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RÉFLEXIONS SUR AUGUSTE.

L'AUTEUR des Révolutions de l'Empire Romain (M. Linguet) invective avec amertume, non pas contre les proscriptions et les cruautés d'Auguste, ce qui était tout simple, mais contre son règne, qui jusqu'ici a été généralement loué. Il lui fait beaucoup de reproches qui paraissent fort injustes. Il prétend que c'est à lui qu'il faut s'en prendre si l'empire romain fut renversé environ cinq cents ans après lui; que lui seul prépara ou laissa subsister les principes de destruction qui minèrent par degrés ce grand corps, et finirent par l'abattre.

D'abord, si l'on veut absolument imputer à Auguste des désastres arrivés plusieurs siècles après lui, il est juste aussi de lui tenir compte de la durée de l'empire qu'il fonda; il faut lui attribuer le bien comme le mal. D'après cette compensation, l'édifice élevé par Auguste n'aura duré que cinq cents ans. M. Linguet nous dira que c'est bien peu de chose mais c'est beaucoup plus que n'a duré l'empire fondé par Cyrus, celui d'Alexandre, celui des califes, celui de Gengis-Kan, de Tamerlan ; et il s'ensuivra que l'ouvrage d'Auguste n'était donc pas assis sur des fondements aussi frêles qu'on veut nous le dire. Voyons actuellement si c'est lui qu'il faut accuser de la destruction de son ouvrage.

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M. Linguet lui reproche de s'être réservé à lui seul et à ses successeurs le commandement des armées : « Les soldats « devinrent soldats de l'empereur et non pas de la république. Il partagea avec les sénateurs l'administration des provinces; mais il ne leur abandonna que celles qui, se << trouvant au centre de l'état, n'avaient besoin d'aucunes << forces pour être contenues. Il en fit pour le sénat une espèce de prison honorable, dont les troupes répandues << sur les frontières gardaient toutes les issues. Il n'obligea

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<< pas cette compagnie désarmée à lui déférer dans le civil « le pouvoir que lui donnait dans les camps la subordination a militaire; mais il la mit hors d'état de s'opposer à lui, s'il << voulait se l'attribuer. De cette disposition naquirent des << abus horribles et le comble du despotisme sous ses suc<«< cesseurs, etc. » M. Linguet rapporte ensuite tous les désordres causés par la faiblesse des empereurs, ou par la licence des soldats; et il en conclut : « Telle fut la suite « de l'institution d'Auguste.

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M. Linguet n'a pas bien étudié la généalogie des causes et des effets. Certainement, si M. de Montesquieu, qu'il traite fort légèrement et qu'il accuse d'être obscur, n'avait jamais été ni plus clair, ni plus lumineux, son livre De la Grandeur des Romains ne serait pas étudié par les philosophes et par les politiques. Ou les paroles que nous venons de rapporter n'ont aucun sens, où il faut convenir qu'elles ont celui-ci : qu'Auguste eut tort de se réserver le commandement des armées, de ne pas laisser au sénat assez de forces pour le contenir lui-même s'il voulait abuser de son pouvoir, et que cette disposition fut la source des malheurs qui arrivèrent après lui.

1° N'est-il pas bien étrange qu'on blâme un usurpateur, le fondateur d'une monarchie, d'avoir fait tout ce qu'il fallait pour mettre entre ses mains toutes les forces de l'état? Auguste n'avait-il versé tant de sang que pour rester volontairement sous la dépendance du sénat; devait-il partager avec lui les troupes et les provinces, de manière à le laisser aussi puissant que lui-même, en état de recommencer la guerre civile, et de mettre en balance ce qui avait été décidé à Actium? Si telle eût été la conduite d'Auguste, on le regarderait comme un imbécille. Il fallait donc le louer d'avoir tenu une conduite tout opposée, et d'avoir su faire pendant quarante ans, d'une république si fière et si orageuse, la monarchie la plus calme et la plus soumise. Dans tous les empires absolus, les forces militaires sont immédiatement

sous la main du prince, sans restriction et sans partage; et il n'y a point de corps intermédiaire qui ait d'autre pouvoir que celui de faire parler les lois devant le prince, si le prince veut les entendre.

2o Comment peut-on prétendre que cette disposition, faite pour affermir le trône des successeurs d'Auguste, dût l'ébranler et le renverser? Elle produisit le despotisme, dit M. Linguet. Et Auguste voulait-il autre chose? Toute monarchie, comme a dit M. de Montesquieu, ne tend-elle pas au despotisme? Mais, ajoute-t-on, les soldats vendirent l'empire, et les empereurs le ruinèrent pour satisfaire les soldats. Oui, c'est ce qui arriva. Mais, est-ce la faute d'Auguste si des tyrans faibles ou féroces se laissèrent gouverner par des légions dont il les avait rendus maîtres; s'ils souffrirent qu'un préfet du prétoire donnât des ordres à l'empire, tandis qu'ils en donnaient à peine aux esclaves de leur palais? Est-il coupable de la stupidité de ses successeurs? Les soldats ne furent-ils pas soumis dès qu'il y eut sur le trône un homme fait pour les commander? L'insolence et l'intrigue ont toujours ou intimidé la faiblesse, ou trompé l'ignorance dans tous les gouvernements et dans tous les pays. C'est pour ne s'être pas conduits comme Auguste, que ses successeurs furent souvent renversés du trône; c'est pour avoir permis qu'on tournât contre eux les armes qu'il leur avait mises dans les mains.

