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UN BARREAU DE PROVINCE AU XVIIIE SIÈCLE

L'histoire du barreau a fait l'objet de bien des études; de nombreuses publications ont retracé les vicissitudes de l'Ordre chargé de représenter les particuliers en justice. Mais les travaux parus jusqu'ici ne paraissent guère concerner que le barreau de Paris ou les corporations instituées pour certains Parlements importants; les recherches ne semblent pas avoir porté sur l'histoire des avocats exerçant devant des juridictions d'un rang moins élevé. Et cependant les documents ne manquent pas; les greffes conservent encore une foule de pièces inédites capables de faire revivre le passé. L'intérêt non plus ne fait pas défaut il n'est pas inutile de savoir comment était organisée la défense des intérêts privés devant ces tribunaux. C'est là un côté de la vie judiciaire qu'il peut être bon d'envisager. Un ouvrage récent de M. Edmond Everat (1) permet de tenter ce travail et de se rendre compte de ce qu'était, au dix-huitième siècle, le barreau établi près le siège présidial de Riom, en Auvergne.

Au dix huitième siècle, la sénéchaussée d'Auvergne était loin de souffrir du dépérissement dont se plaignaient la plupart des Compagnies de son rang. Classée, par l'ordonnance de Blois, à la cinquième place parmi les grands bailliages du royaume Lyon, Poitiers, Orléans, Tours, Angers, Sens et Le Mans, toutes villes les meilleures de France, où esquelles les offices sont plus desirés et de plus grande

(1) La magistrature française au dix-huitième siècle. La sénéchaussée d'Auvergne et siège présidial de Riom au dix-huitième siècle, par M. Ed. Everat, docteur és lettres, avocat à la Cour d'appel de Riom, Paris, E. Thorin, 1886, 1 vol. in-8°. Cet ouvrage, présenté d'abord sous forme de thèse de doctorat, à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand, est composé d'après ce qui reste des archives de la sénéchaussée au greffe de la Cour d'appel de Riom et surtout d'après les archives de la famille de Chabrol, mises à la disposition de l'auteur par M. G. de Chabrol-Tournoelle. M. Everat retrace dans ce volume tout ce qui se rapporte à l'organisation, au ressort, à la composition de la sénéchaussée et siège présidial de Riom au dix-huitième siècle, ainsi qu'à l'administration de la justice par le siège de Riom, et il raconte aussi toutes les luttes que la sénéchaussée eut à soutenir avec les juridictions de la ville de Riom, avec la sénéchaussée de Clermont, avec le conseil supérieur de Clermont, avec les autres tribunaux de province et les bailliages; son récit ne s'arrête qu'à la suppression de la sénéchaussée en 1790.

requête pour employer les termes de l'art. 236 de l'Ordonnance de Bloiselle passait toujours, comme déjà du temps de Henri II, pour un des plus beaux sièges de France; elle jouissait même d'une prospérité relative et pouvait justement se vanter, auprès de Louis XV, d'être celle de tout son royaume où la décadence des tribunaux de second ordre ne se faisait point apercevoir. » Le barreau jouait un rôle éminent; mais il était soumis à une réglementation sérieuse et sévère.

La défense des intérêts près le présidial ne pouvait être présentée que par les avocats inscrits au tableau. L'établissement de ce dernier était l'objet de formalités particulières. Au début, sous l'empire de l'Ordonnance du 7 mai 1718, le tableau était dressé chaque année à la rentrée, transmis par le syndic au parquet, présenté à l'une des plus prochaines audiences par le premier avocat du roi, lequel requérait la lecture, la publication ainsi que le dépôt au greffe, et faisait rendre par le présidial une ordonnance conforme. Mais à la fin du siècle. il parut plus convenable de faire la promulgation avec une solennité plus grande que le registre des conclusions du parquet de 1755 à 1786 fait connaître une fois son travail terminé, l'Ordre députait certains de ses membres auprès des gens du roi pour leur en donner communication; les délégués, après avoir pris l'heure du premier avocat du roi, se rendaient en corps au parquet, présentaient le tableau au magistrat et demandaient acte de leurs dires; accédant à cette demande, le représentant du ministère public écrivait sur le registre même de ses conclusions le procès-verbal de l'entrevue, et tous les membres du parquet apposaient leurs signatures au pied de ce procès-verbal.

Le nombre des avocats ne paraît pas avoir été en général bien élevé; il a souvent varié; ainsi, par exemple, le tableau comprenait en 1690 18 membres, 12 en 1718, 17 en 1755, 36 en 1778, 30 en 1780, 13 en 1786-89.

L'Ordre était placé sous la surveillance du parquet et de la magistrature; il avait à sa tête un syndic élu par ses confrères et des chefs de bancs choisis vraisemblablement parmi les anciens; il se réunissait en assemblée générale lorsque les circonstances l'exigeaient.

