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Pardessus, dans ses savants commentaires sur la loi salique, exprime la même opinion. Après avoir dit qu'au titre XIV le mot villa désignait un domaine, il pense qu'au titre XLV le même mot signifie une commune rurale. Il ajoute que « les habitants de ce village avaient le droit de s'opposer à l'établissement d'un nouveau venu ». Il cite le titre De migrantibus et ne présente aucun autre document (1).

M. Waitz reproduit la même théorie. Les villæ dont il est question au titre XLV sont, suivant lui, « des villages où les hommes libres habitent en association (2) ». Un peu plus loin, voulant prouver l'existence d'un régime de communauté rurale, il dit « Ce qui démontre que ce régime existait, c'est un document où nous voyons les habitants du village réunis en une association dans laquelle aucun étranger ne peut entrer sans la permission de tous. Or, cet unique document est encore notre titre XLV, De migrantibus (3).

M. Sohm pense de même : « Le droit de s'établir sur un territoire dépendait de l'adhésion unanime de tous les membres de l'association; un étranger s'était-il établi dans une circonscription communale au mépris de la volonté d'un seul membre de la commune, ce membre avait le droit de chasser cet étranger. A l'appui de cette thèse, il allègue uniquement le

titre XLV (4).

M. Thonissen suit ces guides. « L'établissement d'un étranger sur le territoire d'un village exigeait l'assentiment unanime de tous les habitants (5). Il ne cite, lui aussi, qu'un seul texte, le titre XLV. M. Garsonnet, cherchant la Marke germanique, croit la rencontrer dans ce même article de la loi. « Voici la

ne trouve pas dans la loi des Burgondes une seule ligne qui ait du rapport avec notre article de la loi salique.

(1) Pardessus, Loi salique, 1843, pages 389 et 390, notes 527, 528, 529. Suivant cet auteur, le droit qu'auraient les habitants d'exclure un nouveau venu s'expliquerait par l'existence de biens communaux ; les copartageants auraient un intérêt à ne pas s'adjoindre un nouvel associé. J'observe toutefois que la loi salique ne mentionne jamais de biens communaux.

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Voyez, dans le même

(2) Waitz, Deutsche Verfassungsgeschichte, 3o édit., t. II, p. 90.
(3) Waitz, ibidem, t. II, p. 90; Das alte Recht, p. 124.
sens, Maurer, Einleitung zur Gesch. der Mark, p. 113-144.
(4) R. Sahm, Procédure de la loi salique, traduction Thévenin, p. 9-10.
(5) Thonissen, Organisation judiciaire de la loi salique, 2e édit., p. 362.

Marke, dit-il, « et nul n'y est admis qu'avec le consentement unanime de ses membres (1). »

On voit la grande importance de ce texte. Si l'interprétation qu'on en donne est exacte, il nous révèle toute une constitution rurale. C'est par lui que nous savons que chaque village aurait formé une association permanente et fermée. Le village aurait été, de quelque façon, copropriétaire du sol, et il aurait dépendu de l'ensemble des habitants de permettre ou d'interdire à un nouveau venu d'entrer en partage du fonds commun. Nous aurions ainsi sous les yeux un régime de communauté agraire, ou au moins un reste de ce régime. Un tel fait serait l'un des plus curieux de l'histoire des sociétés humaines, s'il était prouvé.

Un peu de doute est permis. On doit constater d'abord que cette organisation rurale ne nous est signalée par aucun autre document. Or, les Francs ne sont pas le seul peuple germain qui ait écrit ses coutumes. Cherchez dans les lois des Burgondes, dans celles des Lombards, dans celles des Alamans et des Bavarois, dans celles des Thuringiens, des Saxons, des AngloSaxons, vous ne trouverez rien de pareil (2). Rien de pareil dans la loi des Francs Ripuaires (3). La loi salique elle-même,

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(1) Garsonnet, Histoire des locations perpétuelles, p. 204. Ainsi pense aussi M. Paul Viollet. Dans sa vaste et ingénieuse synthèse sur la propriété chez tous les peuples (Biblioth. de l'Ecole des Chartes, 1872, p. 490), il allègue cette loi De migrantibus, et il y voit « un souvenir de l'indivision originaire de la terre. >> M. D. W. Ross, dans son savant livre The Early History of Land-Holding among the Germans, p. 50-51, montre qu'en tout cas le titre XLV de la loi salique n'est pas contradictoire au régime de la propriété privée ; il marque seulement, suivant l'auteur, un droit qu'auraient les voisins d'hériter à défaut de descendance directe. (2) M. Hessels, col. 288, cite trois références: Rotharis, 177; Liutprand, 134; Alfred, 37; mais aucune des trois n'est exacte. L'article 177 de l'édit de Rotharis correspond au titre 14 de la loi salique et non pas au titre 45. L'article 134 de Liutprand vise un délit de violence contre un homme qui est déjà propriétaire, et n'a aucune analogie avec la loi que nous étudions. Quant à la loi d'Alfred (art. 37, dans les Ancient Laws and Institutes of England, 1840, fol., p. 495), elle concerne un colon libre qui passe d'un comté dans un autre avec la permission du comte et va se mettre en service chez un propriétaire; elle ne fait mention ni d'un village ni d'une communauté quelconque.

