par des tronçons d'aqueducs, dominée au sud-est par les coteaux d'Albano. Les lignes sévères de l'horizon encadrent deux rangées de tombeaux, débris, çà et là gigantesques, qui virent passer le char du triomphateur.

On s'oublie aisément en ces lieux. Semée de ruines, hautes parfois comme des tours dont elles affectent la forme, la plaine ondulée et verdoyante s'étend à l'horizon que la mer cerne vers Ostie d'un ruban d'azur. A l'herbe qui revêt, drue, vivace, les mouvements du terrain, on dirait les tumulus d'un immense cimetière, le suprême asile des légions ensevelies:

Agricola, incurvo terram molitus aratro,
Exesa inveniet scabra rubigine pila,

Aut gravibus rastris galeas pulsabit inanes,
Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris '.

Tels sont les mirages de la tradition reflétés dans une âme prophétique, et qui grandissent le spectre du passé.

1. VIRGILE, Géorgiques, liv. I, v. 494-497.

Mais ces amplifications du réel par la légende, loin de les proscrire, il faut les recueillir comme un témoignage de la vérité idéale, au fond la plus vraie, parce qu'elle est la plus étendue.

Il ne s'agit pas pour nous de réduire aux proportions de l'humanité les demi-dieux et les héros. Cette œuvre n'est plus à faire la critique a dès longtemps dépouillé des voiles du mythe toutes les figures de l'histoire. Gardonsnous toutefois d'un autre écueil, la tendance à supposer que ces personnages, agents d'ordinaire inconscients des plus grandes révolutions, percevaient en sa clarté l'idée qu'ils symbolisent, le progrès qu'ils ont servi, mais qui ne se posait pas dans leur pensée avec la rigueur d'un théorème. Ne l'oublions pas quand nous opposons les penseurs de la Renaissance aux défenseurs de l'idée chrétienne, catholiques ou protestants. S'il est vrai de quelques-uns qu'ils n'ont pas reculé devant une affirmation contraire, la majorité, leurs protecteurs surtout, flottaient dans un de ces compromis involontaires, prolongeant dans les âmes l'empire des croyances les plus ébranlées.

Ainsi, au Vatican, dans la Camera della Segnatura, la Dispute du Saint-Sacrement fait face à l'École d'Athènes: un commun idéal inspira ces deux compositions commandées à Raphaël par Jules II, comme pour rendre la fusion qui parut s'opérer entre le symbolisme catholique et le dogme platonicien. Pour orthodoxe que soit la glorification du mystère eucharistique, les groupes

qui entourent le Saint-Sacrement dans une savante harmonie se joindraient-ils sans disparate aux sages du paganisme majestueusement ordonnés sur la paroi opposée autour de Platon et d'Aristote? Sans doute, tant les Saints ressemblent aux Sages, par l'harmonie des poses, le calme de la ligne, l'auguste sérénité des physionomies! Ces docteurs, ces ascètes, Platon, Aristote, les reconnaîtraient pour compagnons. Tels les philosophes, les artistes de la seconde Renaissance reprirent la tradition antique, hellénisant le christianisme, dont la plupart des penseurs de ce temps subissaient sans protestation ou respectaient l'empire.

Le Moyen-Age, lui, avait tenté de christianiser les éléments issus du paganisme qu'il recueillit pieusement. Ce fut l'œuvre d'une première Renaissance commencée au onzième siècle et terminée à Pétrarque, à Boccace, précurseurs immédiats des Ficin et des Pomponat. Mais, loin d'être, comme on l'a cru, séparées par une opposition radicale, ces deux époques se tiennent. La seconde est un prolongement naturel de la première, dont elle n'eut qu'à épurer les clartés un peu troubles.

Platon s'endort à Sunium. Perdus entre deux azurs, des abîmes bleus de l'éther au miroir irisé d'Amphitrite, ses yeux se ferment. Ce songeur qui rêve éveillé, mais dont les imaginations sont toujours sereines, même quand il se figure les monstres de l'Hadès, il voit se dresser des spectres bizarres. Le cauchemar déploie sur lui ses ailes de vampire. Son regard se trouble: il ne

reconnaît plus les prés aux beaux platanes, l'antre aimé des nymphes, le bois auguste où le sage cause avec les dieux. Sur un ciel de plomb, dans la nue, le Triangle de feu darde un reflet de sang sur le val de Josaphat. Des rocs livides, où seul l'aigle se pose, jusqu'au fond du ravin, le signal a retenti, le sol ébranlé par le clairon terrible vomit la phalange des morts, non plus le thiase des ombres tournoyant aux accords de la lyre sur les pelouses de l'Élysée, mais des squelettes dont les mâchoires claquent d'un rire strident, dont les os se choquent sous le suaire, au râclement du rebec, dans le vertige d'une danse macabre.

Telle fut, sans doute, l'impression des sages qui protestèrent contre le christianisme, à son avènement. Ils ne comprirent pas qu'une fois consacré par Constantin comme force sociale, ils devaient subir en lui la forme populaire du monothéisme, par eux dégagé de l'Olympe d'Homère et de Phidias. Ils pressentirent seulement que par cette doctrine le monde entrait dans un cycle inconnu d'angoisses et de contrainte.

Le Moyen-Age a un double aspect de naïveté et de recherche, d'ascétisme et de violence. S'il apparaît sous les traits d'un Ferragus colérique et sanguin, n'est-il pas aussi l'escholier rachitique et meurt-de-faim de Montagu?

Le rêve de la chair vaincue, du réel réduit par l'abstrait, fut celui du Moyen-Age. A ces obsessions l'Esthétique doit des horizons, la Logique des développements

nouveaux.

L'expression simple manque pour rendre l'esprit de ces temps compliqués, où la passion argumente en baralipton le pédantisme est barbare; la barbarie, pédante.

Alors un nouveau latin (lingua volgare) émerge de l'autre, de la vieille langue adultérée par le contact des barbares, pliée par l'instinct populaire aux besoins nouveaux de la civilisation. Si le Verbe se transforme ainsi dans la bouche des illettrés, serfs et seigneurs, paysans et citadins, c'est que, par une connexion nécessaire entre la faculté d'expression et la faculté pensante (gos, en grec, c'est raison et parole), se modifie la raison, le rapport commun des choses: idées, sentiments, institutions. Une ère nouvelle s'est ouverte l'ère catholique et féodale après celle de l'antiquité hellénique dont Rome, en devenant la cité universelle, répandit dans le monde occidental l'esprit civilisateur. Comme lien d'unité morale, au lieu des patriotismes locaux absorbés et énervés dans l'immensité de l'empire, le Catholicisme met une croyance, la Chevalerie un point d'honneur, la Corporation le sentiment de la dignité du travail, la Commune un civisme bourgeois qu'on trouve à Gand comme à Toulouse, à Florence comme à Lubeck.

Des mœurs réellement générales associent tous les occidentaux. Troubadour, trouvère, minnesinger, chantent Dieu, les dames, la croisade. Il y a des cours d'amour en Provence, en Champagne, aux bords du

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