Malgré le nombre des affaires, qui allait souvent jusqu'à plus de trois mille, les membres du barreau riomois disposaient d'une assez grande liberté; il n'y avait en effet par semaine que quatre audiences; d'autre part, le siège vaquait d'abord pendant les deux mois de vacances (à partir du « samedi le plus voisin de Notre-Dame de septembre » jusqu'au « jeudi le plus proche d'après la Saint-Martin), à Noël, du mercredi au samedi précédant la fête, jusqu'au mardi ou jeudi des Rois; pendant le carnaval, du dimanche gras au lendemain

des Cendres; à Pâques, du dimanche des Rameaux au mardi de Quasimodo; aux Rogations, du lundi au vendredi ; à la Pentecôte, de la veille de la solennité au mercredi d'après. En outre une foule de fêtes retranchées » (seize jours dont plusieurs concordaient avec les foires) venaient donner des loisirs au barreau. En résumé il ne restait plus guère que 152 audiences environ par année. D'après l'antique usage qui voulait que les magistrats jugeassent à jeun, surtout en matière criminelle, on siégeait le matin, de la SaintMartin au samedi de la Passion de 9 heures à midi, et du lundi de Quasimodo à Notre-Dame de septembre, de 8 heures et demie à midi. Le tribunal de Riom ne manquant pas d'affaires, ce n'était pas trop de ce temps-là pour expédier les procès pendants à sa barre. Malheureusement l'audience était loin de commencer toujours à l'heure dite; tantôt elle durait deux heures, tantôt une heure et même parfois une demi-heure.

La renommée du barreau de Riom était considérable : des jurisconsultes très distingués, Mazuer, Basmaison, Bessian, Rigauld, Consul, Prohet étaient sortis de son sein. Le lustre qu'ils avaient répandu sur le siège était loin d'être éclipsé au dix-huitième siècle. Les avocats d'alors soutenaient dignement la réputation que leurs devanciers avaient faite à l'Ordre. Tous les mémoires du temps émanés du présidial célèbrent à l'envi leur talent et leur science, et certifient que les justiciables étaient assurés de recevoir d'eux les conseils les plus sages. Les honoraires cependant n'avaient rien d'excessif ils variaient en 20, 30 et 40 livres dans les grandes causes. L'Ordre, d'ailleurs, en tant que corporation n'était pas très riche; une délibération du 4 février 1780 apprend qu'il dut se cotiser pour fonder sa bibliothèque, et qu'il emprunta en viager à cet effet une somme de 4,000 livres, aux arrérages de 400 livres.

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D'une façon générale l'on peut dire que les relations du barreau avec les magistrats étaient cordiales; dans nombre de circonstances il n'hésita point à se joindre à eux. On le vit bien lorsque parut l'édit Maupeou; les magistrats opposés à son enregistrement trouvèrent parmi les avocats leurs plus fermes soutiens. Néanmoins la concorde fut troublée bien des fois; il arriva des moments où des incidents pénibles se produisirent, et un jour, en 1776, la lutte prit un caractère de gravité exceptionnelle. Le récit qu'en donne M. Everat, d'après des correspondances du temps, permet de se rendre compte de l'état des esprits. La guerre était née de l'apparition d'une sommation sortie du cabinet d'un avocat, et considérée comme diffamatoire pour le lieutenant criminel. D'abord purement personnelle, elle était devenue bientôt générale, chacun des antagonistes ayant vu rapidement sa querelle épousée par tous ses confrères. En

un instant les officiers de la Sénéchaussée portèrent l'affaire au Parlement et, pour s'assurer le triomphe, employèrent les sollicitations les plus pressantes auprès de leurs collègues de la Cour. De leur côté les avocats riomois écrivirent au bâtonnier de leur Ordre à Paris et le conjurèrent de prendre leur cause en main. Au bout de peu de temps on reconnut qu'il fallait étouffer l'affaire. De concert avec le bâtonnier, le procureur général fit rendre un arrêt déclarant non avenue la procédure de la sénéchaussée d'Auvergne, tout en qualifiant sévèrement la pièce incriminée. Cette décision, prise dans le but de ménager toutes les susceptibilités, ne contenta personne. Les officiers. du présidial témoignèrent hautement leur dépit de n'avoir pas obtenu plus ample satisfaction; et cependant, ainsi que le faisait remarquer l'avocat général Séguier, la Cour avait déclaré l'exposé de la sommation faux, la sommation elle-même injurieuse, et elle avait fait connaître à l'avocat, auteur de la pièce incriminée, qu'elle le regardait comme tous les autres citoyens soumis à l'inspection des magistrats. Si les officiers de la sénéchaussée restèrent profondément irrités contre le barreau de leur siège, les avocats, blessés de l'appréciation contenue dans l'arrêt du Parlement, continuèrent, de leur côté, à tenir rigueur aux magistrats. La lutte persista donc, et l'on fit si bien de part et d'autre qu'un beau jour un avocat se vit refuser la parole par le président de l'audience. Aussitôt les combattants de recourir derechef à leurs amis de Paris. Ceux-ci refusèrent sagement d'intervenir. Aux avocats qui les avaient sollicités en leur faveur ils ne répondirent point, et aux conseillers ils recommandèrent de rétablir la subordination et la paix par la prudence, la patience et aussi la fermeté. Avocats et magistrats préférèrent continuer les hostilités. On assure qu'en 1789 la querelle n'était pas encore apaisée. Quelques membres du barreau toutefois ne furent pas aussi persévérants dans leur opposition; tandis que les vieux avocats désertaient la barre, les jeunes se chargeaient assez volontiers des intérêts délaissés des justiciables. Et c'est ainsi, dit-on, que se seraient fait connaître, plus rapidement que dans un état normal, les Grenier et les Pagès.

