Le genre tempéré tient le milieu entre le simple et le sublime. Il est susceptible de fleurs et d'ornemens. Ces ornemens sont certains tours qui contribuent à rendre le discours plus agréable. Or, de même que le genre sublime peut être comparé à ces édifices magnifiques, dont l'architecture est d'un dessein grand et majestueux, et qui sont consacrés au culte divin, ou destinés pour être la demeure des rois, on peut dire aussi que le genre tempéré doit être comparé aux bâtimens qui sont habités par les particuliers, mais où l'art, l'élégance, la richesse même, brillent de toutes parts, et qui ont quelque chose de fin et d'un goût exquis. Dans le genre dont il s'agit la beauté de l'imagination règne ordinairement : les pensées en sont nobles et délicates, les images en sont gracieuses et brillantes sans phébus ni clinquant, et les expressions élégantes et choisies. Mais lorsque ce genre est employé dans la poésie, on peut dire que l'harmonie en rehausse le prix, et qu'elle en augmente le charme par cet heureux mélange d'expressions sonores et mélodieuses dont l'assortiment fait une impression très-agréable sur l'oreille.
On l'emploie ordinairement dans tous les sujets qui ne sont point du ressort du sublime, ni du haut dramatique, et qui sont capables d'amuser agréablement les hommes. C'est dans ce genre que l'on traite les églogues, les satires, les épîtres, les descriptions champêtres, les relations familières, tels que sont les contes, les faits particuliers qui ne tiennent à rien d'héroïque ni de merveilleux. Enfin, c'est le genre avec lequel on dépeint tout ce qu'il y a de riant et de gracieux dans la nature ; on s'en sert même pour critiquer ingénieusement les mœurs
et les ouvrages; en un mot, pour toutes les productions de l'esprit qui contribuent à l'amusement de la société.
Critique badine du monde.
Dans cette pièce, un poëte qui était sollicité par un ami de quitter sa solitude, et de venir dans le monde y faire connaître ses talens, vante le bonheur du loisir littéraire dont il jouit, et prend de là occasion de faire une critique fine et ingénieuse des divers désagrémens que l'on a à essuyer dans le monde, et de tout ce qui peut choquer un homme de goût.
Heureux qui, dans la paix secrète D'une libre et belle retraite, Vit ignoré, content de
Et qui ne se voit point sans cesse Jouet de l'aveugle déesse, Ou dupe de l'aveugle dieu!... Là, dans la liberté suprême Semant de fleurs tous les instans, Dans l'empire de l'hiver même On trouve les jours du printemps. Calme heureux, loisir solitaire! Quel lieu n'a point de quoi nous plaire Lorsqu'on y trouve le bonheur ! Lorsqu'on y vit sans spectateur Dans le silence littéraire, Loin de tout importun jaseur Loin des froids discours du vulgaire Et des hauts tons de la grandeur; Loin de ces troupes doucereuses Où d'insipides précieuses, Où de petits fats, ignorans, Viennent, conduits par la folie, S'ennuyer en cérémonie
Et s'endormir en complimens; Loin de ces ignobles Zoiles, De ces enfileurs de dactyles, Coiffés de phrases imbéciles, Et de classiques préjugés, Et qui de l'enveloppe épaisse Des pédans de Rome et de Grèce N'étant point encor dégagés,
Portent leur petite sentence Sur la rime et sur les auteurs, Avec autant de connaissance Qu'un aveugle en a des couleurs; Loin de la gravité chinoise De ce vieux druide empesé, Qui sous un air symétrisé
Parle à trois temps, rit à la toise, Regarde d'un œil apprêté, Et m'ennuie avec dignité; Loin de tous ces faux cénobites, Qui voués encor tout entiers Aux vanités qu'ils ont proscrites, Errant de quartiers en quartiers, Vont dans d'équivoques visites Porter leurs faces parasites Et le dégoût de leurs moutiers; Loin de ces faussets du Parnasse, Qui pour avoir glapi par fois Quelque épithalame à la glace Dans un petit monde bourgeois, Ne causent plus qu'en folles rimes, Ne vous parlent que d'Apollon, De Pégase et de Cupidon, Et telles fadeurs synonymes, Ignorant que ce vieux jargon Rélégué dans l'ombre des classes, N'est plus aujourd'hui de saison · Chez la brillante fiction; Que les tendres lyres des Grâces Se montent sur un autre ton; Et qu'enfin, de la foule obscure Qui rampe au marais d'Hélicon, Pour sauver ses vers et son nom, Il faut être sans imposture L'interprète de la nature Et le peintre de la raison... Jugez si toute solitude
Qui nous sauve de tous ces bruits, N'est point l'asile et le pourpris De l'entière béatitude.
