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en l'honneur de Marius, et la traduction en vers des Phénomènes d'Aratus. Scévola avait une telle estime pour le poëme de Marius, qu'il dit : Canescat sæclis innumerabilibus. Cependant était arrivée l'année de Rome 663, et la dix-septième de Cicéron. Il déposa la robe prétexte pour prendre la robe virile, et parut au Forum, où il fut solennellement introduit par tous ses parens et tous ses amis. L'usage était de placer les jeunes gens de bonne famille sous le patronage spécial de quelque sénateur, qu'ils allaient saluer dès le point du jour, et qu'ils accompagnaient dans tous les lieux publics. Quintus Mucius Scévola, que l'on appelait l'augure pour le distinguer du souverain-pontife du même nom, fut le patron de Cicéron. Mon père, dit-il, m'avait conduit à lui; je ne devais le quitter que le plus rarement possible; je gravais dans ma mémoire et ses raisonnemens judicieux, et ses traits lumineux et concis, et je tâchais de m'instruire aux leçons de son expérience.

Les deux Scévola furent les maîtres de Cicéron en droit civil; mais il s'en fallait de beaucoup qu'il s'appliquât exclusivement à cette science: il voulait débuter en maître; il pratiqua beaucoup l'usage du style grec, parce que, plus riche d'ornemens, il lui donnait l'habitude de parler le latin avec plus d'abondance. L'étude du grec l'entraîna vers la philosophie; il s'y livra tout entier, et, dans toutes les circonstances de sa vie, elle fut pour lui un sujet d'adoucissement à ses fatigues, et de consolation à ses malheurs. Les grands alors avaient ordinairement chez eux des Grecs libres qui faisaient profession d'enseigner les connaissances comprises sous les noms de grammaire, de rhétorique et de philosophie. Le premier maître de Cicéron fut un de ces hommes qui venaient chercher fortune à Rome : il en parle encore avec respect dans une lettre écrite à Memmius trente ans après; avant qu'il connût Philon, Phèdre l'Épicurien jouissait de toute son estime, et il se l'était conservée par la probité de son caractère doux et officieux.

Un jeune homme qui n'avait à se prévaloir ni de l'autorité ni de la richesse de sa famille, ne pouvait alors parvenir aux hautes dignités de l'état que par le mérite personnel; il fallait ou qu'il se distinguât sur les champs de bataille, ou que sa voix généreuse fit retentir le Forum de la défense des accusés. Mais telle était la constitution de la république romaine, que, pour être citoyen accompli, il fallait savoir à la fois combattre et parler, commander les légions et diriger les délibérations. Ceux-là même dont le caractère doux et paisible était plus propre aux études qu'aux exercices militaires, payaient à la patrie le tribut de leur valeur. Cicéron marcha sous Pompée Strabon, père du grand Pompée, et sous ses ordres il fit la guerre des Marses, connue dans l'histoire sous le nom de guerre Sociale, parce que les peuples alliés, qui supportaient toutes les charges de la bourgeoisie romaine, réclamaient, les armes à la main, les avantages attachés à ces charges, parce qu'ils voulaient exercer les mêmes droits politiques que les Romains eux-mêmes. Il combattit aussi sous Cornelius Sylla, qui alors n'était encore que le lieutenant du consul L. Papirius, mais qui s'était illustré déjà sous Marius dans la guerre d'Afrique. Ensuite, voyant s'élever les guerres civiles dans sa patrie, et des guerres civiles naître les tyrans, Cicéron se renferma dans la vie contemplative et littéraire, et se perfectionna dans les sciences. Lui-même nous rend compte de ses progrès. J'entendais tous les jours à la place publique les orateurs du premier ordre, qui occupaient les magistratures; mais au moment où je me livrais avec passion au plaisir d'écouter, mon premier chagrin fut l'exil de Cotta. Bientôt l'étude m'absorba : j'écrivais, je lisais, je composais, et cependant je ne m'en tenais pas à ces exercices oratoires. Alors Sulpicius était tribun, et prononçait tous les jours des harangues qui me firent connaître à fond le genre de son éloquence. Il périt en cette même année, et je pris aussi à Rome les leçons de Molon, plaideur éloquent et maître accompli. Je passais les nuits et les jours à l'étude de toutes les sciences. J'étais près du

stoïcien Diodote, qui, après avoir passé chez moi la plus grande partie de sa vie, est mort dernièrement dans ma maison. Je lui dois beaucoup de connaissances; mais il me formait surtout à la dialectique, que l'on pourrait appeler une éloquence abrégée, et sans laquelle on ne saurait atteindre à la véritable éloquence. Malgré l'ardeur avec laquelle je suivais ce maître et ses leçons sur des connaissances si vaines, si multipliées, je ne laissais pas s'écouler un seul jour sans me livrer aux exercices oratoires: je composais des déclamátions tantôt avec M. Pison, tantôt avec Q. Pompée. Je pratiquais beaucoup cet usage en latin, et plus encore en grec, parce que, si je n'eusse déclamé en grec, je n'aurais pu profiter des leçons ni des corrections des premiers maîtres de la Grèce. Quand les lois et la justice reprirent leur autorité, je me hasardai à plaider des causes d'un intérêt public ou particulier. Je fis coïncider avec ces débuts les leçons de Molon, qui, sous la dictature de Sylla, était venu demander au sénat des récompenses pour les Rhodiens.

