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corps de logis très-restreint, deux pièces, trois au plus, en y comprenant un petit cabinet, suffisaient, avec peine il est vrai, pour contenir ces trésors. Dans la première pièce à droite, on voyait, étalée sur une table et sur deux grands meubles, une collection merveilleuse de plats, d'assiettes et d'ustensiles en faïence, dus à la main de Palissy. A ces faïences étaient mêlées des verreries de Venise et d'Allemagne. Là brillaient au premier rang ces cinq belles pièces dites faïences de Henri II, dont j'ai parlé plus haut. On pénétrait ensuite dans une chambre beaucoup plus grande. C'était le sanctuaire là se trouvaient, non pas rangées, mais groupées les unes à côté des autres, des productions choisies de l'art français, du quinzième et du seizième siècles. Sculptures en marbre, en terre cuite, en os, en ivoire, en bronze, en bois, en cuivre, en fer; armes, instruments de musique, horloges, tableaux, gouaches, miniatures, vitraux peints, bijoux, étaient appendus aux murs, couvraient les fenêtres, ou bien garnissaient plusieurs meubles dont chaque tiroir, chaque tablette était remplie. Le plus petit espace avait été mis à profit. La cheminée de cette chambre présentait un ensemble parfait la pendule, magnifique œuvre d'art de la renaissance, était environnée, d'une part, de petits médaillons de Nuremberg en bois sculpté, ou travaillés en cire de couleur; de l'autre, de diptyques et de triptyques en ivoire, avec des découpures et des ciselures merveilleusement exécutées. Au fond de cette chambre, entre deux cabinets, caché par des armes de tous les temps et de tous les pays, on entrevoyait le lit du propriétaire.

Loin de se montrer avare d'un pareil trésor et de conserver pour lui seul tant de raretés, Sauvageot se

SAUVAGEOT

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sonnière, les curiosités se trouvaient accumulées les unes sur les autres. Chaque fois que je rendais visite à notre ami, je mesurais avec le plus grand soin tous mes mouvements, afin de ne toucher aucune de ces curiosités, qui presque toutes étaient aussi fragiles que précieuses. Un jour, c'était un dimanche, je m'en souviens encore, je me trouvais assis sur ce canapé vert placé entre les deux fenêtres, au fond de la chambre à coucher; Sauvageot était debout devant le beau meuble d'ébène qui me faisait face, à l'autre extrémité de la chambre. Le dessus, l'intérieur et le dessous de ce meuble étaient chargés d'une quantité de verres de Venise et de Bohême, d'une finesse et d'un travail exquis. Tout à coup un de ces verres, un des plus beaux, que le propriétaire avait voulu changer de place, lui échappe, tombe d'abord sur la manche de sa robe de chambre, ensuite frappe sur le meuble, et enfin s'éparpille en mille pièces sur le sol. Je vous le dirai franchement, je n'étais pas à mon aise; je me cramponnais au canapé des deux mains, comme pour bien attester que ni de l'une ni de l'autre je n'avais pu toucher l'objet. Notre ami fut héroïque; il ramassa les débris du verre, les enferma dans un papier, puis, ouvrant le double vitrail d'une des fenêtres, il jeta dans la rue les parcelles de ce précieux bijou. Je ne tardai pas à prendre congé. Jamais Sauvageot ne m'a parlé de cet accident; je ne lui en ai jamais parlé non plus. »

Pendant les dernières années du séjour de Sauvageot dans son appartement de la ruedu Faubourg-Poissonnière, le nombre des amateurs véritables ou des curieux, flâneurs souvent indiscrets, qui venaient visiter sa collection, augmentait chaque jour. Aux étrangers, il indiquait généralement le dimanche, afin de se trou

ver libre pendant la semaine de recevoir ses amis. Il avait été flatté d'abord de l'empressement que l'on mettait à connaître ce cabinet fameux créé par sa patiente intelligence, mais il ne tarda pas à se blaser sur ce plaisir; il ne lui resta bientôt qu'une grande fatigue et le souvenir de certaines indiscrétions commises par quelques visiteurs. C'est pourquoi il se montra dans les derniers temps assez difficile, et n'admit que les personnes présentées par ses amis les plus intimes.