Que dis-je? est-on seul après tout, Lorsque touché de plaisirs sages, On s'entretient dans les ouvrages Des dieux de la lyre et du goût? Tantôt de l'azur d'un nuage Plus brillant que les plus beaux jours, Je vois sortir l'ombre volage
D'Anacréon, ce tendre sage, Le Nestor du galant rivage, Le patriarche des amours. Épris de son doux badinage Horace accourt à ses accens, Horace, l'ami du bon sens, Philosophe sans verbiage, Et poëte sans fade encens. C'est ainsi que par la présence
De ces morts vainqueurs des destins, On se console de l'absence,
De l'oubli même des humains... Pourquoi dans leur foule importune Voudriez-vous me rétablir? Leur estime ni leur fortune Ne me coûte point un désir... De la sublime poësie Profanant la noble harmonie, Irais-je, par de vains accens Chatouiller l'oreille engourdie De cent ignares importans Dont l'âme massive, assoupie Dans des organes impuissans, Ou livrée aux fougues des sens, Ignore les dons du génie Et les plaisirs des sentimens? Pourrais-je au char de l'immortelle M'enchaîner encor pour long-temps; Quand j'aurai passé mon printemps, Pourrais-je encor vivre avec elle? Suivrais-je un jour à pas pesans Ces vieilles muses douairières, Ces mères septuagénaires Du madrigal et des sonnets, Qui n'ayant été que poëtes, Rimailient encore en lunettes, Et meurent au bruit des sifflets.
Le poëte, dans les vers suivans, fait la description d'une maison de campagne où il allait passer quelque temps tous les ans, et de là il prend occasion de vanter
le bonheur d'une vie retirée, où l'on est à l'abri du tumulte des villes.
Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville, Et contre eux la campagne est mon unique asile. Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau? C'est un petit village ou plutôt un hameau Bâti sur le penchant d'un long rang de collines, Où l'oeil s'égare au loin dans les plaines voisines. La Seine au pied des monts que son flot vient laver, Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever, Qui, partageant son cours en diverses manières, D'une rivière seule y forment vingt rivières. Tous ses bords sont couverts de saules non plantés, Et de noyers souvent du passant insultés. Le village au-dessus forme un amphithéâtre : L'habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre; Et dans le roc qui cède et se coupe aisément, Chacun sait de sa main se faire un logement. La maison du Seigneur seule un peu plus ornée Se présente au-dehors de murs environnée. Le soleil en naissant la regarde d'abord, Et le mont la défend des outrages du nord. C'est là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille Met à profit les jours que la parque me file: Ici dans un vallon bornant tous mes désirs, J'achète à peu de frais de solides plaisirs. Tantôt un livre en main errant dans les prairies, J'occupe ma raison d'utiles rêveries :
Tantôt cherchant la fin d'un vers que je construis, Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui. Quelquefois aux appâts d'un hameçon perfide J'amorce en badinant le poisson trop avide; Ou d'un plomb qui fuit l'œil et part avec l'éclair Je vais faire la guerre aux habitans de l'air. Une table, au retour, propre et non magnifique, Nous présente un repas agréable et rustique. Là, sans s'assujétir aux dogmes de Broussain,
Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange est sain : La maison le fournit, la fermière l'ordonne, Et mieux que Bergerat l'appétit l'assaisonne. O fortuné séjour! ô champs aimés des cieux! Que pour jamais foulant vos prés délicieux, Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde, Et connu de vous seul oublier tout le monde !
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