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ESSAI

SUR

L'HISTOIRE DE LA PRAEFECTURA URBIS A ROME

(Suite) (1)

CHAPITRE IV.

INSTITUTION DE LA PRAEFECTURA URBIS IMPÉRIALE.

Il ne subsistait donc plus de l'ancienne préfecture urbaine que le simulacre des Féries latines, quand les premiers Césars reconstituèrent l'état romain. Cependant, pour fonder le régime impérial sur les ruines de la république, pour maîtriser une capitale dont leurs conquêtes avaient fait le centre du monde, il fallait des auxiliaires puissants, des institutions énergiques. C'est alors que d'un ordre de choses nouveau naquit une praefectura urbis nouvelle.

A ses débuts, cette magistrature renaissante affecta de ne reparattre que comme héritière de l'ancienne. C'est à ce titre que César, puis Auguste l'introduisirent. Discrètement elle se plaisait à invoquer la tradition, tout en la violant au besoin. Enfin, après plusieurs essais intermittents, entravés par une opposition très vive, elle parvint, sur la fin de Tibère, à s'installer en permanence; désormais la place était conquise; un instrumentum regni de plus se dévouait au service de l'empire.

Tacite, dans un passage fameux, a résumé cette création successive; il importe d'abord de l'entendre: Namque antea, profectis domo regibus, dit-il, ac mox magistratibus, ne urbs sine imperio foret, in tempus deligebatur qui jus redderet ac subitis mederetur. Feruntque ab Romulo Dentrem Romulium, post ab Tullo Hostilio Numam Marcium, et ab Tarquinio Superbo Spurium Lucretium, impositos. Dein consules mandabant; duratque simulacrum, quoties ob ferias latinas praeficitur qui consulare munus usurpet. Ceterum Augustus bellis civi

(1) V. Revue générale du droit, t. IX (1885), p. 444, no de mars-avril 1886, p. 146.

libus Cilnium Maecenatem, equestris ordinis, cunctis apud Romam atque Italiam praeposuit. Mox, rerum potitus, ob magnitudinem populi ac tarda legum auxilia, sumpsit e consularibus qui coerceret servitia, et quod civium audacia turbidum, nisi vim metuat. Primusque Messala Corvinus eam potestatem, et paucos intra dies finem, accepit, quasi nescius exercendi. Tum Taurus Statilius, quamquam provecta aetate, egregie toleravit. Dein Piso viginti per annos pariter probatus, publico funere, ex decreto senatus celebratus est (1). (Illi) praecipua ex eo gloria, quod, praefectus urbi, recens continuam potestatem, et insolentia parendi graviorem, mire temperavit (2).

Voilà bien, repassant en quelques traits sous nos yeux, depuis les plus lointaines origines jusqu'à son institution définitive en permanence, toute l'histoire de la préfecture urbaine. Voilà le guide que nous devons suivre. Mais, malheureusement, trop de sens parfois se resserre ici dans trop de concision; aussi, pour mieux démêler par quels tâtonnements, parmi quelles difficultés, l'empire naissant parvint enfin à introduire sa nouvelle magistrature, faut-il, tout en s'attachant aux traces de Tacite, développer ses indications rapides, et même les compléter au besoin.

C'est ce que l'on essaiera maintenant.

En réalité la préfecture impériale ne rappelait que vaguement la préfecture des rois et de la république. Il n'y avait guère d'autre filiation que celle du nom et des souvenirs. Auguste cependant croyait habile d'insister sur ces origines, et ici, du moins, Tacite ne le dément pas encore. L'historien, dans son récit, s'accorde avec l'empereur, dans sa politique, pour rattacher la nouvelle magistrature à l'ancienne. Et c'est pourquoi Tacite, dès le début, a cru devoir ranimer, au lointain des âges, jusqu'à la légendaire mémoire des préfets de Romulus et de Numa. Souvenirs dès longtemps effacés, d'ailleurs! Depuis près de quatre cents années la vieille préfecture dormait dans l'oubli, quand, aux approches de l'empire, les fondateurs de l'absolutisme imaginérent de la réveiller.

Le premier, comme on l'a vu, qui l'évoqua du fond des siècles (a. u. c. 707 47 av. J.-C.), ce fut Marc Antoine, illégalement du reste, car il n'était, on le sait, sous César dictateur, qu'un simple magister equitum.

Après Marc Antoine, Jules César lui-même, mais à meilleur droit, vu sa dictature, rétablit encore, à deux reprises, des préfets dans Rome (a. a. 708 et 709 46 et 45), en transformant d'ailleurs à son gré

(1) Tacite, Ann., VI, 11. (2) Ibid., VI, 10, in fine.

leur ancien office (1). Ainsi déjà le despotisme s'essayait à introduire, sans trop de secousses, sous des noms connus, des magistratures extraordinaires.

