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cès du crime, la pâleur de l'innocence et l'abattement de la vertu ; il peint tellement tout ce qu'il a vu et souffert, que l'on voit et que l'on souffre avec lui: chaque ligne porte un sentiment dans l'ame. Il demande pardon au lecteur des horreurs dont il l'entretient; et ces horreurs même attachent tellement, qu'on serait fâché qu'il ne les eût pas tracées. Les tyrans nous semblent punis quand il les peint. Il représente la postérité dans tout ce qu'elle a d'auguste et d'imposant; et je ne connais point de lecture plus terrible pour la conscience d'un mauvais

roi.

On a dit qu'il voyait par-tout le mal et qu'il calomniait la nature humaine. Il ne pouvait au moins calomnier les temps où il a vécu. Et peuton dire que celui qui nous a tracé les derniers moments de Germanicus, de Baréa, de Thraséas; enfin, que le panégyriste d'Agricola ne voyait pas la vertu où elle était? Ce dernier morceau, cette vie d'Agricola est le désespoir des biographes; c'est le chef-d'oeuvre de Tacite, qui n'a fait que des chefs-d'oeuvre. Il l'écrivit dans un temps de calme et de bonheur. Le règne de Nerva qui le fit consul, et ensuite celui de Trajan, le consolaient d'avoir été préteur sous Domitien. Son style a des teintes plus douces et un charme plus attendrissant; il semble qu'il commence à pardonner. C'est là qu'il donne cette leçon si belle et si utile : « L'exemple d'Agricola,

dit-il, nous apprend qu'on peut être grand << sous un méchant prince, et que la soumission << modeste, jointe aux talents et à la fermeté, « peut donner une autre gloire que celle où sont « parvenus des hommes plus impétueux qui « n'ont cherché qu'une mort illustre et inutile ■ à la patrie.

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Tacite épousa la fille de cet Agricola dont il a écrit la vie, et qui fut un des plus grands hommes de son temps. Il fut étroitement lié avec Pline le jeune, et plusieurs lettres charmantes de cet ingénieux écrivain, sont des témoignages de leur amitié et de son admiration pour Tacite. Il n'y a pas bien long-temps que son mérite supérieur commence à être senti. Des rhéteurs outrés dans leurs principes, des pédants qui ne connaissaient point d'autre manière d'écrire que celle de Cicéron, nous avaient accoutumés dans le siècle passé à regarder Tacite comme un écrivain du second ordre, comme un auteur obscur et affecté. C'est à de pareilles gens qu'il faut citer Juste-Lipse, que, d'ailleurs, Jagement je n'aurais pas choisi pour garant. Voici ce qu'il dit en assez mauvais style, mais fort sensément : ⚫ Chaque page, chaque ligne de Tacite est un trait de sagesse, un conseil, un axiôme : mais il est si rapide et si concis, qu'il faut bien de «la sagacité pour le suivre et pour l'entendre. Tous les chiens ne sentent pas le gibier, et tous les lecteurs ne sentent pas Tacite. >>

de Juste

Lipse."

De Quinte-
Curce.

De Justin.

J'ai déja dit un mot de Quinte-Curce. On ne s'accorde pas sur le temps où il vivait les uns le placent sous Auguste, d'autres sous Vespasien, d'autres sous Trajan. Freinshemius a suppléé les deux premiers livres de son ouvrage et une partie du dernier. Le style de Quinte-Curce est très-orné. Il excelle dans les descriptions de batailles. Sa fameuse harangue des Scythes est un chef-d'œuvre. On le soupçonne de s'être permis dans l'histoire de son héros beaucoup d'embellissements romanesques : cette accusation ne paraît pas fondée. Il ne dissimule aucune des mauvaises qualités et des fautes d'Alexandre; et, quant à la vérité des faits, si l'on consulte une dissertation de Tite-Live sur le succès qu'aurait eu ce conquérant, s'il eût porté ses armes en Italie, on verra que les Romains s'étaient procuré de très-bons mémoires sur ce prince, lorsqu'ils conquirent la Macédoine.

Les abréviateurs peuvent former une seconde classe d'historiens. Je parlerai d'abord de Justin, à cause de l'étendue et de l'importance de son ouvrage. Il vivait sous les Antonins.

Nous avons de lui l'abrégé d'une histoire universelle de Trogue-Pompée, absolument perdue pour nous. Si on nous l'eût conservée, nous saurions plus précisément comment les anciens concevaient le plan d'une histoire universelle, et quelle idée ils en avaient. Bossuet n'a jamais prétendu en faire une. Les cent premières pages

de son discours, qui contiennent un résumé de l'histoire ancienne, sont très-belles et pleines de la dignité antique; le reste est d'un théologien plutôt que d'un historien philosophe. L'abrégé de Justin doit nous faire penser que le nouveau système d'histoire introduit par la philosophie n'était pas celui des historiens de l'antiquité. Depuis que tous les esprits sont tournés vers la législation et l'économie politique, ce que nous recherchons le plus dans une histoire, c'est l'étude des mœurs, des coutumes, des lois, que nous voulons comparer avec celles de nos jours; et cette comparaison est vraiment intéressante. Notre curiosité sur cet objet ne trouve pas beaucoup à se satisfaire dans les historiens du siècle passé, ni même dans ceux de ce siècle, en exceptant l'Abrégé chronologique de M. le président Hénaut, qui, dans sa marche rapide, ne laisse pas de s'arrêter de temps en temps sur les variations importantes et sur ce qui fait époque dans les mœurs de la nation. Il faut excepter surtout l'Essai sur l'histoire générale, qui, comme je l'ai dit ailleurs, est le tableau le plus vaste que jamais l'éloquence ait offert à la raison.

Ce n'est pas que nous n'ayons des écrivains. qui se sont principalement occupés de nos anciennes coutumes, et des changements dans nos mœurs telles sont les recherches de Pasquier, de Baluze, etc.; mais jamais ils ne se sont donnés pour historiens; ce sont de simples disser

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tateurs. Et de même, chez les anciens, il faut chercher les mœurs romaines dans les Antiquités de Denis d'Halicarnasse, qui n'a pas prétendu faire une histoire, et non pas dans Tite-Live, dans Salluste, dans Tacite, etc.: ces grands hommes croyaient avoir rempli tous leurs devoirs quand ils étaient vrais et éloquents. Parmi nous, SaintRéal, l'abbé de Vertot, ont écrit aussi des histoires anciennes ou étrangères avec plus d'élégance que de philosophie. Mais Daniel, Mézerai, et les autres qui ont écrit l'histoire de France, ne sont pas plus diserts que profonds, pas plus orateurs que philosophes, et ne satisfont ni l'oreille, ni l'imagination, ni la raison.

Tacite a fait un traité particulier des mœurs des Germains. On demande aujourd'hui qu'un homme qui compose l'histoire d'une nation, entremêle avec habileté et avec goût le récit des faits avec l'examen des mœurs, qu'il nous mette sans cesse sous les yeux le rapport des uns avec les autres, discute sans pesanteur et raconte sans emphase. Mais pourquoi ne voyons-nous pas chez les anciens un seul ouvrage de ce genre, et ne voyons - nous pas même qu'on l'ait exigé? (Car il faut regarder la Cyropédie de Xénophon comme un roman moral dans le goût du Télémaque, et non pas comme une histoire.) Pourquoi, d'un autre côté, ce nouveau genre de philosophie historique nous paraît-il aujourd'hui si nécessaire? Voici peut-être la raison de cette

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