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vent avait secoué le joug de cette loi, se laisse charger de ce lourd fardeau sans peine et sans résistance, convaincu par expérience que le mépris qu'on en avait fait avait attiré tous les maux où on se voyait plongé. Les usures sont réprimées selon le texte de la Loi, les propres termes en étaient cités ; les mariages contractés sont cassés, sans que personne réclamât. Si la Loi eût été perdue,ou en tout cas oubliée, aurait-on vu tout le peuple agir naturellement en conséquence de cette loi, comme l'ayant eue toujours présente? Comment est-ce que tout ce peuple pouvait écouter Aggée, Zacharie et Malachie qui prophétisaient alors, qui, comme les autres prophètes leurs prédécesseurs, ne leur prêchaient que « Moïse et la loi que Dieu lui avait donnée en Horeb (1): » et cela comme une chose connue et de tout temps en vigueur dans la nation? Mais comment, dit-on, dans le même temps, et dans le retour du peuple, que tout ce peuple admira l'accomplissement de l'oracle de Jérémie touchant les soixaute-dix ans de captivité (2)? Ce Jérémie, qu'Esdras venait de forger avec tous les autres prophètes, comment a-t-il tout d'un coup trouvé créance? Par quel artifice nouveau a-t-on pu persuader à tout un peuple, et aux vieillards qui avaient vu ce prophète, qu'ils avaient toujours attendu la délivrance miraculeuse qu'il leur avait annoncée dans ses écrits ? Mais tout cela sera encore supposé Esdras et Néhémias n'auront point écrit l'histoire de leur temps; quelque autre l'aura faite sous leur nom; et ceux qui ont fabriqué tous les autres livres de l'ancien Testament auront été si favorisés de la postérité, que d'autres faussaires leur en auront supposé à eux-mêmes, pour donner créance à leur imposture.

On aura honte sans doute de tant d'extravagances; et au lieu de dire qu'Esdras ait fait tout d'un coup paraître tant de livres si distingués les uns des autres par les caractères du style et du temps, on dira qu'il y aura pu insérer les miracles et les prédictions qui les font passer pour divins: erreur plus grossière encore que la précédente, puisque ces miracles et

(1) MAL. IV. 4.—(2) II. PAR. XXXXI. 21, 22. I. ESDR. 1. 1.

ces prédictions sont tellement répandus dans tous ces livres, sont tellement inculqués et répétés si souvent, avant tant de tours divers et une si grande variété de fortes figures, en un mot, en font tellement tout le corps, qu'il faut n'avoir jamais seulement ouvert ces saints livres, pour ne voir pas qu'il est encore plus aisé de les refondre, pour ainsi dire, tout à fait, que d'y insérer les choses que les incrédules sont si fâchés d'y trouver. Et quand même on leur aurait accordé tout ce qu'ils demandent, le miraculeux et le divin est tellement le fond de ces livres, qu'il s'y retrouverait encore, malgré qu'on en eût. Qu'Esdras, si on veut, y ait ajouté après coup les prédictions des choses déjà arrivées de son temps: celles qui se sont accomplies depuis, par exemple sous Antiochus et les Machabées, et tant d'autres que l'on a vues, qui les aura ajoutées? Dieu aura peut-être donné à Esdras le don de prophétie, afin que l'imposture d'Esdras fût plus vraisemblable; et on aimera mieux qu'un faussaire soit prophète, qu'Isaïe, ou que Jérémie, ou que Daniel; ou bien chaque siècle aura porté un faussaire heureux, que tout le peuple en aura cru; et de nouveaux imposteurs, par un zèle admirable de religion, auront sans cesse ajouté aux livres divins, après même que le canon en aura été clos, qu'ils se seront répandus avec les Juifs par toute la terre, et qu'on les aura traduits en tant de langues étrangères. N'eût-ce pas été, à force de vouloir établir la religion, la détruire par les fondements? Tout un peuple laisse-t-il donc changer si facilement ce qu'il croit être divin, soit qu'il le croie par raison ou par erreur? Quelqu'un peut-il espérer de persuader aux chrétiens ou même aux Turcs, d'ajouter un seul chapitre ou à l'Évangile, ou à l'Alcoran? Mais peut-être que les Juifs étaient plus dociles que les autres peuples, ou qu'ils étaient moins religieux à conserver leurs saints livres? Quels monstres d'opinions se fautil mettre dans l'esprit, quand on veut secouer le joug de l'autorité divine, et ne régler ses sentiments, non plus que ses mœurs, que par sa raison égarée?

CHAPITRE XXVIII.

LES DIFFICULTÉS QU'ON FORME CONTRE L'ÉCRITURE SONT AISÉES A VAINCRE PAR LES HOMMES DE BON SENS ET DE BONNE FOI.

Qu'on ne dise pas que la discussion de ces faits est embarrassante car, quand elle le serait, il faudrait ou s'en rapporter à l'autorité de l'Eglise et à la tradition de tant de siècles, ou pousser l'examen jusqu'au bout, et ne pas croire qu'on en fût quitte pour dire qu'il demande plus de temps qu'on n'en veut donner à son salut. Mais au fond, sans remuer avec un travail infini les livres des deux Testaments, il ne faut que lire le livre des Psaumes, où sont recueillis tant d'anciens cantiques du peuple Dieu, pour y voir, dans la plus divine poésie qui fut jamais, des monuments immortels de l'histoire de Moïse, de celle des Juges, de celle des Rois, imprimés par le chant et par la mesure dans la mémoire des hommes. Et pour le nouveau Testament, les seules Epîtres de saint Paul, si vives, si originales, si fort du temps, des affaires et des mouvements qui étaient alors, et enfin d'un caractère si marqué; ces Epîtres, dis-je, reçues par les Églises auxquelles elles étaient adressées, et de là communiquées aux autres Églises, suffiraient pour convaincre les esprits bien faits, que tout est sincère et original dans les Ecritures que les apôtres nous ont laissées.

