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« Et nous disent encor ce qu'il fut autrefois.

« Je me promets du fils ce que j'ai vu du père;
« Et ma fille, en un mot, peut l'aimer et me plaire.
Il allait au conseil, dont l'heure qui pressait

A tranché ce discours qu'à peine il commençait;
Mais à ce peu de mots je crois que sa pensée
Entre vos deux amants n'est pas fort balancée.
Le roi doit à son fils élire un gouverneur,
Et c'est lui que regarde un tel degré d'honneur;
Ce choix n'est pas douteux, et sa rare vaillance
Ne peut souffrir qu'on craigne aucune concurrence.
Comme ses hauts exploits le rendent sans égal,
Dans un espoir si juste il sera sans rival :
Et puisque don Rodrigue a résolu son père
Au sortir du conseil à proposer l'affaire,

Je vous laisse à juger s'il prendra bien son temps,
Et si tous vos désirs seront bientôt contents.

CHIMÈNE.

Il semble toutefois que mon âme troublée
Refuse cette joie, et s'en trouve accablée.
Un moment donne au sort des visages divers,
Et dans ce grand bonheur je crains un grand revers.

ELVIRE.

Vous verrez cette crainte heureusement déçue.

CHIMÈNE.

Allons, quoi qu'il en soit, en attendre l'issue.

SCÈNE II.

L'INFANTE, LÉONOR, PAGE1.

L'INFANTE.

Page, allez avertir Chimène de ma part

Qu'aujourd'hui pour me voir elle attend un peu tard,

Racine se moqua de ce vers dans la farce des Plaideurs; il y dit d'un vieux huissier :

Ses rides sur son front gravaient tous ses exploits.

Cette plaisanterie ne plut point du tout à l'auteur du Cid. (V.)

C'est ici un défaut intolérable pour nous. La scène reste vide, les scènes ne sont point liées, l'action est interrompue. Pourquoi les acteurs précédents s'en vont-ils ? pourquoi ces nouveaux acteurs viennent-ils? comment l'un peut-il s'en aller et l'autre arriver sans se voir? commout Chimène peut-elle voir l'infante sans la saluer? Ce grand

Et que mon amitié se plaint de sa paresse.

LÉONOR.

(Le page rentre.)

Madame, chaque jour même désir vous presse;
Et dans son entretien je vous vois chaque jour
Demander en quel point se trouve son amour.
L'INFANTE.

Ce n'est pas sans sujet; je l'ai presque forcée
A recevoir les traits dont son âme est blessée :
Elle aime don Rodrigue, et le tient de ma main,
Et par moi don Rodrigue a vaincu son dédain;
Ainsi de ces amants ayant formé les chaînes,
Je dois prendre intérêt à voir finir leurs peines.
LÉCNOR.

Madame, toutefois parmi leurs bons succès
Vous montrez un chagrin qui va jusqu'à l'excès.
Cet amour, qui tous deux les comble d'allégresse,
Fait-il de ce grand cœur la profonde tristesse?
Et ce grand intérêt que vous prenez pour eux
Vous rend-il malheureuse alors qu'ils sont heureux?
Mais je vais trop avant, et deviens indiscrète.

L'INFANTE.

Ma tristesse redouble à la tenir secrète.
Écoute, écoute enfin comme j'ai combattu,
Ecoute quels assauts brave encor ma vertu.
L'amour est un tyran qui n'épargne personne.
Ce jeune cavalier, cet amant que je donne,
Je l'aime.

1

LÉONOR.

Vous l'aimez !

L'INFANTE.

Mets la main sur mon coeur,

Et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur,
Comme il le reconnaît.

LÉONOR.

Fardonnez-moi, madame,

défaut était commun à toute l'Europe, et les Français seuls s'en sont corrigés. Plus il est difficile de lier toutes les scènes, plus cette difficulte vaincuc a de mérite; mais il ne faut pas la surmonter aux dépens de la vraisemblance et de l'intérêt. C'est un des secrets de ce grand art de la tragédie, inconnu encore à la plupart de ceux qui l'exercent. Nonseulement on a retranché cette scène de l'infante, mais on a supprimé tout son rôle. (V)

Si je sors du respect pour blâmer cette flamme.
Une grande princesse à ce point s'oublier
Que d'admettre en son cœur un simple cavalier!
Et que dirait le roi, que dirait la Castille?
Vous souvient-il encor de qui vous êtes fille?

L'INFANTE.

