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« et non-seulement ce qu'elles sont en elles-mêmes, mais << aussi selon ce qu'elles sont connues : ce qui est connaître <«<les notions et les raisons de plusieurs choses. C'est ce qu'on << voit dans un architecte; car, lorsqu'il a simplement dans « son esprit la perception de la forme matérielle d'une mai« son, on dit alors qu'il connaît une maison: mais, lorsqu'il s'applique à considérer cette maison, en tant qu'elle est << dans son esprit, c'est-à-dire qu'il fait une réflexion expresse << sur la perception qu'il en a, parce qu'il connaît cette maison « (ex eo quod intelligit se intelligere eam), cette première per<< ception, qui était auparavant id quo intelligitur, devenant. « par cette réflexion id quod intelligitur, on dit alors qu'il a « l'idée de cette maison. Or, Dieu ne connaît pas seulement «< plusieurs choses par son essence ; mais il connaît qu'il con<< naît plusieurs choses par son essence. Et c'est ce qu'on << appelle connaître plusieurs notions des choses, ou qu'il y a << dans l'entendement divin plusieurs idées, en tant que con« nues : Vel plures ideas esse in intellectu divino ut intellectas. » On voit par là que saint Thomas ne prend pas le mot d'idée si généralement que je l'ai pris pour toute perception, qui comme telle est proprement id quo intelligitur (quoiqu'elle soit aussi en quelque sorte id quod intelligitur par la réflexion virtuelle qui lui est essentielle), mais qu'il le restreint à la perception, qui, par une réflexion expresse sur notre connaissance, est devenue plus particulièrement id quod in— telligitur. Et c'est ce qui revient à ce que j'ai dit dans le chapitre 6 pour expliquer ce que c'était proprement que de voir les propriétés des choses dans leur idée. Si ce n'est qu'alors c'est seulement une idée spéculative; au lieu que celle qu'a un architecte d'une maison qu'il veut bâtir, et qu'il considère souvent dans son esprit par une connaissance réfléchie sur la première perception qu'il s'en est formée, est une idée pratique, qui est la même chose que la cause exemplaire. Mais on ne voit en tout cela ni trace ni vestige de ces étres représentatifs, qui précèdent toutes les perceptions, et que l'on

s'imagine qui sont nécessaires à notre esprit afin qu'il en puisse avoir.

Et ce qui est encore plus considérable est, que ce Saint reconnaît que Dieu voit par une seule et unique vue toutes les choses, et selon ce qu'elles sont en son entendement divin, et selon ce qu'elles sont en elles-mêmes : « Deus uno intellectu intelligit multas et non solum secundum quod in seipsis sunt, sed etiam secundum quod intellecta sunt. » Et il paraît qu'il regarde la première sorte de perception comme une preuve de la seconde. D'où il s'ensuit que les choses sont objectivement en Dieu telles qu'elles sont en elles-mêmes; et que par conséquent une chose peut être objectivement en Dieu, c'est-à-dire être connue de Dieu, sans qu'elle y soit formellement. Car un crapaud, une chenille, une araignée, sont objectivement en Dieu, puisqu'il les connaît, quoique l'on ne puisse dire qu'il y avait en Dieu formellement des crapauds, des chenilles, des araignées. Et néanmoins nous allons voir que c'est pour n'avoir pas bien distingué ces choses, que l'auteur de la Recherche de la Vérité argumente encore très-souvent a dicto secundum quid ad dictum simpliciter, en raisonnant presque toujours en cette manière : « Dieu connaît une telle chose : or Dieu ne connaît rien que dans lui-même: donc une telle chose est en Dieu.» Car être en Dieu se peut entendre dans cette conclusion ou objectivement ou formellement. Si l'on entend formellement, c'est lè sophisme que je viens de marquer, a dicto secundum quid ad dictum simpliciter. Car il ne s'ensuit pas qu'une pierre soit formellement dans mon esprit, parce que je la connais, mais il s'ensuit seulement qu'elle y est objectivement. Et si ce n'est que cela que l'on entend quand on conclut: «Donc une telle chose est en Dieu, » c'est-à-dire, qu'elle y est objectivement, c'est badiner que de raisonner de la sorte. Car c'est ne conclure que ce qui est déjà dans la majeure: n'y ayant point de différence entre dire « que Dieu connaît une telle chose, et qu'une telle chose est objectivement en Dieu, »

CHAPITRE XIV.

Seconde manière de voir les choses en Dieu, qui est de les voir dans une étendue intelligible infinie que Dieu renferme. Que ce que l'on dit sur cela, ou est tout à fait indigne de Dieu, ou se contredit manifestement.

Nous venons de voir que l'auteur de la Recherche de la Vérité, demeurant toujours ferme dans la pensée que nous • voyons chaque chose par l'idée particulière qu'elle a en Dieu, il a depuis changé de sentiment, en déclarant (page 548) « qu'il n'a pas prétendu » (il devait plutôt dire qu'il ne prétend plus) «< qu'il y eût en Dieu certaines idées particu«< lières qui représentassent chaque corps en particulier : «< mais que nous voyons toutes choses en Dieu par l'appli«< cation que Dieu fait à notre esprit de l'étendue intelligible << infinie en mille manières différentes. >>

C'est donc ce qui reste à examiner si cette seconde manière de voir les choses en Dieu, qui est de les voir « dans une étendue intelligible infinie que Dieu renferme, » est plus vraisemblable que l'autre.