Octave, enfin, suivit la politique de son père adoptif. L'an de Rome 718 (36 av. J.-C.), partant pour combattre Sextus Pompée, il remit à Mécène le gouvernement de la ville et de l'Italie (2). En 72324 (31-30), pendant la guerre d'Actium et d'Alexandrie, il lui confia la même charge encore, mais en lui adjoignant cette fois Agrippa pour collègue (3). Ces deux vicaires du triumvir absent jouissaient de sa toute-puissance, ouvraient et corrigeaient ses dépêches au sénat, scellaient de l'un de ses anneaux ses épîtres et ses édits (4), ils exerçaient enfin la jurisdictio et l'imperium, et c'est ainsi que Mécène notamment put châtier la conspiration du jeune Lépide (5). Voilà comment Octave, parcourant l'empire, restait néanmoins présent dans Rome par ses lieutenants. Ni l'un ni l'autre, il est vrai, ne portèrent alors le titre de préfet de la ville; leur fonction, d'ailleurs, était plus haute encore; mais n'est-il pas évident que ces régences extraordinaires devaient bientôt servir de précédent et de modèle à la préfecture urbaine?

C'est vers ce même temps, en effet, que Mécène, sur la fin de sa charge ou bientôt après l'avoir déposée (a. u. c. 725 = 29 av. J.-C.) (6), aurait, dit-on, conseillé à Octave de convertir ces lieutenances temporaires en magistratures permanentes. C'est un des points où il insiste le plus, dans ce vaste programme de réorganisation monarchique, tracé, d'après Dion Cassius, par le favori à son maître. Nomme

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[encore], lui dit-il (7),

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« nomme comme préfet de la ville un des ⚫ principaux citoyens qui ait déjà passé par les dignités convenables. › Ce ne sera pas seulement [comme autrefois] pour administrer pen› dant l'absence des consuls; ce sera pour rester constamment à la

(1) Dion, XLII, 30; Appien, Bel. civ., II, 41.

(2) Mécène n'eut certainement pas le titre de praefectus urbi; mais portait-il, comme on l'a dit (Borghési, t. V, p. 318, n. 4), celui de préfet du prétoire? Ou plutôt, alter ego du triumvir absent, sa position exceptionnelle n'échappait-elle pas à toute définition légale? Tacite, Ann., VI, 11; Dion, XLIX, 16.

(3) Velleius, II, 88, et Tacite, ibidem; Sénèque, Ep., 114, § 6; Dion, LI, 3. Mais Agrippa, qui commandait la flotte d'Actium, ne rentra dans Rome qu'après la victoire.

(4) Velleius, Sénèque et Dion, locc. citt.; Pline, Hist. nat., XXXVII, 4.

(5) Velleius, loc. cit.; Appien, IV, 50.

(6) Dion Cassius place le discours de Mécène en 725 (= 29 av. J.-C.), or, la régence que Mécène et Agrippa exercèrent durant les années 723-24 (= 31-30) a bien pu se prolonger jusqu'au retour d'Octave en août 725 (29).

(7) Traduction de Gros et Boissée, mais remaniée avec quelque liberté; les mots entre crochets sont ajoutés au texte pour plus de clarté.

tête des affaires de la cité. Ce préfet permanent jugera les cau› ses d'appel et celles qui lui seront renvoyées par les magistrats › dont j'ai déjà parlé. Il connaîtra aussi des accusations capitales contre les citoyens habitant l'enceinte de la ville, hormis celles dont je parlerai plus tard (1), et contre les citoyens habitant au de› hors jusqu'à la distance de 750 stades. Il faut choisir encore un au⚫ tre magistrat pour surveiller les mœurs des sénateurs et des › chevaliers; il portera, sous ton autorité suprême, le titre de ‣ sous-censeur (2). Ces deux magistrats [le préfet et le sous-censeur] devront être institués à vie, à moins de forfaiture ou d'incapacité › par maladie ou par vieillesse. Tu n'auras, du reste, rien à craindre › de cette prolongation de leur autorité, car, de ces deux fonction› naires, l'un [le sous-censeur], ne disposera même pas de la force › armée; l'autre [le préfet], ne commandera qu'à un petit nombre de › soldats, et c'est presque toujours sous tes yeux qu'il exercera sa charge. Des magistrats temporaires, au contraire, n'oseraient sévir › contre personne; ils reculeraient toujours devant des mesures énergiques, en songeant qu'ils vont rentrer dans la vie privée et remettre le pouvoir en d'autres mains. Il faudra, d'ailleurs, leur › assurer à tous les deux un traitement convenable à leurs services › et à leur dignité. Tel est l'avis que je te donne (3). »

