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seignemens que lui ont fournis quelques personnes éclairées du pays, et dans un manuscrit arabe de l'an 778 de l'hégyre, qui répond à l'année 1378 de l'ère chrétienne : en voici l'apperçu.

Avant la conquête, l'agriculture, dans le royaume de Grenade, étoit parvenue au plus haut point de perfection. Les nombreuses ruines qui sont éparses sur les montagnes, attestent que ces parties froides, et aujourd'hui stériles, qui occupent plus des deux tiers de la province de Grenade, étoient anciennement couvertes de plantations d'arbres fruitiers, de moissons abondantes et de belles forêts. La plaine, plantée en mûriers, donnoit une grande abondance de soie; et la partie des montagnes situées derrière la ville, fournissoit assez de blé pour sa consommation. Les riches mines de ces montagnes étoient ouvertes, et quoiqu'imparfaitement exploitées, elles donnoient une si grande quantité d'or et d'argent, que ces deux métaux étoient plus communs à Grenade que dans aucun autre pays de l'Europe. Jamais peuple policé n'entendit mieux que les Maures, la méthode des irrigations pour fertiliser les campagnes. Dans la ville, il n'y avoit pas une maison qui n'eût sa conduite d'eau, et toutes les rues étoient arrosées par des fontaines.

La population répondoit à la richesse du pays. Chaque Maure avoit une portion de terre qui lui étoit assignée, et qui suffisoit pour son habitation, sa subsistance, son entretien, et pour la nourriture même de soù cheval; car chaque homme étoit obligé d'en entretenir un. Plus d'une fois les rois de Grenade ont fait passer en revue jusqu'à deux cent mille hommes; et la seule ville de Grenade, contenant quatre-vingt mille ames, pouvoit mettre sur pied trente mille fantassins et dix mille cavaliers.

Aux détails intéressans où entre l'auteur arabe sur la richesse extraordinaire des cultures dans toute l'étendue du royaume de Grenade, il en ajoute d'autres qui le sont autant sur la manière de vivre des Maures. Outre les grains de toute espèce qu'on recueilloit dans ce pays fortuné, il

produisoit une quantité prodigieuse de fruits, et il s'en faisoit, en verd et en sec, une consommation presque incroyable. Les fêtes, les danses, les chants annonçoient de toutes parts la prospérité des habitans: l'élégance, la profusion, la magnificence dans la parure des femmes, ajoutoient à leur charme naturel. L'auteur arabe les dépeint d'une petite taille, mais bien prise, faisant un trèsgrand usage des parfums les plus exquis, et portant les délicatesses du luxe au dernier excès.

Quant à la magnificence des édifices, on peut en juger par les restes de l'ancien palais des rois de Grenade, l'Alhambra, quoique Charles-Quint ait fait commencer un magnifique édifice sur les ruines d'une partie de cet ancien palais, qui tire son nom de la couleur des matériaux, le mot alhambra signifiant en arabe une maison rouge. Situé sur une haute montagne qui domine Grenade, ce palais forme, par son étendue, une véritable ville. L'architecture extérieure n'a rien de comparable à celle du palais commencé par Charles-Quint, laquelle, pour la pureté du dessin, l'élégance des ornemens, la grandeur du style, surpasse infiniment tout ce qu'en ce genre on a fait depuis en Espagne. Mais lorsqu'on tourne ce nouveau palais, et que l'on pénètre dans l'intérieur de l'ancien par une porte dénuée de tout ornement, et qui est placée dans un angle, on se croit transporté tout-à-coup, dit Swinburne, dans un pays de féerie : il faut recourir à la description qu'il en a faite, pour en prendre une juste idée, je n'en donne ici qu'une foible esquisse. C'est un assemblage immense de colonnes, d'arcades, de galeries, de voûtes, la plupart de marbre ou de stuc, chargés d'ornemens de la plus grande délicatesse. Les plus belles mosaïques, de riches dorures, des peintures qui ont conservé toute leur fraîcheur, décorent une multitude de salles destinées à divers usages. Une profusion d'eaux, distribuées avec la plus grande intelligence, des plantations d'orangers, des groupes de fleurs, des points de vue enchanteurs ménagés avec le plus grand art, achèvent de faire de ce palais un lieu d'enchante

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ment: c'est à-peu-près tout ce qui, à Grenade, reste de son ancienne magnificence. La gloire de ce royaume, dit Swinburne avec une expression amère, s'est évanouie avec ses anciens habitans.

Les rues de la capitale sont engorgées par la boue; les aqueducs sont presque réduits en poussière; toutes les forêts sont détruites; le territoire est totalement dépeuplé, le commerce entièrement perdu.

