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plus pure ses harangues sont d'une éloquence << au-dessus de toute expression; tout y est par«< faitement adapté aux personnes et aux circon<< stances. Il excelle sur-tout à exprimer les sen<< timents doux et touchants, et nul historien << n'est plus pathétique.

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Des

parce que

nous ne

savons pas

en faire.

On lui a reproché de nos jours, ainsi qu'à harangues Salluste et aux autres anciens, ces harangues que qu'on lui l'on regarde plutôt comme des efforts de l'art reproche, oratoire que comme des monuments historiques. Il se peut en effet que Fabius et Scipion n'aient pas dit dans le sénat précisément les mêmes choses que Tite-Live leur fait dire; mais, s'il est trèsprobable qu'ils ont dû parler à-peu-près dans le même sens, je ne vois pas de fondement au reproche que l'on fait à l'historien. Il lui est défendu de controuver, mais non pas d'embellir. D'ailleurs il faut observer que nos mœurs et notre éducation ne sont pas, à beaucoup près, celles dés anciennes républiques. L'art de parler était un des talents les plus essentiels et les plus nécessaires à un citoyen, un de ceux que l'on cultivait avec le plus de soin dans la première jeunesse, et la partie la plus importante des études. Quiconque à Rome aspirait aux charges, devait être en état de s'énoncer avec facilité et avec grace devant six cents sénateurs, de savoir motiver et soutenir un avis qu'on attaquait avec toute la liberté républicaine, et quelquefois de pérorer devant l'assemblée du peuple romain, composée

d'une multitude innombrable et tumultueuse. Les accusations et les défenses judiciaires étant un des grands moyens d'illustration, les membres les plus considérables de l'état cherchaient à se signaler en dénonçant des coupables ou en les défendant. Leur but était de se faire connaître au peuple, et l'ambition cherchait des inimitiés éclatantes. Le spectacle des tribunaux romains n'était pas tout-à-fait celui de nos plaidoiries du palais, où quiconque a pris ses degrés en droit peut venir, à l'audience de sept heures, discuter longuement des querelles obscures et des formes gothiques qu'il faut citer dans le jargon barbare où elles ont été rédigées. A Rome, toutes ces petites discussions contentieuses étaient portées à des tribunaux subalternes, tel que celui de Centumvirs; mais toutes les grandes causes se plaidaient devant un certain nombre de chevaliers romains, choisis et assujettis à un serment, dans un vaste Forum rempli d'une foule attentive; et celui qui osait s'exposer à une épreuve aussi éclatante, devait être bien sûr de ses talents et de sa fermeté. C'est là qu'un homme était jugé pour la vie ses espérances et son élévation dépendaient de l'opinion qu'il donnait de lui dans cette lice dangereuse. Les enfants de famille y assistaient assidûment; et c'est ce qu'on appelait Anciens les exercices du Forum : c'étaient ceux de toute que les travaux du champ

exercés à la jeune noblesse, ainsi

parler.

de Mars.

Il n'est donc pas étonnant que des hommes. élevés ainsi haranguassent beaucoup plus souvent et plus facilement que nous ne l'imaginons. Dans le pays de la liberté, la persuasion est un genre de puissance qu'on ne soupçonne pas dans les pays où il est même quelquefois défendu de persuader. Aussi voyons-nous que, chez les Romains et chez les Grecs, l'éloquence était une des qualités communes à tous les grands personnages, au lieu que, parmi nous, elle semble n'être que le partage de ceux qui en ont fait une étude particulière. Quiconque peut payer un secrétaire est dispensé, je ne dis pas d'être éloquent, mais même de savoir répondre à une lettre. Il est fort rare, dans nos mœurs, qu'un homme puisse prononcer sur-le-champ un discours digne d'être écrit. Il est cependant très-certain que la première harangue' de Cicéron contre Catilina, qui détermina ce scélérat intrépide à sortir de Rome, ne pouvait être préparée, puisqu'on était fort loin de penser que Catilina osât paraître dans le sénat. Il se peut qu'en la transcrivant, l'orateur l'ait corrigée et embellie, et rien même n'est plus vraisemblable; mais il fallait que le discours, tel qu'il fut prononcé sur-le-champ, fût encore très-beau, puisque Salluste, qui n'aimait pas Cicéron, dit dans son histoire : « C'est alors que « M. Tullius, consul, prononça cette belle ha<< rangue qu'il a publiée depuis. » S'il y avait eu une différence frappante entre l'ouvrage écrit et

les autres.

le discours débité, un ennemi n'aurait pas manqué de l'observer.

Les Gracques, César, Caton, Scipion, étaient de très-grands orateurs, c'est-à-dire dans la langue républicaine, de très-grands hommes d'état. Il faut avouer aussi que l'éloquence de pareils hommes, qui réunissaient une ame forte, un esprit cultivé et de grands intérêts, devait produire des chefs-d'oeuvre ; et que ce que l'on nomme éloquence dans ceux à qui la vanité d'être imprimés inspire la prétention d'écrire, et qui rajeunissent des lieux communs pour être loués dans un journal, doit s'appeler de la rhétorique. Hommes L'homme passionné est le véritable orateur. Aussi passionnés, plus élo- j'oserai dire que la grande éloquence, parmi les quents que modernes, se trouve bien plutôt dans nos belles tragédies que dans les oraisons funèbres ou dans les panégyriques, dont les auteurs, en supposant qu'ils écrivent avec goût et sans enflure, ne peuvent guère être que des hommes diserts, de beaux écrivains, et jamais des hommes pleins de la chose dont ils parlent, ce qui est la seule manière d'être vraiment éloquent. La lettre de Brutus à Cicéron est certainement le plus beau morceau que l'antiquité nous ait laissé : cependant Brutus ne croyait pas faire un ouvrage; il épanchait une ame libre et indignée, et rien n'est au-dessus de ce qu'il écrivait. Dans le siècle qui suivit celui d'Auguste, le panégyrique de Pline, et les écrits de Sénèque, furent des ouvrages

d'esprit, des productions de rhéteurs; on n'y trouve aucune trace du style républicain. La trempe des esprits avait changé le gouvernement.

Pour revenir à Tite-Live, dont les harangues ont occasionné cette digression, ces harangues sont si belles, que leur censeur le plus sévère serait sans doute bien affligé qu'elles n'existassent pas. On peut croire d'ailleurs, sur ce que je viens d'exposer, que ces grands hommes qu'il fait parler dans son histoire ont souvent puisé dans leur ame d'aussi grands traits, que ceux que leur attribue le génie de Tite-Live, et ont dû même produire de plus grands effets de vive voix, qu'il n'en produit sur le papier.

La réputation de Tite-Live s'étendit fort loin, même de son vivant, s'il est vrai, comme on le dit, qu'un habitant de Cadix, qui, dans ce temps,, était pour les Romains une extrémité du monde, partit de son pays uniquement pour voir TiteLive, et s'en retourna aussitôt après l'avoir vu. S. Jérôme, dans une lettre à Paulin, dit trèsheureusement à ce sujet : « C'était sans doute une <«< chose bien extraordinaire, qu'un étranger, en<< trant dans une ville telle que Rome, y cherchât << autre chose que Rome même. »

On ne sait que trop que nous avons perdu une grande partie de ses ouvrages, ainsi que de ceux de Tacite. Ces pertes, si déplorables pour ceux dont les lettres font le bonheur, ne seront probablement jamais réparées.

Les Douze Césars, 1.

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