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Comme tant d'autres, ce discours n'est évidemment qu'une de ces compositions oratoires que Dion Cassius, toujours trop fidèle à son éducation de rhéteur, se complait à prêter à ses personnages. Bien plus ici, par une sorte d'anachronisme prophétique, révélant à Mécène l'avenir de son institution, Dion Cassius la lui fait décrire sous Auguste telle qu'il la voyait lui-même, deux siècles et demi plus tard, sous les Sévères. Repousserons nous cependant son témoignage tout entier? Non; il doit, semble-t-il, pour le fait principal, reposer sur quelque base historique. Tout au moins, la harangue suggérée à Mécène représente-t-elle avec autant de force que de justesse les raisons qui commandaient alors la création d'une haute magistrature de police, comme les principales attributions qu'il convenait de lui donner. C'est là véritablement l'exposé des motifs de l'institution. C'est bien

(1) Les magistrats dont Mécène a parlé (ibid., 20) sont notamment les consuls et les préteurs. Les accusations dont il parlera plus tard sont principalement les poursuites capitales contre les chevaliers, qu'il conseille au prince de juger luimême (ibid., 33) et celles contre les sénateurs (ibid., 31), qu'il conseille de soumettre au sénat. Mais son conseil, ici du moins, ne fut guère écouté, car on verra bientôt le préfet compétent pour condamner jusqu'aux sénateurs.

(2) On a résumé dans cette phrase des développements sur l'institution du souscenseur qui sont étrangers à notre sujet.

(3) Dion, LII, 21.

ainsi que le confident avisé a dû conseiller le maître, ainsi que le mattre a dû, dans l'ensemble, organiser la suprême administration de Rome.

Tout, en effet, et l'accroissement de la population, et cette tourbe sans cesse remuante d'esclaves et de factieux, et la sécurité de sa personne avec celle de l'Etat, tout incitait Auguste, comme faisait Mécène, à créer quelque magistrature puissante, arbitraire même et sommaire, qui sût prévenir et réprimer, sans s'attarder aux lenteurs ni s'entraver aux formalités des juridictions ordinaires.

Il laissa néanmoins s'écouler quelque temps encore. Mais enfin, l'an de Rome 729 (= 25 av. J.-C.), parmi tous ces nombreux offices qu'imaginait sa politique, maintenant qu'à côté des anciens magistrats du peuple il commençait d'instituer partout les fonctionnaires de l'empereur, Rome vit apparaître cette praefectura urbis nouvelle. A cette fois, le conseil de Mécène, après l'exemple de César, portait ses fruits. Le premier préfet de l'empire semblait d'ailleurs heureusement choisi. Républicain ardent autrefois, et l'un des soldats de Brutus aux deux journées de Philippes, mais rallié presque aussitôt à la victoire d'Octave, un peu plus tard son collègue dans le consulat, puis triomphateur naguère des Aquitains, non moins illustre orateur que guerrier, enfin l'un de ces hommes presque complets que suscitent souvent les époques tourmentées, Marcus Valerius Messala Corvinus pouvait dignement représenter un prince restaurateur de l'état romain, pacificateur du monde, ami des lettres, qui s'efforçait maintenant de rallier par la douceur les vieux partis à sa monarchie (1).

En rétablissant le titre de praefectus urbi, Auguste, comme déjà César, affectait d'introduire son nouveau magistrat en héritier des anciens préfets de la libre république. Prétention injustifiable. Alors, en effet, qu'Auguste ne présentait encore son principat que comme l'exercice de la puissance consulaire et proconsulaire, il ne pouvait légalement créer un praefectus urbi: le plébiscite licinien, comme on sait, avait retiré ce droit aux consuls. L'usurpation s'aggravait encore parce que son préfet devait gouverner même en présence du second consul et du préteur restés dans Rome or autrefois, même avant Licinius Stolo, quand les consuls laissaient un préfet, ce n'était jamais que pendant l'absence de tous les magistrats supérieurs. Ainsi le césarisme démentait sa propre fiction; il ne savait évoquer les souve

(1) Messala fut consul en 723 u. c. (= 31), triompha le 27 septembre 727 (= 27 av. J.-C.). Protecteur de Tibulle (Elegies, I, 3, IV, 1), il est vanté lui-même pour ses plaidoyers et ses declamationes par Sénèque et par Quintilien (Inst. or., X, 1, § 13 et 83). Cf. Wiese, De M. Val. Corvini vita, Berlin, 1829, et Borghesi, t. III, p. 323, t. V, p. 319.

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