Le barreau riomois eut aussi des démêlés avec les procureurs; distincts des avocats (1), et bien que leurs fonctions fussent nettement

(1) Un règlement, traitant de l'administration de la justice au palais de Riom, disposait que les procureurs (placés sous l'autorité directe du présidial) plaideraient de leurs places et seraient debout quand les avocats parleraient pour leurs parties, que leurs robes seraient boutonnées jusqu'au bas. L'ordre des procureurs était riche; lors des réjouissances qui eurent lieu à Riom à l'occasion de la naissance du duc d'Angoulême, il dota quatre filles pauvres de 150 livres chacune et paya les frais des contrats de mariage et des noces. REVUE GÉNÉRALE DU DROIT. 1886.

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définies, les procureurs ne laissaient pas que d'oublier les prescriptions de la loi, pour remplir certains actes qui étaient exclusivement du ministère des avocats; par exemple pour signer des consultations et plaider les causes réservées à ceux-ci. De là des plaintes fort vives du barreau, qui dût faire consacrer ses protestations par un arrêt du Parlement (29 août 1778). Cette décision régla las attributions; elle proclama le droit pour les avocats de faire les griefs, réponses, contredits, salvations et autres écritures de leur ministère, » à l'exclusion des procureurs, et ordonna que les écritures du ministère d'avocat n'entreraient pas en taxe si elles n'avaient été faites et signées par un avocat inscrit au tableau; d'autre part, cette décision défendit aux avocats de signer des écritures qu'ils n'auraient point faites, et de traiter de leurs honoraires avec les procureurs, à peine, contre les avocats, d'être rayés du tableau, et contre les procureurs d'interdiction pendant six mois pour la première fois, et pour la deuxième fois d'interdiction pour toujours. Cet arrêt ne fut pas suffisant pour mettre un terme aux usurpations des procureurs. Il fallut que les avocats recourussent de nouveau au Parlement. Le 8 juin 1782, ils obtenaient une autre décision interdisant de signifier des pièces qui n'auraient pas été signées par des avocats inscrits au tableau.

Le barreau dut prendre aussi des mesures contre la basoche. Cette dernière ne se contentait pas de former l'élément bruyant de la tranquille cité, et d'être au premier rang dans les événements qui venaient égayer la vie riomoise (1), elle ne se bornait pas à défrayer la chronique locale par le récit de ses farces qui la rendaient la terreur des paisibles bourgeois (2); ses membres affectaient des allures de jurisconsultes consommés; ils s'érigeaient en avocats au

D'après un factum rédigé par lui-même, il formait le corps le plus important de la ville et jouissait, dit ce document, de beaucoup de considération à cause de l'utilité de ses membres pour l'exercice de la justice et à raison de la sage police confiée au syndic sous l'inspection des magistrats du premier et principal siège de la province.

(1) Pleins d'entrain et de gaieté, les membres de la basoche se mettaient de grand cœur à la disposition des consuls échevins pour l'organisation des cérémonies publiques et consentaient même de fort bonne grâce à figurer dans les réjouissances.

(2) Ces farces étaient loin d'être toujours réprimées, car les basochiens vivaient en assez bonne intelligence avec les officiers et cavaliers de la maréchaussée, tous joyeux compagnons, eux aussi, qui ne demandaient pas mieux que de vaincre l'ennui de leur séjour à Riom par de gaies parties faites de concert avec « messieurs les clercs de la sénéchaussée. » Lorsqu'une aventure un peu trop risquée d'un membre de la basoche nécessitait l'intervention de la police ou de la justice, les magistrats instructeurs ne trouvaient le plus souvent dans la maréchaussée qu'un concours peu empressé et qu'un appui peu enthousiaste.

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