M. Linguet lui reproche le défaut d'ordre dans les finances, comme une autre source des malheurs de l'empire; il l'accuse de n'avoir pas établi dans la perception des impôts cette uniformité qui peut seule les rendre utiles. Ce projet, qui n'est pas nouveau, peut être fort bon; mais, comme, malgré les lumières acquises depuis près de deux mille ans, on ne l'a pas encore adopté, il faut excuser Auguste de n'avoir pas fait, dans une nouvelle création de gouvernement, ce qu'on n'a fait dans aucun des états policés et affermis depuis long-temps. Les rapines des proconsuls furent odieuses

et impunies sous les mauvais empereurs; elles furent réprimées sous les bons princes. Le brigandage devint affreux vers les derniers temps de l'empire, et put contribuer au soulèvement des peuples; mais c'était encore la faute des princes qui ne savaient pas gouverner, et non pas celle d'Auguste, qui n'était pas obligé de leur apprendre à gouverner.

Un autre reproche que lui fait le même auteur, c'est d'avoir laissé subsister les accusations de lèse-majesté, et de leur avoir bientôt fait changer d'objet : c'est-à-dire, que les accusations intentées d'abord contre les crimes d'état ne se portèrent plus que sur les délits qui regardaient la personne du prince. Ce n'était point à Auguste à anéantir une loi qui jusqu'alors avait été regardée comme la sauvegarde de l'état, et qui avait servi souvent à réprimer de mauvais citoyens. Il est bien vrai qu'on en fit dans la suite l'abus le plus cruel et le plus horrible; mais cet abus, ce fut Tibère qui l'introduisit, et non pas Auguste : nous ne voyons pas sous son règne un seul homme que ces accusations de lèse-majesté aient fait périr injustement. Rien n'était si libre sous son règne que les discours des citoyens; et c'est ce qui arrivera toujours quand le prince sera placé par son génie à la hauteur où l'on juge les discours des hommes, et ne se croira pas obligé de les, avilir pour en être obéi. M. Linguet convient lui-même que le gouvernement d'Auguste fut éloigné de toute violence. Il ne fallait donc pas dire que ce fut lui qui fit changer d'objet aux accusations de lèse - majesté, puisqu'on ne peut pas citer un seul exemple de ce changement d'objet. Il ne fallait pas dire qu'Auguste était digne d'autoriser les horreurs que cette pratique produisit dans la suite; puisque Auguste n'employa point cette pratique, et que sa politique consistait à se faire pardonner son usurpation, en conservant autant qu'il le pouvait toutes les formes de l'ancienne république et toutes les apparences de la liberté.

Il eût été bien sage et bien grand peut-être de prévoir combien cette loi de lèse-majesté pouvait devenir une arme terrible entre les mains des délateurs et sous le règne d'un tyran, et de restreindre autant qu'il était possible les interprétations homicides que l'on pouvait donner à une pareille loi : mais y a-t-il quelque frein que la tyrannie ne sache rompre ? De quoi auraient servi ces précautions contre l'ingénieuse malignité de Tibère, contre l'insolente cruauté de Néron, contre l'extravagance barbare de Caligula? Les tyrans trouveront toujours des délateurs; et ce sont ceux qui, n'ayant ni assez de constance pour souffrir, ni assez de courage pour se venger, ont la bassesse nécessaire pour se faire bourreaux.

L'auteur se fonde apparemment sur ces imputations si injustes, pour ajouter que le nom d'Auguste n'est pas parvenu jusqu'à nous avec toute l'horreur qu'il mérite; que les vers admirables qu'on lit tous les jours, et qui sont pleins de ses éloges, font oublier les horreurs de sa vie, conservées par des historiens qu'on lit rarement; et que s'il y a quelque chose d'humiliant pour la littérature, c'est de penser qu'il n'a manqué peut-être à Néron, pour exciter la vénération des siècles postérieurs, que d'avoir un Virgile sous son règne, et de le bien payer (1). Voilà des hyperboles oratoires; mais elles sont fortes, et un historien ne devrait pas se les permettre. Il me semble qu'avant M. Linguet on a mis dans la balance les bonnes et les mauvaises qualités de cet usurpateur, qu'on a su avant lui tout ce que les vengeances d'Octave eurent d'atroce pendant son triumvirat, mais qu'on a senti tout ce que quarante ans d'un règne heureux et juste, proposé avec raison comme un modèle à tous les princes, avaient de glorieux et de respectable.

(1) Horace et l'Arioste se sont tenus dans les bornes du vrai; ils ont dit seulement que les poëtes avaient fait connaître et valoir les belles actions.

(Note du précédent Éditeur.)

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