(3) Il est vrai qu'on a rapproché de ce texte un passage de l'Edictum Chilperici, Borétius, Capit., p. 8 : « Frater terras accipiat, non vicini. » Mais cet édit ne mentionne nulle part ni une communauté rurale, ni un droit d'exclure un étranger. D'ailleurs nous craignons fort que l'on n'ait tiré de ces deux mots non vicini une conclusion bien exagérée. Les érudits ne sont pas d'accord sur le sens de vicini. A supposer

si nous mettons à part cet unique article, montre bien qu'elle est faite pour une population rurale, mais ne laisse jamais voir qu'elle soit faite pour une population vivant en communauté. On n'y voit nulle part qu'un village formât un groupe, que ce groupe eût des intérêts communs, ni que les membres de ce groupe s'assemblassent pour traiter ces intérêts. Il est bien remarquable qu'elle ne renferme aucune des dispositions qui seraient naturelles et nécessaires dans une société où un semblable organisme existerait. Elle punit les délits commis contre la propriété individuelle; elle ne punit ni ne prévoit les nombreuses atteintes qui pourraient être portées aux droits d'une communauté. Entre la communauté et l'individu, il y avait mille conflits inévitables que la loi eût dû résoudre; elle n'en dit pas un mot. Dans le passage où elle s'occupe des successions, elle ne fait pas entendre qu'une association de village ait le moindre droit sur la terre. Il y a un autre article où elle parle du migrans; mais au lieu de dire que les habitants du village décident s'il sera admis ou repoussé, elle prononce seulement que, s'il a une lettre du roi, nul ne pourra agir contre lui; elle ne mentionne ici aucune communauté; elle ne nomme pas même le village (1).

que ces deux seuls mots signifient que les habitants du vicus auraient le droit d'hériter de la terre à défaut de fils, encore resterait-il à se demander comment cet édit mentionnerait un droit de succession qui n'est pas dans la loi salique et auquel même la loi salique contredit. Nous ne voulons pas examiner ici cette question; mais observons seulement que cette ligne de l'Edit de Chilpéric et le titre De migrantibus forment deux problèmes distincts, entre lesquels il n'y a aucun rapport certain.

(1) Lex salica, XIV, 4: « Si quis hominem qui migrare voluerit et de rege habuerit præceptum... et aliquis contra ordinationem regis testare præsumpserit, solidos CC culpabilis judicetur. » Voilà encore un article qui n'a pas été étudié d'assez près; on a cru qu'il s'agissait de l'admission d'un étranger parmi les habitants d'un village; mais il n'y a ni un mot qui signifie village ni un mot qui signifie admission. L'article se trouve sous la rubrique De supervenientibus, c'est-à-dire Des attaques à main armée. Sur le sens de supervenire et superventum, voy. Loi salique, XIV, rubrique du manuscrit de Munich : De superventis vel expoliationibus », et l'article 1: « Si quis hominem in superventu expoliaverit. » Comparez Grégoire de Tours, H. Fr., III, 16: « Non desistebant a furtis, homicidiis, ac superventis »; ibidem, VIII, 40: «< Furta, superventa, cædes »; Sidoine Apollinaire, Lettres, VI, 4: « Latrunculorum superventus »; Lex Burgundionum, XXXIX, 1 : « Si quis superventu aut latrocinio negotiatorem occiderit » ; Lex romana Burgundionum, XX: « Si quis superventu quemque fuerit aggressus. Notre article est donc au milieu d'une série d'autres qui visent

Nous possédons des chartes, des actes de vente et de donation, des testaments. Nous y pouvons voir en traits précis quel était le régime des terres; car, neuf fois sur dix, ce sont des terres qui font l'objet de ces chartes. S'il existait une communauté de village, une association de paysans, si la communauté exerçait un droit de copropriété ou quelque sorte de domaine éminent sur les terres du village, il serait incroyable que tant de chartes ne nous le fissent pas savoir. Nous voyons dans toutes, et avec une pleine évidence, que le propriétaire était libre de disposer du sol à sa guise. Cela est dit expressément. Il vendait, donnait, léguait la terre « à qui il voulait ». Nous n'apercevons pas une seule fois que sa volonté fût subordonnée au consentement des habitants d'un village (1). En vain dira-t-on que ces chartes sont postérieures à la loi salique. Si elles ne sont pas du temps où la loi salique a été composée, elles sont du temps où elle était appliquée. Cela est exprimé formellement dans ces chartes elles-mêmes, ou dans les formules qui leur correspondent. Nous y lisons qu'elles sont faites « suivant la loi salique (2) ». Nous y lisons encore que le