Aussi se soutiennent-elles les unes les autres avec une force invincible. Les Actes des Apôtres ne font que continuer l'Evangile; leurs Epîtres le supposent nécessairement mais afin que tout soit d'accord, et les Actes et les Epîtres et les Evangiles réclament partout les anciens livres des Juifs (1). Saint Paul et les autres apôtres ne cessent d'alléguer ce que Moïse a dit, ce qu'il a écrit (2), ce que les prophètes ont dit

(1) ACT. III. 22; vII. 22, etc. (2) Rom. x. 5, 19.

et écrit après Moïse. Jésus-Christ appelle en témoignage la loi de Moïse, les prophètes et les Psaumes (1), comme des témoins qui déposent tous de la même vérité. S'il veut expliquer ses mystères, il commence par Moïse et par les prophètes (2); et quand il dit aux Juifs que Moïse a écrit de lui (3), il pose pour fondement ce qu'il y avait de plus constant parmi eux, et les ramène à la source même de leurs traditions.

Voyons néanmoins ce qu'on oppose à une autorité si reconnue, et au consentement de tant de siècles : car puisque de nos jours on a bien osé publier en toute sorte de langues des livres contre l'Ecriture, il ne faut point dissimuler ce qu'on dit pour décrier ses antiquités. Que dit-on donc pour autoriser la supposition du Pentateuque, et que peut-on objecter à une tradition de trois mille ans, soutenue par sa propre force et par la suite des choses? Rien de suivi, rien de positif, rien d'important: des chicanes sur des nombres, sur des lieux, ou sur des noms: et de telles observations, qui dans toute autre matière ne passeraient tout au plus que pour de vaines curiosités incapables de donner atteinte au fond des choses, nous sont ici alléguées comme faisant la décision de l'affaire la plus sérieuse qui fut jamais.

Il y a, dit-on, des difficultés dans l'histoire de l'Ecriture. Il y en a sans doute qui n'y seraient pas si le livre était moins ancien, ou s'il avait été supposé, comme on l'ose dire, par un homme habile et industrieux; si l'on eût été moins religieux à le donner tel qu'on le trouvait, et qu'on eût pris la liberté d'y corriger ce qui faisait de la peine. Il y a les difficultés que fait un long temps, lorsque les lieux ont changé de nom ou d'état, lorsque les dates sont oubliées, lorsque les généalogies ne sont plus connues, qu'il n'y a plus de remède aux fautes qu'une copie tant soit peu négligée introduit si aisément en de telles choses, ou que des faits échappés à la mémoire des hommes laissent de l'obscurité dans quelque partie de l'histoire. Mais enfin cette obscurité est-elle dans la suite même, ou dans le fond de l'affaire? Nullement : tout y

(1) Luc. xxiv. 44. — (2) Ibid. 27. — (3) JOAN. v. 46, 47.

est suivi; et ce qui reste d'obscur ne sert qu'à faire voir dans les livres saints une antiquité plus vénérable.

Mais il y a des altérations dans le texte : les anciennes versions ne s'accordent pas; l'hébreu en divers endroits est diffèrent de lui-même ; et le texte des Samaritains, outre le mot qu'on les accuse d'y avoir changé exprès (1) en faveur de leur temple de Garizim, diffère encore en d'autres endroits de celui des Juifs. Et de là que conclura-t-on ? que les Juifs ou Esdras auront supposé le Pentateuque au retour de la captivité? C'est justement tout le contraire qu'il faudra conclure. Les différences du samaritain ne servent qu'à confirmer ce que nous avons déjà établi, que leur texte est indépendant de celui des Juifs. Loin qu'on puisse s'imaginer que ces schismatiques aient pris quelque chose des Juifs et d'Esdras, nous avons vu au contraire que c'est en haine des Juifs et d'Esdras, et en haine du premier et du second temple, qu'ils ont inventé leur chimère de Garizim. Qui ne voit donc qu'ils auraient plutôt accusé les impostures des Juifs que de les suivre? Ces rebelles, qui ont méprisé Esdras et tous les prophètes des Juifs, avec leur temple et Salomon qui l'avait bâti, aussi bien que David qui en avait désigné le lieu, qu'ont-ils respecté dans leur Pentateuque, sinon une antiquité supérieure nonseulement à celle d'Esdras et des prophètes, mais encore à celle de Salomon et de David, en un mot, l'antiquité de Moïse, dont les deux peuples conviennent? Combien donc est incontestable l'autorité de Moïse et du Pentateuque, que toutes les objections ne font qu'affermir!

Mais d'où viennent ces variétés des textes et des versions? D'où viennent-elles en effet, sinon de l'antiquité du livre même, qui a passé par les mains de tant de copistes depuis tant de siècles, que la langue dans laquelle il est écrit a cessé d'être commune? Mais laissons ces vaines disputes, et tranchons en un mot la difficulté par le fond. Qu'on me dise s'il n'est pas constant que de toutes les versions, et de tout le texte, quel qu'il soit, il en reviendra toujours les mêmes lois,

(1) DEUT. XXVII. 4.

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