Il m'en souvient si bien, que j'épandrai mon sang
Avant que je m'abaisse à démentir mon rang.
Je te répondrais bien que dans les belles âmes
Le seul mérite a droit de produire des flammes;
Et, si ma passion cherchait à s'excuser,

Mille exemples fameux pourraient l'autoriser :
Mais je n'en veux point suivre où ma gloire s'engage;
La surprise des sens n'abat point mon courage;
Et je me dis toujours qu'étant fille de rói,
Tout autre qu'un monarque est indigne de moi.
Quand je vis que mon cœur ne se pouvait défendre,
Moi-même je donnai ce que je n'osais prendre.
Je mis, au lieu de moi, Chimène en ses liens,
Et j'allumai leurs feux pour éteindre les miens.
Ne t'étonne donc plus si mon âme gênée
Avec impatience attend leur hyménée :
Tu vois que mon repos en dépend aujourd'hui.
Si l'amour vit d'espoir, il périt avec lui,
C'est un feu qui s'éteint, faute de nourriture;
Et, malgré la rigueur de ma triste aventure,
Si Chimène a jamais Rodrigue pour mari,
Mon espérance est morte, et mon esprit guéri.

Je souffre cependant un tourment incroyable.
Jusques à cet hymen Rodrigue m'est aimable:
Je travaille à le perdre, et le perds à regret;
Et de là prend son cours mon déplaisir secret.
Je vois avec chagrin que l'amour me contraigne
A pousser des soupirs pour ce que je dédaigne;
Je sens en deux partis mon esprit divisé.
Si mon courage est haut, mon cœur est embrasé.
Cet hymen m'est fatal, je le crains et souhaite :
Je n'ose en espérer qu'une joie imparfaite.
Ma gloire et mon amour ont pour moi tant d'appas,
Que je meurs s'il s'achève, ou ne s'achève pas

LÉONOR.

Madame, après cela je n'ai rien à vous dire,
Sinon que de vos maux avec vous je soupire :
Je vous blåmais tantôt, je vous plains à présent :
Mais, puisque dans un mal si doux et si cuisant
Votre vertu combat et son charme et sa force,
En repousse l'assaut, en rejette l'amorce,
Elle rendra le calme à vos esprits flottants.
Espérez donc tout d'elle, et du secours du temps:
Espérez tout du ciel; il a trop de justice
Pour laisser la vertu dans un si long supplice.
L'INFANTE.

Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir.

LE PAGE.

Par vos commandements Chimène vous vient voir.

L'INFANTE, à Léonor.

Allez l'entretenir en cette galerie.

LÉONOR.

Voulez-vous demeurer dedans la rêverie?

L'INFANTE.

Non; je veux seulement, malgré mon déplaisir,
Remettre mon visage un peu plus à loisir.
Je vous suis.

SCÈNE III.

L'INFANTE seule.

Juste ciel, d'où j'attends mon remède,

Mets enfin quelque borne au mal qui me possède, Assure mon repos, assure mon honneur.

Dans le bonheur d'autrui je cherche mon bonheur.
Cet hyménée à trois également importe;

Rends son effet plus prompt, ou mon âme plus forte.
D'un lien conjugal joindre ces deux amants,
C'est briser tous mes fers, et finir mes tourments.
Mais je tarde un peu trop : allons trouver Chimène,
Et par son entretien soulager notre peine.

SCÈNE IV.

LE COMTE, D. diègue.

LE COMTE.

Enfin vous l'emportez, et la faveur du roi
Vous élève en un rang qui n'était dû qu'à moi ';
Il vous fait gouverneur du prince de Castille.

D. DIÈGUE.

Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille
Montre à tous qu'il est juste, et fait connaître assez
Qu'il sait récompenser les services passés.

LE COMTE.

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes2:
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes;

Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
Qu'ils savent mal payer les services présents.

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Ne parlons plus d'un choix dont votre esprit s'irrite;
La faveur l'a pu faire autant que le mérite.
Mais on doit ce respect au pouvoir absolu,
De n'examiner rien quand un roi l'a voulu.
A l'honneur qu'il m'a fait ajoutez-en un autre ;
Joignons d'un sacré nœud ma maison à la vôtre.
Vous n'avez qu'une fille, et moi je n'ai qu'un fils;
Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu'amis :
Faites-nous cette grâce, et l'acceptez pour gendre.

LE COMTE.

A des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre;
Et le nouvel éclat de votre dignité

Aujourd'hui, quand les comédiens représentent cette pièce, ils commencent par cette scène *. Il paraît qu'ils ont très-grand tort; car peuton s'intéresser à la querelle du comte et de don Diègue, si on n'est pas instruit des amours de leurs enfants? L'affront que Gormas fait à don Diègue est un coup de théâtre, quand on espère qu'ils vont conclure le mariage de Chimène avec Rodrigue. Ce n'est point jouer le Cid, c'est insulter son auteur, que de le tronquer ainsi. On ne devrait pas permettre aux comédiens d'altérer ainsi les ouvrages qu'ils représentent. (V.)

2 Cette phrase a vieilli; elle était fort bonne alors: il est honteux pour l'esprit humain que la même expression soit bonne en un temps et mauvaise en un autre. On dirait aujourd'hui: Tout grands que sont les rois, Quelque grands que soient les rois. (V.)

C'est J. B. Rousseau qui fit ce changement, et qui supprima le rôle de l'in fante. (P.)

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