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tous le délit d'attaque à main armée sur les chemins. C'est aussi le sens qu'il a, et l'on s'en convaincra si on le rapproche de l'article 5 qui suit immédiatement : « Si quis hominem migrantem adsallierit, 62 1/2 solidos culpabilis judicetur (4404, Munich); on remarque que, dans les deux articles également, il s'agit du migrans, et, dans les deux aussi, d'une attaque à main armée. Si la peine est triple dans le premier, c'est à cause de la lettre du roi, qui suppose la mundebour royale et par conséquent le triple wergeld. Mais pas plus dans l'un que dans l'autre article il n'est question de l'admission dans un village. Tous les manuscrits de l'Emendata traduisent notre article sous cette forme : « Si quis hominem præceptum regis habentem adsallierit vel viæ laciniam ei facere præsumpserit, CC solidos culp. jud. » — Il est bon de noter que le mot testare qui se lit dans 4404, Wolfenbuttel, Munich, 9653, 4403, et Montpellier, manque dans tous les autres manuscrits. Il est remplacé par restare (18237) ou viæ laciniam facere; les Septem causa, éd. Behrend, p. 130, portent : « Contra ordinationem regis stare. » Ainsi l'observation attentive de cet article 14 ne laisse voir aucun rapport avec l'article 45.

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(1) Voyez les formules de vente, Marculfe, II, 19 et 21; Rozière, n° 268, 269, 271, 272, 273, 274, 278. Formules de constitution de dot, avec don de terre, Marculfe, II, 15; Rozière, no 223, 228, 229, 230, 231. - Formules de cession, Rozière, n° 161, 164, 165, 167, 171. Formules d'échange de biens ruraux, concambium de terra, Marculfe, II, 23 et 24; Rozière, no 303, 304, 305, 306, 307, 310. Actes de partage de succession, Marculfe, I, 20; II, 14; Rozière, nos 123, 124, 126, 127. Formules de testament, Marculfe, II, 19; Rozière, no 128, 129, 130. plomata, édition Pardessus, passim.

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(2) « Secundum legem salicam », Formules, no 228, 229.

Di

« Dono tibi secun

droit des Francs permet de vendre ou de céder sa terre à qui l'on veut (1) ». Il ne s'agit même pas ici d'un droit nouveau ; les chartes disent que cela est permis << par la vieille coutume (2) ».

Dira-t-on que notre titre XLV était une vieille disposition d'un droit primitif qui avait pu tomber en désuétude, et que c'est pour cette raison que les chartes sont en désaccord avec lui? Cette hypothèse n'est pas soutenable. Car, d'une part, nous savons que Charlemagne l'avait maintenu intégralement dans le texte revisé, et d'autre part nous possédons un document de l'année 819, dont nous parlerons plus loin, dans lequel ce même titre XLV est cité comme étant en pleine vigueur.

On devrait donc nous expliquer comment il se fait qu'un article de la loi salique puisse décrire un régime de communauté rurale, tandis que tous les documents, tous les écrivains, durant quatre siècles, et toutes les chartes faites suivant la loi salique » décrivent un régime de propriété individuelle, sans faire la moindre allusion aux droits d'une communauté. En présence de cette difficulté, et puisqu'il est bien certain que le titre De migrantibus est le seul document sur lequel cette théorie d'une communauté rurale puisse s'appuyer, il me paraît sage d'étudier de près ce passage de la loi, et de vérifier s'il a réellement la signification qu'on lui attribue.

dum legem salicam mansum juris mei... ut quidquid exinde facere volueris liberam habeas potestatem », Formules, no 231.

(1) a Leges et jura sinunt et convenientia Francorum est ut de facultatibus suis quisque quod facere voluerit liberam habeat potestatem. » Charte d'Engelbert en Toxandrie, dans les Diplomata, no. 474 et 485. Il est vrai que M. Sohm a soutenu que facultas ne désignait que des biens mobiliers; mais cela est démenti par un grand nombre de passages, et d'abord par celui-ci même; la suite de la phrase d'Engelbert montre en effet que ses facultates comprennent casatas cum sala, cum silvis, terris, pratis, et il donne tout cela en pleine et absolue propriété.

(2) Formules, no 171 : « Unicuique de rebus suis lex et consuetudo longinqua percurrit facere quod voluerit... Idcirco mansum illum tibi dono. » — Ibidem, no 205 : « Priscorum patrum sanxit auctoritas ut unusquisque de rebus suis propriis ubicumque voluerit dare... Idcirco vendimus campum illum. » — Des diplômes du pays de Trèves marquent qu'on vend une terre secundum legem salicam, et on la vend sans consulter les voisins: Hontheim, Hist. Trevir. diplomatica, no 32, 34, 35, t. I, p. 105, 107, 108.

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