Dans ce récit, Cicéron accumule ses études de plusieurs années, et le double voyage de Molon. La guerre que Rome faisait à Mithridate inquiétait, dans leur patrie, beaucoup de savans grecs qui venaient chercher un asile en Italie; il paraît que telle avait été la raison du premier séjour de Molon. Le mérite de ce savant triompha dés préjugés des Romains contre les Grecs. Le premier il obtint la permission de haranguer le sénat en une langue étrangère, et ce privilège atteste en même temps que la connaissance du grec était déjà universellement répandue à Rome.

Cependant Sylla prenait Athènes; Marius, Cinna, Sertorius, assiégeaient Rome : ils y rentrèrent en vainqueurs irrités : le Forum était désert, ou plutôt c'était une mer de sang. Il se fit un carnage horrible des meilleurs citoyens. Un mot, un signe de tête de Marius coûtait la vie à ceux qui se présentaient devant lui : quiconque l'abordait sans qu'il rendit le salut était massacré sur-le-champ... On ne voit pas que Ci

céron ait eu des dangers à courir pendant ce temps d'horreur. Le monstre qui souillait ses victoires de tant de crimes, mourut paisiblement. Cinna se perpétua de consulat en consulat, et fut tué par un centurion à l'approche de Sylla. Non moins cruel dans ses proscriptions, ce vainqueur nouveau ne paraît pas avoir troublé Cicéron dans ses études; ce fut même quand il eut obtenu la suprême puissance avec charge de reconstituer la république, que le jeune orateur se montra au Forum. Sylla était consul pour la seconde fois avec Q. Cécilius Metellus Pius. En l'an de Rome 673, quand il prononça son discours pour Roscius d'Amérie, il avait déjà parlé souvent dans des causes d'intérêt particulier : c'était la première fois qu'il entreprenait la défense d'un accusé.

Ce fut de la part de Cicéron un grand acte de courage. Roscius avait été assassiné dans une des rues de Rome, et Chrysogon, le favori du dictateur, s'était emparé de ses biens : pour se délivrer des réclamations du fils, ce Chrysogon imagina de le faire accuser de ce meurtre, et, pour le mieux dépouiller, il le déclarait parricide. Il s'adressa donc à un de ces délateurs de place, à un de ces entrepreneurs d'accusations que les proscriptions avaient suscités en grand nombre. Sextus Roscius eut la douleur de voir deux de ses parens se joindre à cette honteuse trame : pas un défenseur ne se présentait tous craignaient Chrysogon et le dictateur. Cicéron se fit entendre, et Sextus fut sauvé. Il dit lui-même que son discours fut tellement goûté, qu'il n'y eut plus de cause qui parût au dessus de ses forces.

Ordinairement l'on nous présente le discours pour Quinlus comme ayant précédé celui-là; mais, pour se convaincre que cette classification est erronée, il suffit de le lire avec attention. Tout annonce que déjà la dictature de Sylla est écoulée. Le procès avec Névius avait duré deux ans ; un certain M. Junius l'avait plaidé devant Aquillius Gallus, depuis qu'il avait été renvoyé à ce dernier, et ce renvoi n'avait eu lieu que depuis le mois de septembre 672 : or, le terme des pro

scriptions n'avait été fixé par Sylla qu'aux calendes de juin de cette même année. Il se pourrait donc qu'il n'eût plaidé pour Quintus qu'à son retour de Grèce. Nous ne rendrons pas compte du différent qui s'éleva entre le crieur Névius et le frère de son associé. Cette cause était purement civile, et ce procès n'est qu'une des nombreuses contestations dont Cicéron fut chargé dans le commencement de sa carrière. Il nous parle lui-même d'un autre succès obtenu dans sa jeunesse il défendit, contre le célèbre jurisconsulte Cotta, la liberté d'une femme d'Arrétium; il ajoute formellement qu'il obtint gain de cause du vivant de Sylla.

Plutarque prétend que Cicéron ne partit pour la Grèce qu'afin d'échapper à la vengeance de Sylla, irrité de son discours pour Roscius. Toutefois, il demeura encore à Rome plus d'une année, se livrant sans réserve aux exercices du Forum; d'ailleurs il nous donne de son voyage un tout autre motif : « J'étais alors maigre et d'un physique débile, mon cou était mince et allongé. On sait que, pour peu que le travail et les efforts des poumons se joignent à ce tempéramment, il n'y a pas loin de là au péril de la vie. Ceux auxquels j'étais cher en concevaient d'autant plus d'inquiétude que je faisais tout sans relâche, sans distraction, et que je déclamais à grands éclats de voix en y joignant toute l'action de mon corps. Aussi quand mes amis et les médecins me pressaient d'abandonner la plaidoirie, je répondis que je subirais toute espèce de danger plutôt que de renoncer à la gloire que je me promettais de l'éloquence. Cependant je me persuadai qu'en abaissant, qu'en modérant ma voix, enfin qu'en changeant de méthode, je pourrais éviter le danger, et même me faire un genre plus doux. Le but de mon voyage en Asie fut donc de prendre une autre méthode. Après deux ans d'exercice, et lorsque mon nom avait déjà quelque célébrité, je quittai Rome.

Il partit donc pour se perfectionner dans son art, et non pour éviter une vengeance qui l'eût atteint dans tout l'empire

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