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Luigi Pulci, dans sa Beca, le prend, lui, sur un ton moins sérieux :

«Ma Beca est seulement un peu petite et elle boite, seulement tu t'en aperçois à peine. Elle a dans l'œil une tache, mais telle que, si tu ne la regardes pas, tu ne l'aperçois point. Elle a à sa petite bouche un poil qui te semblera proprement de la barbe. Elle est blanche comme un vieux quattrino; seulement, il lui manque un mari comme moi. »

Ces églogues amusaient la belle société florentine, intéressée par les amours de Vallera et de Nuto, comme, aux derniers jours de l'ancien régime, nos grands seigneurs, marquis, financiers, l'étaient par Lucas et Colette. Ils applaudissaient les paysanneries de Sedaine, les j'étions, les jarniguié de ses sensibles manants.

CHAPITRE XVI.

(LUIGI PULCI.

LE MORGANTE MAGGIORE : 1. LE BON GÉANT.]

Issus d'une vieille souche florentine, et familiers des Médicis, les trois frères Pulci furent des poètes. Bernard chanta Simonetta, maîtresse de Julien, et traduisit les églogues de Virgile. Luca, entre autres ouvrages, est l'auteur d'un poème chevaleresque assez curieux, le Ciriffo Calvaneo. Luigi, le plus jeune, né en 1431, mérite par son Morgante une place à part parmi les libres esprits du temps: il dépassa leurs licences. Le Saint-Office frappa d'interdiction ses Sonnets joyeux et facétieux, composés pour rire, en collaboration avec Matheo Franco.

Aussi bien l'esprit et le ton de la pièce suivante justifient-ils la sévérité du sacré tribunal.

Luigi Pulci a un suo amico, per ridere.

<< Ceux qui disputent si fort sur l'âme, se demandant par où elle entre et par où elle sort, ou si elle est comme le noyau dans la pêche, ont fait ces études enfoncés dans un grand melon. Ils allèguent Aristote et Platon; ils veulent qu'elle repose en paix au milieu des sons et des chants, et ils te mènent

un branle qui t'ahurit la tête de confusion.

L'âme n'est, comme on l'a dit, qu'une confiture de pignons dans un pain blanc et chaud, ou une carbonnade dans un pain fendu. Qui écrit autre chose, a la cervelle brouillée. Et ceux qui à chacun ont promis cent, nous payeront des châtaignes bouillies au marché. Quelqu'un qui a été dans l'autre vie, et ne peut plus y retourner, me dit qu'à peine y peut-on aller avec une échelle. Ceuxlà croient trouver là-bas becfigues, ortolans pelés et bon vin doux, et lit de plumes bien remué, et ils vont droit aux moines. Pour nous, Pandolfe, nous irons dans la vallée obscure, sans plus entendre chanter: Alleluia ! »

Comment les œuvres les plus riantes, les plus diaphanes de tissu; comment les imaginations d'un Pulci, d'un Arioste se jouant de la nature et de l'histoire, du réel et de l'idéal; comment cette raillerie de tous les sérieux, furent-elles couvées par le platonisme austère et mystique? La muse, qui la première enfourcha l'hippogriffe, qu'a-t-elle à revendiquer dans l'idéalisme de Ficin? Serait-ce ce sentiment qui, sous forme ironique, concorde avec le mépris de Marsile pour le concret et le changeant? cette fantaisie amusante et amusée, spiritualisant, à force d'humeur légère et de mouvement, la chair même qu'elle aime? Serait-ce le lutin soufflant dans les pipeaux d'Arioste les bulles d'une poésie impalpable et charmante, diaprée comme un arc-en-ciel de mille tons fondus et fugitifs?

«Tout ici-bas est fait de l'étoffe d'un rêve1,» semblent dire, avant le Prospero de Shakspeare, les chantres de

1. SHAKSP., La Tempête, acte IV, sc. 1.

Morgante et de Roland, amusant, et à leur manière moralisant leur époque avec les types de l'épopée chevaleresque, librement interprétés.

