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ASTOR, LENOX AND TILDEN FOUNDATIONS

AVANT-PROPOS.

Je me trouvais à Madrid en novembre 1833, peu de temps après la mort de Ferdinand VII, au moment où l'Espagne commençait sa révolution. C'était un de ces moments, rares heureusement dans la vie des peuples, où leurs vices comme leurs vertus sont mis en relief, et où l'on prend, pour ainsi dire, en les étudiant, la nature sur le fait. Mais, pour comprendre cette révolution que j'avais sous les yeux, il me manquait un point de départ : c'était de connaître l'histoire du peuple espagnol.

Au milieu de ces innombrables réactions politiques que l'Espagne a traversées depuis trente ans, il m'importait de savoir quels éléments avaient dominé dans la lutte, quelles lois historiques s'étaient prononcées ; de connaître enfin ce qui n'avait pas changé, même au milieu de ces gouvernements qui changeaient tous les jours, c'est-à-dire le caractère du peuple et la constitution même de la société espagnole.

Dans le peu que je savais de l'histoire de l'Espagne, j'avais toujours été frappé de l'étroite alliance qui exista de tout temps entre la royauté, le clergé, et le peuple, le bas peuple j'entends: car l'aristocratie et le tiers-état, depuis qu'il y a un tiers état en Espagne, étaient dans l'autre camp. Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, les instincts du peuple me semblaient en contradiction avec ses intérêts. Même après trois siècles d'oppression, la monarchie était demeurée pour lui chose sainte et populaire : menacée par l'étranger, elle venait encore de rallier autour d'elle tous les enthousiasmes du pays; mais, en même temps, le dévoûment à la monarchic se trouvait en quelque sorte séparé de la personne du monarque; on l'aimait sans s'enquérir de ses vices ou de ses vertus; on se dévouait au trône sans savoir même qui était assis dessus. Et puis, cette noblesse espagnole, que je m'étais figurée si fière et si hautaine, je la trouvais la plus simple et la plus populaire que j'eusse encore rencontrée en Europe; bien loin de chercher à tracer entre le peuple et elle une ligne de démarcation, elle aimait à descendre à son niveau, à frayer avec lui, à se faire bourgeoise et roturière comme lui; ou plutôt ce n'était pas elle qui descendait, c'était l'homme du peuple qui montait jusqu'à elle, sans effort et comme de plain-pied. Je trouvais dans l'artisan, dans le laboureur, des façons d'agir et de parler qui m'étonnaient : avec ses supérieurs, il traitait d'égal à égal, sans effronterie comme sans bassesse, tout en leur sachant gré de cette déférence, en homme qui la méritait. Chez une nation si long-temps asservie, je voyais cent fois plus de dignité naturelle que dans les citoyens de bien des états libres. Chez ce peuple si monarchique, qui adorait son roi comme sa religion, sans oser les regarder en face, je rencontrais

des habitudes toutes républicaines, un sentiment profond de la dignité de l'homme; une indépendance presque farouche, mais calme cependant, car elle n'était pas révolte, mais droit. Enfin, chez ce peuple si religieux, je voyais le clergé, les moines surtout, partout accueillis, mais sans être ni respectés, ni craints, ni obéis, royauté déchue qui n'était plus même assez redoutable pour qu'on songeât à s'en délivrer.

Tout ceci était pour moi une énigme, dont l'histoire du peuple espagnol pouvait seule me donner le mot. Je me mis à l'étudier, avec l'ardeur d'un homme qui, entouré d'étrangers, sent qu'il lui manque, avec leur langue, comme un sens de plus pour entrer en contact avec eux. Mais, cette histoire, j'en demande bien pardon aux historiens des deux derniers siècles, pour l'étudier, il fallait la faire car les pompeuses périodes de Mariana, la pieuse crédulité de Ferreras, et jusqu'à la vaste érudition de Masdeu, étaient pour moi lettre morte. Sous ces faits, qu'on me racontait au lieu de les juger, je cherchais des idées; sous tous ces effets, j'aurais voulu voir des causes. Je m'enquérais de la marche des institutions, et c'est à peine si le nom de Cortes était prononcé dans les pages de ces monarchiques et dévots écrivains. Je parlais Chartes et Fueros, on me répondait conciles et miracles: il n'y avait pas moyen de s'entendre.

C'est alors que je résolus de rédiger pour moi-même une courte esquisse de l'histoire des institutions de l'Espagne, destinée à me servir de clef pour l'intelligence des faits qu'assez d'autres avaient pris la peine de raconter. L'Espagne pour moi ne commençait qu'aux Goths: c'est donc par le code Gothique que j'entamai mon travail, persuadé qu'une époque

dont il reste un code et des conciles, finit toujours par se comprendre.

Et, en effet, à mesure que je m'enfonçais dans ce travail, ces ténèbres, si épaisses d'abord, s'éclaircissaient peu à peu; les annales de la monarchie gothique, qui étaient restées jusque là pour moi un obscur et indéchiffrable chaos, prenaient tout d'un coup un sens et un intérêt que je ne leur avais même pas soupçonnés. J'avais trouvé le fil pour me guider dans ce dédale, et l'étude des faits, qui m'avait d'abord paru si rebutante, venait rendre à son tour à l'étude des institutions le sens et la clarté qu'elle en avait reçus.

Bientôt je m'aperçus que, les institutions et les faits n'étant que les deux faces d'une même médaille, c'était en vain qu'on s'efforçait de les séparer, et que, pour faire en conscience cette histoire de la civilisation espagnole que j'avais rêvée, il en coûterait juste autant de travail que pour écrire celle de l'Espagne tout entière. Et puis, je me dis que ce même besoin de faire l'histoire d'Espagne pour la lire, d'autres l'avaient éprouvé comme moi, et qu'après tout, l'on me saurait peut-être quelque gré d'essayer de combler cette la

cune.

Je m'accoutumai peu à peu à l'effrayante idée d'entreprendre une histoire complète de la Péninsule, idée que six mois plus tot j'aurais repoussée comme insensée ou comme puérile; à force de contempler les difficultés de ma tâche, je me familiarisai avec elle; je m'en exagérai même les obstacles, ne fùtce que pour augmenter l'élan qui me poussait à les vaincre; et c'est ainsi que je me trouvai engagé, entre la difficulté d'avancer et la honte de reculer, dans une de ces voies sans is

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