D'ailleurs Sauvageot commençait à ressentir les premières atteintes du mal auquel il devait succomber. Bien longtemps il avait paru moins âgé qu'il ne l'était en réalité; à soixante et dix ans passés il n'avait pas encore les allures et l'aspect d'un vieillard. La main du temps s'appesantit tout à coup sur sa tête, et ses amis eurent lieu de s'inquiéter. Sauvageot commença lui-même à réfléchir sérieusement. Ce n'était pas sans amertume qu'il pensait que sa chère collection pouvait être bientôt dispersée, et le serait infailliblement après sa mort. Il n'avait jamais été marié, et ne se voyait que des parents éloignés. La pensée qu'il pouvait tirer de la vente de son cabinet un bénéfice considérable, si jamais elle lui était venue à l'esprit, répugnait à son caractère. Ce ne fut pas sans une certaine surprise qu'il reçut la proposition d'entremetteurs anglais qui vinrent lui offrir CINQ CENT MILLE FRANCS, ce qui n'était de leur part, comme on va le voir, qu'une excellente spéculation. Sauvageot refusa, bien entendu; mais la destinée future d'un pareil trésor ne resta pas moins pour lui un sujet de perplexité des plus grandes. C'est alors qu'il eut la pensée généreuse de doter son pays de l'œuvre d'art qu'il avait si habilement élaborée. Pour que son projet fût réalisé suivant ses désirs, il ré

solut de l'exécuter de son vivant. Monsieur le comte de Nieuwerkerke, directeur des musées impériaux, était depuis longues années en rapports intimes avec Charles Sauvageot; il s'empressa de l'encourager dans son dessein et de poser les bases d'un projet si honorable pour les deux parties contractantes. Jamais intermédiaire entre l'État et un particulier ne pouvait être mieux choisi. Le directeur artiste sut se mettre à la hauteur du collectionneur, qui voyait se réaliser une de ses pensées les plus chères, la conservation de l'œuvre de toute sa vie. Le palais du Louvre, ce vaste sanctuaire de l'art ancien et moderne, fut choisi pour servir de refuge éternel à la collection de Charles Sauvageot. Quant à lui, généreux et fier, il ne voulut rien accepter qu'un logement près de sa collection, et le titre de conservateur honoraire des musées. L'Empereur y ajouta le brevet de chevalier de la Légion d'honneur. Au moment où cette belle donation eut lieu, au mois d'avril 1856, une expertise fut faite. J'en ai le résultat sous les yeux le chiffre total est de cinq cent quatre vingt sept mille huit cent douze francs. On pouvait ajouter hardiment soixante mille francs de plus, si la collection avait été mise en vente. Aujourd'hui cette somme de six cent cinquante mille francs serait facilement dépassée, tant les objets qui la composent ont acquis de valeur.

Sauvageot eut la satisfaction de faire transporter sous ses yeux chacune des pièces de son cabinet, de les classer dans un ordre définitif, de montrer dans toute leur splendeur les richesses qu'il avait acquises et données. Par une coïncidence très-singulière, l'appartement qui fut mis à sa disposition au Louvre lui rappela d'heureux souvenirs de son enfance. Cet appar

tement avait été occupé par le peintre d'histoire Lethiers, qui fut un de ses protecteurs, et le garda quelque temps près de lui. Chacun pourra bientôt admirer à son aise le cabinet formé par Sauvageot, qui restera tel que cet habile amateur a pris soin de l'établir lui-même.

Hélas! à peine a-t-il pu jouir pendant quelques mois de la tâche qu'il avait enfin accomplie. La terrible maladie qui le minait depuis quelques années devint plus intense. Elle se faisait sentir sur le physique seulement, car le moral était toujours excellent; même force d'intelligence, même jeunesse de cœur et d'esprit. Ses souffrances étaient devenues intolérables. Il résolut de faire l'essai d'une opération grave, qui ne réussit presque jamais à l'âge qu'il avait atteint. I s'y prépara en homme courageux, en chrétien, remettant entre les mains de Dieu le peu d'heures qu'il avait à vivre. L'opération n'a pas réussi; Sauvageot a succombé emportant les regrets de ses nombreux amis. Il est mort le vendredi 30 mars 1860, à quatre heures du matin, âgé de soixante dix-neuf ans et quelques mois.

Lundi, 2 avril, dès neuf heures, une foule d'artistes, de littérateurs, d'hommes du monde, étaient rassemblés sous les voûtes de l'église Saint-Germainl'Auxerrois; M. le comte de Nieuwerkerke, directeur des musées impériaux, suivi des conservateurs des musées du Louvre, et du gouverneur militaire du Palais, est venu se joindre à cette foule. Une messe en musique a été célébrée; puis une grande partie des assistants a suivi le corps jusqu'au cimetière Montmartre, où Sauvageot avait choisi sa sépulture. Après la cérémonie religieuse, M. le comte de Nieuwerkerke a parlé d'une manière simple et touchante de l'homme géné

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