Luigi Pulci fut disciple de Ficin; le grave platonicien passa même pour avoir collaboré à son œuvre.

L'érudition a démontré que la légende héroïque du Moyen-Age est issue de la France du Nord. Les trouvères de la langue d'oïl furent les rapsodes de l'épopée chevaleresque. Traduits ou imités par les romanciers d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, ils peuplèrent les imaginations « d'enchantements, querelles, batailles, défis, » blessures, cartels, amours, tourments et disparates >> impossibles ». Mais laissons parler le chevalier de la Triste Figure, cette dernière incarnation du type catholico-chevaleresque ridiculisé par le catholique et chevaleresque Cervantes 3.

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« Llenósele la fantasía de todo aquello que leia en los libros, así de encantamentos como de pendencias, batallas, desafíos, heridas, requiebros, amores, tormentas y disparates imposibles. Y asentósele de tal modo en la imaginacion que era verdad toda aquella máquina de aquellas soñadas invenciones que leia, que

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1. Voy. Hist. de la Langue française, par M. LITTRÉ; Paris, Didier, 1863. - T. I, De la poésie épique dans la Société féodale, p. 256-301. 2. Don Quijote de la Mancha, part. I, cap. I.

3. « Il se remplit de tout ce qu'il lisait dans ces livres enchantements, querelles, batailles, défis, blessures, cartels, amours, tourments et disparates impossibles; et il les casa si bien dans son imagination, qu'il prenait pour vérité toute la contexture des songes et des inventions qu'il lisait. Pour lui, il n'y avait pas d'histoire plus certaine dans le monde. Il disait que le Cid Ruy Diaz avait été un très-bon chevalier, mais qu'il n'y avait pas de comparaison entre lui et le chevalier de l'Ar

para él no habia otra historia mas cierta en el mundo. Decia él que el Cid Ruy Diaz habia sido muy buen caballero; pero que no tenia que ver con el caballero de la Ardiente Espada, que de solo un rèves habia partido por medio dos fieros y descomunales gigantes. Mejor estaba con Bernardo del Carpio, porque en Roncesvalles habia muerto á Roldan el encantado, valiéndose de la industria de Hércules cuando ahogó á Anteon el hijo de la Tierra entre los brazos. Decia mucho bien del gigante Morgante, porque con ser de aquella generacion gigantea, que todos son soberbios y descomedidos, él solo era afable y bien criado. Pero sobre todos estaba bien con Reinaldos de Montalban, y mas cuando le veia salir de su castillo, y robar cuantos topaba.....

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C'est ainsi que Cervantes traite les héros de l'ère catholique et féodale. Son livre, hostile à l'esprit des Croisades, qui l'animait encore, lui, le soldat de Lépante, serait une double inconséquence s'il n'avait pas respecté de tout point, comme il la partageait, la théologie du Moyen-Age.

Aussi son chef-d'œuvre immortel, si profond comme investigation de la vie, comme étude de l'idéal et du réel qui s'opposent, le Don Quichotte arrête scrupuleusement sa critique devant le dogme religieux s'imposant

dente Épée, qui d'un seul revers avait coupé par la moitié deux féroces et prodigieux géants. Il admirait plus encore Bernard de Carpio, parce qu'à Roncevaux il avait occis Roland l'enchanté, usant de l'expédient d'Hercule, quand il souleva entre ses bras Antée, fils de la Terre. Il disait beaucoup de bien du géant Morgante, parce que, bien qu'il appartînt à cette race des géants, toute superbe et scélérate, seul il était affable et bien né. Mais entre tous il tenait en estime Renaud de Montauban, surtout quand il le voyait sortir de son château et piller tout ce qui lui tombait sous la main... »

(Don Quichotte de la Manche, Ire partie, chap. 1.)

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