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le discours débité, un ennemi n'aurait pas manqué de l'observer.

Les Gracques, César, Caton, Scipion, étaient de très-grands orateurs, c'est-à-dire dans la langue républicaine, de très-grands hommes d'état. Il faut avouer aussi que l'éloquence de pareils hommes, qui réunissaient une ame forte, un esprit cultivé et de grands intérêts, devait produire des chefs-d'oeuvre ; et que ce que l'on nomme éloquence dans ceux à qui la vanité d'être imprimés inspire la prétention d'écrire, et qui rajeunissent des lieux communs pour être loués dans un journal, doit s'appeler de la rhétorique. Hommes L'homme passionné est le véritable orateur. Aussi passionnés, plus élo- j'oserai dire que la grande éloquence, parmi les quents que modernes, se trouve bien plutôt dans nos belles

les autres. tragédies que dans les oraisons funèbres ou dans

les panégyriques, dont les auteurs, en supposant qu'ils écrivent avec goût et sans enflure, ne peuvent guère être que des hommes diserts, de beaux écrivains, et jamais des hommes pleins de la chose dont ils parlent, ce qui est la seule manière d'être vraiment éloquent. La lettre de Brutus à Cicéron est certainement le plus beau morceau que l'antiquité nous ait laissé cependant Brutus ne croyait pas faire un ouvrage ; il épanchait une ame libre et indignée, et rien n'est au-dessus de ce qu'il écrivait. Dans le siècle qui suivit celui d'Auguste, le panégyrique de Pline, et les écrits de Sénèque, furent des ouvrages

d'esprit, des productions de rhéteurs; on n'y trouve aucune trace du style républicain. La trempe des esprits avait changé le gouvernement.

Pour revenir à Tite-Live, dont les harangues ont occasionné cette digression, ces harangues sont si belles, que leur censeur le plus sévère serait sans doute bien affligé qu'elles n'existassent pas. On peut croire d'ailleurs, sur ce que je viens d'exposer, que ces grands hommes qu'il fait parler dans son histoire ont souvent puisé dans leur ame d'aussi grands traits, que ceux que leur attribue le génie de Tite-Live, et ont dû même produire de plus grands effets de vive voix, qu'il n'en produit sur le papier.

La réputation de Tite-Live s'étendit fort loin, même de son vivant, s'il est vrai, comme on le dit, qu'un habitant de Cadix, qui, dans ce temps, était pour les Romains une extrémité du monde, partit de son pays uniquement pour voir TiteLive, et s'en retourna aussitôt après l'avoir vu. S. Jérôme, dans une lettre à Paulin, dit trèsheureusement à ce sujet : « C'était sans doute une <«< chose bien extraordinaire, qu'un étranger, en<«< trant dans une ville telle que Rome, y cherchât « autre chose que Rome même. >>

On ne sait que trop que nous avons perdu une grande partie de ses ouvrages, ainsi que de ceux de Tacite. Ces pertes, si déplorables pour ceux dont les lettres font le bonheur, ne seront probablement jamais réparées.

Les Douze Césars. 1.

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chez

On l'accuse de faiblesse et de superstition, parce qu'il rapporte très-exactement et très-sérieusement une foule de prodiges. Je ne sais s'il Prodiges en faut conclure qu'il les croyait. Ces prodiges importants étaient une partie essentielle de l'histoire dans les anciens. un empire où tout était présage et auspice, et où l'on ne faisait pas une démarche importante sans observer l'heure du jour et l'état du ciel. Je crois bien que du temps d'Auguste on commençait à être moins superstitieux; mais le peuple l'était toujours, et ceux qui le gouvernaient n'en étaient pas fâchés : c'est un esclavage de plus auquel ils l'accoutumaient; et même de tout temps le sénat avait plié la religion et les auspices à ses intérêts. Les livres des Sibylles, que l'on ouvrait de temps en temps, étaient évidemment comme les centuries de Nostradamus, où l'on trouve tout ce que l'on veut. Ces notions suffisent pour nous persuader que Tite-Live et les autres historiens se croyaient obligés de ne rien témoigner de ce qu'ils pensaient de ces prodiges, et se souciaient fort peu de détromper personne. Ce n'est pas pourtant que je voulusse assurer que Tite - Live n'avait sur ce point aucune crédulité; je dis simplement que ce qu'il a écrit ne peut pas être regardé comme une preuve de ce qu'il pensait. Il est très-possible qu'avec un beau génie on croie à la fatalité et à la divination. On soupçonnerait volontiers, en lisant Tacite, qu'il croyait à l'une et à l'autre.

Avant que de parler de ce grand homme, le De Salluste. plus sublime de tous les écrivains de l'antiquité, jetons un coup d'œil sur Salluste qui l'a précédé, que quelques anciens (1) ont nommé le premier des historiens Romains, avant que Tacite existât, et qui a conservé dans la postérité un rang très - distingué. Quintilien et Patercule le comparent à Thucydide, et le même Quintilien compare Tite - Live à Hérodote. Je serais tenté de croire que l'admiration que les Romains avaient pour la littérature grecque, et ce vieux respect que l'on conserve pour ses maîtres mettaient un peu de préjugé dans les avis de Quintilien, qui, d'ailleurs, était un esprit sage et éclairé. Quant à nous autres modernes, qui avons une égale obligation aux Grecs et aux Latins, il me semble que nous préférerions Tite- Historiens Live à Hérodote, et Salluste à Thucydide, par supérieurs la raison que les deux historiens latins sont de aux Grecs. bien plus grands coloristes que les deux historiens grecs. Les couleurs de Tite - Live sont plus douces; celles de Salluste sont plus fortes: l'un se fait admirer par sa profusion brillante, l'autre par sa rapidité énergique. Il est vrai que Salluste s'est proposé pour modèle la sage précision de Thucydide, et l'on dit même qu'il avait

(1) Entre autres, Martial, qui dit en termes exprès :

Crispus Romaná primus in historia.

latins,

beaucoup emprunté de cet auteur. Salluste, dit Quintilien, a beaucoup traduit du grec. Il faut apparemment que ce soit dans les autres ouvrages qu'il avait composés et que nous avons perdus. L'on sait qu'il avait écrit une grande partie de l'histoire romaine. Mais, en imitant la précision de Thucydide, il lui donne beaucoup plus de nerf et de force, et Quintilien lui-même fait sentir cette différence. « Dans l'auteur grec, «< dit-il, quelque serré qu'il soit, vous pourriez << encore retrancher quelque chose, non pas sans « nuire à l'agrément de la diction, mais du « moins sans rien ôter à la plénitude des pen«sées. Mais, dans Salluste, un mot supprimé, « le sens est détruit et c'est ce que n'a pas << senti Tite-Live, qui lui reprochait de défigu« rer les pensées des Grecs et de les affaiblir, « et qui lui préférait Thucydide, non qu'il ai<«< mât davantage ce dernier, mais parce qu'il <«<le craignait moins, et qu'il se flattait de se « mettre plus aisément au-dessus de Salluste, « s'il mettait d'abord Salluste au-dessous de Thucydide.

Ce morceau fait voir que Tite - Live, dont on croit volontiers les mœurs aussi douces que le style, était pourtant capable des injustices de la jalousie tant il est vrai que, pour se mettre au-dessus de ce vice attaché à l'imperfection humaine, il ne suffit pas du grand talent, qui est rare; il faut une grande ame, qui est qui est plus

rare encore.

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