Immagini della pagina
PDF
ePub

Des

journaux.

vention de Guttemberg, que la sottise est immortelle comme le génie; que les bibliothèques sont devenues immenses, parce que les folies des hommes sont inépuisables, et que, dans ces vastes dépôts où tout se conserve, on trouve l'Année littéraire, en cent volumes, occupant plus de place que tous les chefs-d'œuvre des anciens et des modernes réunis ensemble.

Un abus beaucoup plus funeste, que les anciens ne connaissaient pas, c'est cette incroyable multitude de journaux dont notre littérature est surchargée, et dont la plupart la déshonorent. Lorsqu'au commencement du siècle passé, Sallo imagina ce genre d'ouvrage, dont Bayle prouva dans la suite l'utilité, on était bien éloigné d'imaginer les excès qu'il produirait un jour. Rien ne prouve mieux combien l'imbécillité humaine est un excellent revenu, que de voir avec quelle confiance les plus ineptes barbouilleurs annoncent, sous différents titres, qu'ils instruiront le public toutes les semaines, ou tous les mois, ou tous les quinze jours, de ce qu'il doit approuver ou blâmer. Il faut convenir que les premiers ouvrages périodiques n'avaient point cette ridicule impertinence. Les journaux des savants, ceux de Bernard, ceux de Bayle, étaient des dissertations très - circonspectes et très-détaillées sur les écrits sérieux et instructifs; on n'y parlait même que fort peu des ouvrages d'imagination et de la littérature agréable : on

se souvenait

:

Journaux

inconnus

aux

ont été

et le fléau

que les beaux-arts veulent être plus sentis que discutés, que rien n'est plus délicat que de prononcer sur le talent et le génie que le temps seul peut mettre à leur place. Bientôt cependant l'ignorance et l'envie eurent des bureaux d'adresse où la foule allait chercher des jugements. De Visé dénigrait Racine et Molière dans le Mercure Galant mais le ton aigre de ses censures était encore de la modération, si l'on songe aux scandales de notre siècle. Ce n'est que de nos jours qu'on a vu s'ériger en juges et en aristarques, des hommes qui ne pourraient pas écrire dix lignes d'un style correct et rai- anciens. Ils sonnable; qui, n'ayant aucune connaissance de l'opprobre la littérature ancienne et étrangère, se font un métier de juger la nôtre, comme on s'en fait un de colporter des livres qu'on n'entend pas; qui composent leurs louanges et leurs satires avec une douzaine de phrases classiques et pédantesques, comme on fait, dit-on, un opéra avec cent mots; qui écrivent à l'usage des sots contre les bons écrivains, et n'ont pas même le talent que donne la haine, celui de médire avec esprit; qui dégoûtent la malignité même à force d'ennui, et ne supportent le mépris public que parce qu'il est à peine égal à celui qu'ils ont pour eux-mêmes; qui font pitié à ceux qu'ils dénigrent, et sont au-dessous de ceux qu'ils louent (1).

(1) Ce morceau se trouva placé assez naturellement dans

de notre

littérature.

On a même été plus loin. Quelques écrivains supérieurs, las de se voir tous les jours impunément insultés, ont fait justice, en quelques lignes, des volumes imprimés contre eux, Qu'estil arrivé? Les Zoïles, irrités par le châtiment, n'ont plus connu ni bornes ni mesure la rage a conduit leur plume, et les personnalités les plus grossières, les emportements de la plus brutale insolence, ont souillé le papier. Aveuglés par la fureur, ils se sont heurtés maladroitement contre des productions d'un mérite reconnu, et n'ont épargné ni les artifices les plus bas, ni les mensonges les plus grossiers; défigurant les ouvrages au point de n'en pas citer dix vers ou deux phrases de suite, de changer la ponctuation pour rendre ridicule ce qui ne l'était pas, de profiter des fautes d'impression les plus visibles pour les mettre sur le compte de l'auteur, d'altérer entièrement le fond de l'ouvrage, et de le présenter sous le jour le plus faux; enfin, perdant toute pudeur, et affirmant qu'un livre est tombé quand tout le monde le sait par cœur et qu'on l'imprime dans toute l'Europe; non pas qu'ils croient que ces puériles manœuvres

le Mercure, en 1769. Un journaliste que, d'après son aveu, il est inutile de nommer, crut devoir s'y reconnaître. Il se fait écrire une lettre, où on lui dit qu'il est impossible qu'on ait voulu parler d'un autre que de lui; ce qui est ingénieux. Il répond à vingt lignes par vingt pages; ce qui est précis : et ces vingt pages sont en style du père Garasse.

Il ne faut point dé

fendre ses

écrits, mais

dénoncer à la société l'homme

qui ment

au public et à

puissent faire beaucoup d'impression, mais uniquement pour exhaler une haine que ses motifs et son impuissance rendent également méprisable. Mais, dit-on, il est si facile de confondre ces vils calomniateurs des arts, de les convaincre, à chaque ligne, d'ignorance ou d'infidélité! C'est précisément ce qu'ils demandent, et ce qu'il ne faut faire. Est-ce qu'on peut confondre un pas homme qui a la plume à la main deux ou trois fois par mois? Il répliquera toujours, n'importe lui-même. comment : vous perdrez votre temps, et vous le ferez payer du sien. Son métier est d'avoir tort: c'est une querelle qu'il lui faut. Que lui prouverez-vous? que votre ouvrage est bon? Les lecteurs ont déja pris leur parti là-dessus : ce n'est plus votre livre qui pique leur curiosité, mais la manière dont on l'attaquera c'est toujours un spectacle pour eux; et il ne faut pas qu'un homme de lettres y soit acteur. Que doit-il donc faire? Ne jamais répondre sur ses écrits au détracteur absurde dont les feuilles fugitives se détruisent d'elles-mêmes tous les huit jours: mais se servir du pinceau que le génie sait manier, pour déposer dans des monuments durables le portrait de l'ennemi des talents; le représenter dans toute sa difformité, et le forcer de se contempler dans sa bassesse. Le public dira, C'est lui; et lui-même se dira, C'est moi. S'il est difficile d'être plus coupable, il est rare d'être plus puni.

De Tite - Live.

Détournons nos regards de tant d'avilissement et d'opprobre, et jetons un coup-d'œil sur ces grands hommes de l'antiquité, qui, sans craindre de pareils ennemis, ont enrichi les siècles de leurs travaux immortels et nous ont tracé le magnifique tableau de ces nations anciennes, à qui rien n'a ressemblé. J'aurais voulu parler des historiens grecs; mais cet examen me menerait trop loin, et je me borne aux historiens romains, d'autant plus volontiers que ce sujet trouve plus naturellement sa place à la tête d'une traduction de Suétone.

Tite-Live a été nommé avec justice le père de l'histoire romaine, romanæ historiæ pater. C'est un des hommes les plus naturellement éloquents qui aient jamais écrit. C'est sans travail et sans effort que son style se trouve au niveau de la grandeur romaine. Il n'est jamais ni au-dessus ni au-dessous de ce qu'il raconte. Sa diction est pleine de charme et de douceur; quelques anciens l'ont comparée à un fleuve de miel. Personne n'a possédé à un plus haut degré cette facilité abondante, cette richesse d'expression qui caractérise l'écrivain formé par la nature. Quintilien, l'homme de l'antiquité, qui a eu le plus de goût dans le siècle qui a succédé au siècle du génie, regarde Tite-Live et Cicéron comme les auteurs qu'il faut mettre de préférence entre les mains des jeunes gens. « Sa narration, dit-il, « est singulièrement agréable et de la clarté la

« IndietroContinua »