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d'obstacle, ni dans son portier, ni dans son sommeil. Les jeux et les fêtes, il les employait à composer ses harangues, à écrire celles qu'il avait prononcées; car il avait pris pour règle ce mot de Caton: Les grands hommes ne sont pas moins respon sables de leurs loisirs que de leurs occupations. Malheureusement nous ne possédons plus aucun des discours de cette époque. Il en existait encore quelques-uns au temps de Quintilien et de Priscien.

Cependant les lois fixaient un intervalle de cinq ans, pendant lesquels le questeur ne pouvait se présenter à aucune autre élection. Rome avait alors à combattre trois ennemis puissans: Spartacus ébranlait la vieille Italie jusque dans ses fondemens; en Espagne, Sertorius, l'un des plus grands généraux de cette époque, menaçait la république, et Mithridate effrayait de son nom redoutable et de ses armes victorieuses l'orient tout entier : il fut menaçant jusqu'à ce que Lucullus vînt mettre un terme aux malheurs des Romains. Dans ce temps-là même, Verrès fut successivement préteur de Rome et de Sicile, et ses crimes dans cette province préparaient la gloire la plus belle que pût acquérir Cicéron.

Ce grand orateur venait de recevoir un second témoignage de l'estime universelle de ses concitoyens. Ce fut encore par les suffrages unanimes de toutes les tribus qu'il fut nommé édile; ce fut encore parmi tous ses concurrens le premier qui fut proclamé. Jusque-là Cicéron n'avait accusé personne. Les Siciliens, pénétrés d'admiration pour lui, vinrent implorer son appui afin d'obtenir justice des odieuses exactions de Verrès. L'entreprise n'était pas facile : les plus puissans personnages protégeaient hautement l'ancien préteur, et le plus habile des orateurs, Hortensius, s'était déclaré son défenseur. L'or lui servait d'auxiliaire, et, dans l'opinion de Verrès, ce métal ne rencontrait plus de consciences de juges qui ne fussent à vendre. Rien ne rebuta le zèle de Cicéron : il ne craignit ni les menées de son adversaire, ni la haine des grands.« Nous voyons, s'écria-t-il, jusqu'où va l'animosité

qu'allument dans le coeur de certains nobles la vertu et l'activité des hommes nouveaux. Pour peu que nous détournions les yeux, que de pièges ils nous tendent! pour peu que nous donnions prise au soupçon et au blâme, nous ne pouvons échapper à leurs coups; il nous faut toujours veiller, toujours agir. Eh bien! ces haines nous les braverons, ces travaux nous les entreprendrons, persuadés que les inimitiés sourdes et cachées sont plus à craindre que les haines franches

et ouvertes. »

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Plutarque prétend que le crédit de Verrès parvint à différer de délais en délais le jugement de son affaire, et que Cicéron ne put plaider, n'en ayant plus le temps. Selon lui ces discours, qui sont des chefs-d'œuvre d'éloquence, n'auraient jamais été prononcés, et la condamnation de Verrès aurait été l'effet des seules dépositions des témoins, et de quelques spirituelles allocutions de Cicéron. Malheureusement nous n'avons à opposer à ce témoignage de Plutarque, que l'invraisemblance qui s'attacherait à son assertion si on lui donnait un sens trop absolu. Que Cicéron n'ait point dit devant les juges de Verrès tout ce qui fait l'admiration de la postérité, je le comprends; mais je ne doute pas qu'il n'ait fait valoir avec force ses principaux argumens, ni que ses plaidoyers n'aient été classés dans l'ordre où nous les avons. Jamais orateur ne fut plus préparé. Il avait commencé, dans le discours intitulé Divinatio, par se faire adjuger la préférence sur un autre accusateur, qui n'était, au fond, qu'un homme aposté pour faire échouer l'accusation. Après ce succès, il demanda et obtint cent dix jours afin d'aller recueillir en Sicile des preuves et des témoignages; mais il n'en mit que cinquante à accomplir cette mission. Il lui fallut prendre un chemin détourné pour éviter les pièges que lui tendait son adversaire, et les pirates qui infestaient les mers. Il parcourut la Sicile à pied, de peur d'être reconnu au train d'un sénateur voyageant en litière: L. Cicéron, son cousin, l'accompagnait. Au lieu de faire retomber sur la province les frais

de cette enquête, il se défraya toujours lui-même. Partout il était reçu avec les honneurs dus à son rang : à Syracuse, la cité lui assigna un logement, et un décret honorifique fut gravé sur l'airain en commémoration de son séjour. Tant de démarches, tant de zèle, n'ont point eu pour résultat le silence. La première Action contre Verrès n'est qu'un exorde, mais cet exorde fut prononcé. Quintilien nous l'atteste, ce style plein d'énergie et de chaleur, cette marche si brusque, si inattendue, ou plutôt cette course vers le triomphe de l'accusation, et ce dédain des succès d'amour-propre que l'orateur pouvait recueillir en s'arrêtant aux ornemens du discours, tout était jusqu'alors sans exemple: Hortensius en fut subjugué et n'osa dire un seul mot. L'accusation contre Verrès fait époque dans les fastes de l'éloquence: elle fut développée le 5 août devant le préteur Glabrion, sous le consulat de Crassus et de Pompée, en l'an de Rome 683. Cicéron avait alors trente-sept ans, et cette même année vit naître Virgile, qui devait assurer à la poésie romaine tout l'éclat dont Cicéron venait de faire briller l'éloquence.