Mais, pour en pouvoir bien juger, il faut l'écouter luimême expliquer comment il prétend que cela se fait. Et il faut remarquer avant toutes choses que ce qui l'a fait entrer dans cette nouvelle pensée est une objection qu'on lui a faite en ces termes :

« Objection. Il n'y a rien en Dieu de mobile', il n'y a << rien de figuré. S'il y a un soleil dans le monde intelligible, «< ce soleil est toujours égal à lui-même, et le soleil visible << paraît plus grand lorsqu'il est proche de l'horizon, que << lorsqu'il en est fort éloigné : donc ce n'est pas ce soleil in<< telligible que l'on voit. Il en est de même des autres créa

1 Page 547.

«tures: donc on ne voit point en Dieu les ouvrages de Dieu, »> Et voici comme il y répond :

« Pour répondre à tout ceci, il suffit de considérer que « Dieu renferme en lui-même une étendue intelligible infinie; <«< car Dieu connaît l'étendue, puisqu'il l'a faite, et il ne la « peut connaître qu'en lui-même. Ainsi, comme l'esprit peut << apercevoir une partie de cette étendue intelligible que « Dieu renferme, il est certain qu'il peut apercevoir en Dieu << toutes les figures, car toute étendue intelligible finie est << nécessairement une figure intelligible, puisque la figure « n'est que le terme de l'étendue. De plus cette figure d'é« tendue intelligible et générale devient sensible et particu« lière par la couleur ou par quelqu'autre qualité sensible « que l'âme y attache, car l'àme répand presque toujours <«< sa sensation sur l'idée qui la frappe vivement. Ainsi, il << n'est point nécessaire qu'il y ait en Dieu de corps sen«<sibles, ou de figures dans l'étendue intelligible, afin que l'on << en voie en Dieu, ou afin que Dieu en voie, quoiqu'il ne «< considère que lui-même. Si l'on conçoit aussi qu'une figure « d'étendue intelligible, rendue sensible par la couleur, soit << prise successivement des différentes parties de cette étendue « infinie : ou si l'on conçoit qu'une figure d'étendue intelli<«<gible puisse tourner sur son centre ou s'approcher succes<«<sivement d'une autre, on aperçoit le mouvement d'une « figure sensible ou intelligible, sans qu'il y ait même de << mouvement dans l'étendue intelligible. Car Dieu ne voit << point le mouvement des corps dans sa substance, ou dans « l'idée qu'il en a lui-même; mais seulement par la connais«sance qu'il a de ses volontés à leur égard. Il ne voit même «<leur existence que par cette voie, parce qu'il n'y a que sa <«< volonté qui donne l'être à toutes choses. Les volontés de « Dieu ne changent rien dans sa substance, elles ne la « meuvent pas. Peut-être que l'étendue intelligible est im« mobile en tout sens, même intelligiblement. Mais quoique « nous ne voyions que cette étendue intelligible immobile ou

« non, elle nous paraît mobile, à cause du sentiment de cou«<leur, ou de l'image confuse qui reste après le sentiment, <«< laquelle nous attachons successivement à diverses parties « de l'étendue intelligible qui nous sert d'idée, lorsque nous « voyons ou que nous imaginons le mouvement de quelque «< corps; on peut comprendre par les choses que je viens de <«< dire pourquoi on peut voir le soleil intelligible, tantôt << grand et tantôt petit, quoiqu'il soit toujours le mème « à l'égard de Dieu. Car il suffit pour cela que nous voyions << tantôt une plus grande partie de l'étendue intelligible, «< tantôt une plus petite, et que nous ayons un sentiment vif <«< de lumière pour attacher à cette partie d'étendue. Or, <«< comme les parties de l'étendue intelligible sont toutes de «< même nature, elles peuvent toutes représenter quelque << corps que ce soit. >>

Je ne sais, Monsieur, que vous dire d'un tel discours : j'en suis effrayé. Car je trouve qu'il enferme tant de brouilleries et de contradictions, que toute ma peine sera d'en démêler les équivoques, et d'en découvrir les paralogismes.

4. J'ai déjà ruiné par avance celui qui en est le principal fondement, en faisant voir en quel sens on peut dire que ce que Dieu connaît est en Dieu. Car tout ce discours roule sur cette étrange hypothèse : que « Dieu renferme en lui-même une étendue intelligible infinie. » Et toute la preuve qu'il en apporte est «< que Dieu connaît l'étendue, puisqu'il l'a faite, et qu'il ne la peut connaître qu'en lui-même. » Il n'y a rien qu'on ne mette en Dieu par un semblable raisonnement, puisque j'aurai autant de sujet de dire: « Dieu renferme en lui-même des millions de moucherons et de puces intelligibles; car il les connait, puisqu'il les a faits. » Et il ne les peut «< connaître qu'en lui-même. »>

2. Mais tous ces arguments sont de purs sophismes, car de cette majeure: « Dieu connaît tout en lui-même, » on n'en peut rien conclure qu'en cette manière :

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