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pour châtier, ou pour exercer, ou pour étendre, ou pour protéger son peuple, voulant se faire connaître pour l'auteur d'un si admirable conseil, en a découvert le secret à ses prophètes, et leur a fait prédire ce qu'il avait résolu d'exécuter. C'est pourquoi, comme les empires entraient dans l'ordre des desseins de Dieu sur le peuple qu'il avait choisi, la fortune de ces empires se trouve annoncée par les mêmes oracles du SaintEsprit qui prédisent la succession du peuple fidèle.

Plus vous vous accoutumerez à suivre les grandes choses, et à les rappeler à leurs principes, plus vous serez en admiration de ces conseils de la Providence. Il importe que vous en preniez de bonne heure les idées, qui s'éclairciront tous les jours de plus en plus dans votre esprit, et que vous appreniez à rapporter les choses humaines aux ordres de cette sagesse éternelle dont elles dépendent.

Dieu ne déclare pas tous les jours ses volontés par ses prophètes touchant les rois et les monarchies qu'il élève ou qu'il détruit. Mais l'ayant fait tant de fois dans ces grands empires dont nous venons de parler, il nous montre, par ces exemples fameux, ce qu'il fait dans tous les autres; et il apprend aux rois ces deux vérités fondamentales: premièrement, que c'est lui qui forme les royaumes pour les donner à qui il lui plaît; et secondement, qu'il sait les faire servir, dans les temps et dans l'ordre qu'il a résolus, aux desseins qu'il a sur son peuple.

C'est ce qui doit tenir tous les princes dans une entière dépendance, et les rendre toujours attentifs aux ordres de Dieu, afin de prêter la main à ce qu'il médite pour sa gloire dans toutes les occasions qu'il leur en présente.

Mais cette suite des empires, même à la considérer plus humainement, a de grandes utilités, principalement pour les princes, puisque l'arrogance, compagne ordinaire d'une condition si éminente, est si fortement rabattue par ce spectacle. Car si les hommes apprennent à se modérer en voyant mourir les rois, combien plus seront-ils frappés en voyant mourir les royaumes mêmes? et où peut-on recevoir une plus belle leçon de la vanité des grandeurs humaines?

Ainsi, quand vous voyez passer comme en un instant de

vant vos yeux, je ne dis pas les rois et les empereurs, mais ces grands empires qui ont fait trembler tout l'univers ; quand vous voyez les Assyriens anciens et nouveaux, les Mèdes, les Perses, les Grecs, les Romains, se présenter devant vous successivement, et tomber, pour ainsi dire, les uns sur les autres ce fracas effroyable vous fait sentir qu'il n'y a rien de solide parmi les hommes, et que l'inconstance et l'agitation est le propre partage des choses humaines.

CHAPITRE II.

LES RÉVOLUTIONS DES EMPIRES ONT DES CAUSES PARTICULIÈRES QUE LES PRINCES DOIVENT ÉTUDIER.

Mais ce qui rendra ce spectacle plus utile et plus agréable, ce sera la réflexion que vous ferez, non-seulement sur l'élévation et sur la chute des empires, mais encore sur les causes de leur progrès et sur celles de leur décadence.

Car ce même Dieu qui a fait l'enchaînement de l'univers, et qui, tout-puissant par lui-même, a voulu, pour établir l'ordre, que les parties d'un si grand tout dépendissent les unes des autres; ce même Dieu a voulu aussi que le cours des choses humaines eût sa suite et ses proportions: je veux dire que les hommes et les nations ont eu des qualités proportionnées à l'élévation à laquelle ils étaient destinés; et qu'à la réserve de certains coups extraordinaires, où Dieu voulait que sa main parût toute seule, il n'est point arrivé de grand changement qui n'ait eu ses causes dans les siècles précédents.

Et comme dans toutes les affaires il y a ce qui les prépare, ce qui détermine à les entreprendre, et ce qui les fait réussir; la vraie science de l'histoire est de remarquer dans chaque temps ces secrètes dispositions qui ont préparé les grands changements, et les conjonctures importantes qui les ont fait arriver.

En effet, il ne suffit pas de regarder seulement devant ses yeux, c'est-à-dire de considérer ces grands événements qui décident tout à coup de la fortune des empires. Qui veut entendre à fond les choses humaines doit les reprendre de plus haut; et il lui faut observer les inclinations et les mœurs, ou, pour dire tout en un mot, le caractère, tant des peuples dominants en général que des princes en particulier, et enfin de tous les hommes extraordinaires qui, par l'importance du personnage qu'ils ont eu à faire dans le monde, ont contribué, en bien ou en mal, au changement des Etats et à la fortune publique.

J'ai tâché de vous préparer à ces importantes réflexions dans la première partie de ce Discours; vous y aurez pu observer le génie des peuples, et celui des grands hommes qui les ont conduits. Les événements qui ont porté coup dans la suite ont été montrés; et afin de vous tenir attentif à l'enchaìnement des grandes affaires du monde, que je voulais principalement vous faire entendre, j'ai omis beaucoup de faits particuliers dont les suites n'ont pas été si considérables. Mais parce qu'en nous attachant à la suite, nous avons passé trop vite sur beaucoup de choses, pour pouvoir faire les réflexions qu'elles méritaient, vous devez maintenant vous y attacher avec une attention plus particulière, et accoutumer votre esprit à rechercher les effets dans leurs causes les plus éloignées.