Lors de l'expulsion des Maures, qui porta un coup si funeste à la monarchie espagnole, ceux d'entre eux qui excelloient dans l'art de travailler la soie, de conduire les eaux, de les distribuer, avoient eu la permission de rester dans le pays de puissans protecteurs l'avoient procurée à d'autres. Cette tolérance avoit conservé à la province de Grenade quelques hommes industrieux. En 1726, linquisition, du consentement du gouvernement, s'empara de trois cent soixante familles accusées de professer en secret le mahométisme, et confisqua leurs biens, estimés douze millions de piastres (plus de 60 millions tournois), dont elle n'a jamais rendu compte. Cette tyrannique exécution a fait tomber à cent mille livres pesant le produit de la soie, qui, auparavant, s'élevoit à dix millions six cent mille livres de poids. D'une autre part, la côte de Grenade, qui produisoit autrefois une énorme quantité de sucre qu'on exportoit à Madrid, n'en donne plus que ce qu'il en faut pour le pays et ses environs trois moulins seulement travaillent, encore sont-ils en mauvais état. Cette diminution est l'ouvrage des droits trop considérables qu'on a mal-adroitement mis sur cette branche de commerce (1). Le gouvernement, dit Swinburne, doit

(1) Ce que Swinburne dit ici de l'abandon presque total de la culture de la canne à sucre, ne doit s'appliquer qu'à celle partie de la province de Grenade: car il nous apprend lui-même ailleurs, qu'à l'extrémité de cette province, entre Malaga et Gibraltar, il y a onze moulins à sucre qui travaillent de temps immémorial; il ajoute que suivant la tradition, ce sont les Arabes qui ont apporté la canne à sucre en Espagne,

d'autant plus gémir de l'erreur qu'il a commise, que dans certains endroits, les cannes à sucre s'élevoient à la hauteur de neuf pieds, et acquéroient une grosseur proportionnée on assure même que c'est de Grenade que les premiers plants de cannes furent portés aux Indes orientales, et le peu de sucre qui se fait encore dans ce royaume, égale pour le grain et la qualité, le sucre des îles Antilles.

Quelque dégradation qu'ait éprouvée la ville de Grenade, la pureté de l'air, la douceur de la température, l'abondance de l'eau, qui, dans plusieurs maisons, passe par de petits canaux jusques dans les chambres à coucher, rendent encore le séjour de cette ville extrêmement agréable. Ses environs sont rafraîchis par une infinité de petits ruisseaux, et sont parfumés par les délicieuses odeurs que des vents frais y apportent de tous les jardins disposés sur la pente des montagnes voisines. Des promenades formées sur les bords enchanteurs du Xenil, ajoutent leurs frais ombrages aux charmes naturels du pays: lous les points de vue sont frappans. Les femmes de Grenade ont encore tous les agrémens que leur prête l'auteur arabe: elles ont la carnation plus belle, la peau plus fine, les joues colorées par une teinte plus brillante, qu'en aucun endroit de l'Espagne, et leur manière de s'habiller concourt encore à les rendre infiniment piquantes.

En quiltant Grenade, Swinburne dirigea sa marche vers Antequerro, assez grande ville située dans une plaine très-fertile; et il arriva par un pays entièrement dépouillée de bois à Malaga, dont le séjour, à cause de sa situation au pied de montagnes nues et raboteuses, devient presque insupportable, par l'excessive chaleur qu'on y éprouve : elle est telle, qu'on assura à ce voyageur qu'il étoit presque impossible d'y respirer en été. La rade et le port de cette ville sont assez sûrs, et le seront encore davantage, lorsque le môle neuf aura été prolongé dans la mer jusqu'à l'endroit projeté. La cathédrale de Malaga est un édifice imposant. Les deux tours, qui n'étoient pas terminées lorsque Swinburne s'arrêta à Malaga, étoient déjà d'une

hauteur prodigieuse, et l'on se proposoit d'y ajouter un ordre. L'intérieur de l'église est tout-à-la-fois agréable et majestueux.

On comploit alors environ quatorze maisons de commerce établies à Malaga, qui exportoient cinq mille pipes de vin par an. Ce n'est que la moitié de la quantité qu'on en exportait autrefois. Comme les droits en Angleterre, où sont les plus grands consommateurs, sont les mêmes pour les vins vieux et les vins nouveaux, ceux qui les exportent ont mis moins de choix ans la qualité des vins qu'ils envoyent, et il en a résulté moitié moins de demandes. Les grappes dont on fait les raisins destinés à être mis en caisse (c'est une branche capitale du commerce de Malaga), sont coupées vers le milieu de la tige: on les laisse quinze jours au soleil pour les sécher et cuire, puis on les encaisse : c'est de ces mêmes grappes ainsi préparées et qu'on presse, que se fait ce vin ambré si renommé dans toute l'Europe.

Pour ne rien laisser à desirer d'important sur la province de Grenade, j'ai cru devoir rapporter ici, mais dans la forme d'un simple apperçu, ce que Peyron a ajouté de plus remarquable à la relation de Swinburne : je le détache de l'ouvrage de Peyron, pour n'y plus revenir dans l'extrait que je donnerai de cet ouvrage.

La province de Grenade, dit-il, a soixante et dix lieues de long, sur trente de large: ses quatre principales rivières, dont deux sont des fleuves, puisqu'elles ont leur embouchure dans la mer, ne sont pas fort considérables; mais on trouve presque à chaque pas des sources d'eaux vives qui arrosent la campagne, la couvrent de fleurs et de verdure, et tempèrent l'excessive chaleur du climat. Ces ruisseaux ont leurs sources dans des montagnes fort élevées, dont la province de Grenade est entrecoupée, et qui forment des vallées délicieuses. Parmi ces montagues, celles qu'on nomme les Alpaxares sont si hautes, que de leur sommet on découvre la côte de Barbarie et les villes de Tanger et de Ceuta. La chaîne de montagnes a dix-sept

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