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ANALYSE

DU SIXIÈME LIVRE.

La découverte de M. Mai n'ajoute rien à l'admirable fragment, qui nous était resté de ce sixième livre ; mais elle en fait mieux connaître le prix, par la comparaison de cet éloquent épisode avec les autres parties de l'ouvrage, dont il était comme le terme et le couronnement. C'est là que Cicéron, en discutant le principe du sentiment religieux, et en posant le dogme de l'immortalité de l'âme, avait cherché le dernier germe de la vie des sociétés. Quel caractère auguste et solennel dans un semblable entretien, prolongé entre les premiers génies de la république romaine, quelques jours avant la mort violente du plus illustre d'entre eux! Ne devait-il pas sembler que Scipion, en exprimant à ce moment une conviction sublime sur la nature impérissable de l'âme, avait eu le pressentiment de cette fin soudaine, qui allait l'enlever au monde, et que ses paroles empreintes

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1 Quod item Scipioni videbatur, qui quidem, quasi præsagiret, perpaucis ante mortem diebus, cùm et Philus, et Manilius adessent, et alii plures, triduum disseruit de re publicâ; cujus disputationis fuit extremum de immortalitate animorum : quæ se in quiete per visum ex Africano audîsse dicebat. (Cic. de Amicitia, cap. iv.)

d'une tristesse majestueuse, et bientôt après consacrées par sa mort, étaient restées dans le cœur de ses amis, non-seulement comme le dernier conseil1 d'une si haute sagesse, mais comme la seule consolation égale à la douleur de sa perte et à la gloire de sa vie.

C'est là cette belle manière de promulguer les vérités morales qui appartient à l'antiquité. Ce sont là ces rapprochements pathétiques et simples qui lui étaient familiers. Socrate condamné, et près de boire la ciguë, au milieu de quelques disciples en pleurs, s'occupe d'établir avec la raison la plus lumineuse les preuves de l'immortalité de l'âme. Scipion, le premier des Romains par la grandeur de ses actions et de son génie, élevé, à force de gloire, au-dessus même des caprices de l'inconstance populaire, Scipion, discutant avec d'illustres amis, dans la sécurité d'un noble repos, les destinées et les révolutions des États, se livre tout à coup à des idées plus hautes, et expose ce dogme de l'immortalité de l'âme, que les religions grossières de l'antiquité n'affirmaient pas, et qu'il avait appris, dans un songe mystérieux, de la bouche de son immortel aïeul, et de son père Paul-Émile. Dans quelques jours Scipion ne sera plus: une main invisible, un crime obscur frappera ce grand homme, dans l'asile de sa maison, au milieu du respect et de l'amour des Romains mais, tous les sentiments qu'il exprimait naguère, ce dogme sacré, cette foi d'un avenir immortel,

1 Qui numeros optimatum et principum obtulit his vocibus, et gravitatis suæ liquit illum tristem et plenum dignitatis sonum. (Nonius, voce tristis.)

en paraîtront plus vraisemblables. N'est-ce pas sur la tombe récente de l'homme vertueux, ou du grand homme, que l'on est plus invinciblement forcé de croire à la céleste origine de l'âme? Telles étaient, ce semble,. les impressions nobles et touchantes, dont Cicéron, dans le dessein de son ouvrage, avait voulu entourer cette doctrine qu'il avait reçue de Platon, et qu'il voyait dans son temps attaquée par les sophismes de César et des autres corrupteurs de la République. Si on se souvient en effet que César, dans le sénat romain, pour défendre les complices de Catilina', soutint que les opinions sur la vie future étaient des fables, et que tout finissait à la mort, on sentira combien Cicéron avait besoin de combattre une doctrine qui s'annonçait pour servir de protection aux coupables et d'instrument aux ambitieux.

Cicéron a plus d'une fois reproduit cette idée; plus d'une fois il s'est plaint qu'on avait préludé, par l'avilissement des auspices, à la destruction des lois et de la République2. Lui-même il remplissait les fonctions d'augure; il en était fier; il les avait vivement souhaitées. Et cependant, tous ses traités philosophiques ne sont qu'une spirituelle et longue dérision du polythéisme et il a fait exprès son dialogue de Divinatione, pour tourner en ridicule la vanité des augures, et la

1 De pœnâ possum equidem dicere in quod res habet in luctu atque miseriis mortem ærumnarum requiem, non cruciatum esse; eam cuncta mortalium mala dissolvere; ultra neque curæ, neque gaudio locum esse. (Sall. de Conjur. Calilin. c. LI.)

2 Eversores hujus imperii, auspicia quibus hæc urbs condita est, quibus omnis res publica atque imperium tenetur, contempserunt. (Pro Sextio.)

sotte crédulité du vulgaire. Cette contradiction dans la vie d'un grand homme mérite un examen curieux; elle tient de près à l'histoire même de la civilisation romaine, sur le point si important des croyances religieuses.

Montesquieu, dans une courte dissertation, a saisi d'une vue ferme et pénétrante ce qu'il appelle la politique des Romains dans la religion. Il lui semble que, dès l'origine, le culte des dieux avait été dans la main des chefs de l'État, un instrument de pouvoir et d'influence habilement dirigé, un calcul d'ambition et d'adresse fondé sur l'ignorance du peuple. A cette explication viennent se lier les traditions de l'histoire, qui nous représentent Romulus pratiquant déjà la science des augures, Numa pliant le génie des Romains à toutes les cérémonies d'une piété superstitieuse. Mais, si la religion fut, dans Rome païenne, une invention et un ressort de la politique, elle devait y subir des mutations fréquentes, et changer comme cette politique même. Comment supposer en effet que les croyances, qui avaient utilement secondé le pouvoir des rois, aient pu s'allier également aux formes de la république? Et que veut dire Montesquieu, quand, après avoir montré les premiers souverains de Rome soigneux d'asservir en tout la religion à la politique, il ajoute : « Le culte et les cérémonies qu'ils avaient institués, <«< furent trouvés si sages que, lorsque les rois furent «< chassés, le joug de la religion fut le seul dont ce << peuple, dans sa fureur pour la liberté, n'osa s'affran« chir. » L'explication de ce problème embrasse toute

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