Par là vous apprendrez ce qu'il est si nécessaire que vous sachiez qu'encore qu'à ne regarder que les rencontres particulières, la fortune semble seule décider de l'établissement et de la ruine des empires, à tout prendre, il en arrive à peu près comme dans le jeu, où le plus habile l'emporte à la longue.

En effet, dans ce jeu sanglant où les peuples ont disputé de l'empire et de la puissance, qui a prévu de plus loin, qui s'est le plus appliqué, qui a duré le plus longtemps dans les grands travaux, et enfin qui a su le mieux ou pousser ou se ménager suivant la rencontre, à la fin a eu l'avantage, et a fait servir la fortune même à ses desseins.

Ainsi ne vous lassez point d'examiner les causes des grands

changements puisque rien ne servira jamais tant à votre instruction; mais recherchez-les surtout dans la suite des grands empires, où la grandeur des événements les rend plus palpables.

CHAPITRE III.

LES SCYTHES, LES ÉTHIOPIENS ET LES ÉGYPTIENS.

Je ne compterai pas ici parmi les grands empires celui de Bacchus, ni celui d'Hercule, ces célèbres vainqueurs des Indes et de l'Orient. Leurs histoires n'ont rien de certain, leurs conquêtes n'ont rien de suivi: il les faut laisser célébrer aux poètes, qui en ont fait le plus grand sujet de leurs fables.

Je ne parlerai pas non plus de l'empire que les Madyes d'Hérodote (1), qui ressemble assez à l'Indathyrse de Mégasthène (2) et au Tanaüs de Justin (3), établit pour un peu de temps dans la grande Asie. Les Scythes, que ce prince menait à la guerre, ont plutôt fait des courses que des conquêtes. Ce ne fut que par rencontre et en poussant les Cimmériens, qu'ils entrèrent dans la Médie, battirent les Mèdes, et leur enlevèrent cette partie de l'Asie où ils avaient établi leur domination. Ces nouveaux conquérants n'y régnèrent que vingt-huit ans. Leur impiété, leur avarice, et leur brutalité, la leur fit perdre; et Cyaxare, fils de Phraorte, sur lequel ils l'avaient conquise, les en chassa. Ce fut plutôt par adresse que par force. Réduit à un coin de son royaume, que les vainqueurs avaient négligé, ou que peut-être ils n'avaient pu forcer, il attendit avec patience que ces conquérants brutaux eussent excité la haine publique, et se défissent eux-mêmes par le désordre de leur gouvernement.

Nous trouvons encore dans Strabon (4), qui l'a tiré du même

(1) HEROD. lib. 1, c. 103. lib. 1, c. 1.--- (4) Lib. xv.

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init.

(2) STRAB. init. lib. xv. (3) JUSTIN.

Mégasthène, un Téarcon roi d'Éthiopie : ce doit être le Tharaca de l'Écriture (1), dont les armes furent redoutées du temps de Sennachérib, roi d'Assyrie. Ce prince pénétra jusqu'aux colonnes d'Hercule, apparemment le long de la côte d'Afrique, et passa jusqu'en Europe. Mais que dirais-je d'un homme dont nous ne voyons dans les historiens que quatre ou cinq mots, et dont la domination n'a aucune suite?

Les Ethiopiens, dont il était roi, étaient, selon Hérodote (2), les mieux faits de tous les hommes, et de la plus belle taille. Leur esprit était vif et ferme; mais ils prenaient peu de soin de le cultiver, mettant leur confiance dans leurs corps robustes et dans leurs bras nerveux. Leurs rois étaient électifs, et ils mettaient sur le trône le plus grand et le plus fort. On peut juger de leur humeur par une action que nous raconte Hérodote. Lorsque Cambyse leur envoya, pour les surprendre, des ambassadeurs et des présents tels que les Perses les donnaient, de la pourpre, des bracelets d'or, et des compositions de parfums, ils se moquèrent de ses présents, où ils ne voyaient rien d'utile à la vie, aussi bien que de ses ambassadeurs, qu'ils prirent pour ce qu'ils étaient, c'est-à-dire pour des espions. Mais leur roi voulut aussi faire un présent à sa mode au roi de Perse; et, prenant en main un arc qu'un Perse eût à peine soutenu, loin de le pouvoir tirer, il le banda en présence des ambassadeurs, et leur dit : « Voici le conseil que le roi d'Ethiopie donne au roi de Perse. Quand les Perses se pourront servir aussi aisément que je viens de faire d'un arc de cette grandeur et de cette force, qu'ils viennent attaquer les Ethiopiens, et qu'ils amènent plus de troupes que n'en a Cambyse. En attendant, qu'ils rendent grâces aux dieux, qui n'ont pas mis dans le cœur des Ethiopiens le désir de s'étendre hors de leur pays.» Cela dit, il débanda l'arc, et le donna aux ambassadeurs. On ne peut dire quel eût été l'événement de la guerre. Cambyse, irrité de cette réponse, s'avança vers l'Ethiopie comme un insensé, sans ordre, sans convois, sans discipline, et vit périr son armée, faute de

(1) IV. REG. XIX. 9. Is. XXXVII. 9.- (2) HEROD. lib. 111, cap. 20.

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