Les cinq discours qui forment la seconde Action renferment encore beaucoup de ces traits qui produisirent tant d'effet sur les juges, et Cicéron, en les rédigeant après coup, se sera conformé à ses souvenirs et au plan qu'il avait suivi; car il ne pouvait s'en écarter sans être démenti par ses détails. Quoi qu'il en soit, Verrès fut condamné à la restitution. Cicéron avait réclamé au nom de la Sicile cent millions de sesterces, ou 20,450,000 francs; mais Plutarque dit que quand il s'agit d'arbitrer la peine, il fut soupçonné de s'être laissé corrompre, parce qu'il ne l'évalua qu'à sept cent cinquante mille drachmes, évaluation qui, si elle avait eu lieu réellement, laissait entre les mains de Verrès les vingt millions, fruit de ses rapines. Mais, outre que rien n'est plus incertain que les chiffres, sont altérés dans tous les manuscrits, il n'est pas besoin, pour sauver l'honneur de Cicéron, de recourir à la correction de Ruault, qui veut ajouter huit ou neuf millions de drachmes

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au texte de Plutarque. Cicéron, en supposant qu'il ait conclu à cent millions de restitution, établissait quarante millions de spoliation; il agissait, ex lege, d'après une loi qui élevait les restitutions au double. Verrès, qui prévint son jugement par un exil volontaire, paya en effet les quarante millions de sesterces aux Siciliens, parce que c'était la restitution de ce qui leur avait été pris. Toutefois cette explication nous laisse dans la nécessité de suppléer au texte de Plutarque. Ainsi je préfère admettre avec lui que Verrès fut réellement condamné; et dèslors l'arbitrage fait entre Hortensius et Cicéron ne regarderait point la restitution, mais la peine due au fisc, qui devait être proportionnée à la somme obtenue par le crime.

Sertorius et Spartacus avaient été vaincus, l'un par Pompée, l'autre par Crassus. En Orient, Mithridate succombait sous les armes victorieuses de Lucullus. La république n'avait plus rien à redouter; mais de violentes séditions éclatèrent. Sylla avait privé les tribuns de presque tous leurs privilèges, il avait enlevé aux chevaliers le jugement des affaires, et le peuple ne cessait de réclamer le rétablissement de l'ancien ordre de choses. En vain le sénat voulut ressaisir, au moyen de la condamnation de Verrès, la considération qui lui échappait, Jules César favorisait le parti populaire : déjà il était redoutable par son crédit sur la multitude. Il fallut que le consul Pompée consentît à réintégrer les tribuns dans tous leurs droits, et la loi de Cotta rendit aux chevaliers la juridiction qu'ils avaient perdue.

En l'année suivante, Hortensius prit possession du consulat, Cicéron de l'édilité. L'un des principaux devoirs des édiles était de surveiller les jeux du théâtre et du Cirque que l'on donnait au peuple à certains jours de fêtes; il fallait qu'ils y contribuassent de leurs deniers, et qu'ils les rendissent aussi splendides que le comportait leur fortune. Comment Cicéron pouvait-il lutter avec les Scaurus, les Lucullus, les Metellus, qui s'indemnisaient ensuite de leurs énormes dépenses aux frais des provinces qu'ils allaient gouverner? Cicé

ron sut garder un juste milieu entre l'avarice et la prodigalité; et, dans son traité des Devoirs, il s'applaudit de la médiocrité des dépenses qu'il a faites pendant l'année de son édilité. Les ressources cependant ne lui eussent pas manqué; les Siciliens reconnaissans lui amenèrent des animaux de leur île, et lui firent de riches présens : il ne s'en servit que pour opérer une baisse dans le prix des vivres.

L'unanimité des suffrages l'éleva encore à la préture dès que le temps marqué par la loi eut séparé sa candidature de son édilité. Il avait des concurrens redoutables et nombreux; mais il fut élu le premier de tous, et devint préteur de la ville. De tous les traits que rapporte Plutarque pour prouver combien il apporta d'équité et de fermeté dans l'exercice de cette charge, nous ne rappellerons que la condamnation de Licinius Macer. Cet accusé comptait tellement sur l'appui de Crassus, que déjà il s'en était retourné chez lui, s'était fait couper les cheveux, et avait quitté ses habits de deuil pour reprendre la toge blanche; mais bientôt il rencontre Crassus, apprend de lui qu'il est condamné à l'unanimité, rentre, se couche, et meurt. Nous avons déjà pour cette époque quelques lettres de Cicéron à Atticus, où il dit qu'il a jugé Macer avec un applaudissement général, et que son crédit ni celui de ses amis ne lui eussent valu l'honneur que ce jugement lui fit dans l'esprit du peuple.

Cependant Pompée avait précédemment obtenu, sur la proposition de Gabinius, une puissance illimitée sur tous les ports de mer et sur tous les vaisseaux: armé de ces moyens extraordinaires, il avait aisément réduit à l'obéissance les pirates qui infestaient les mers. Toutefois, il ne se souciait pas de déposer le commandement; l'occasion se présenta de l'étendre encore. Le rôle que Cicéron joua dans cette affaire eut trop d'influence sur toute sa vie, pour que nous ne rappelions pas sommairement les circonstances qui amenèrent la proposition de C. Manilius, tribun du peuple.

Sylla avait obligé Mithridate, le plus redoutable et le plus

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