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vrent-elles aussi d'une simple vue? Or, il s'est déclaré trop hautement le protecteur de l'idée claire de l'étendue, pour ne pas vouloir que tout cela se voie par des idées claires. Il a donc deux poids et deux mesures, lorsque, pour avoir plus de moyens de soutenir que nous n'avons point d'idée claire de notre âme, il s'avise de prétendre qu'on ne voit par une idée claire que ce que l'on découvre d'une simple vue,

besoin de raisonnement.

sans avoir

CHAPITRE XXIV.

Conclusions des raisons de cet auteur contre la clarté de l'idée de l'âme. D'où vient qu'il ne l'a pu trouver dans lui-même.

Je crois n'avoir omis aucune des raisons de cet auteur contre la clarté de l'idée de l'âme. Je ne sais s'il sera satisfait de ce que j'ai dit pour montrer qu'elles n'ont rien de solide; car il paraît, par la manière dont il les conclut, qu'il n'a point douté que tout le monde n'en dût être entièrement convaincu.

« Je ne m'arrête pas, dit-il, à prouver plus au long que << l'on ne connaît point l'âme ni ses modifications par des <«< idées claires. De quelque côté qu'on se considère soi«< même, on le reconnaît suffisamment : et je n'ajoute ceci à <«< ce que j'en avais déjà dit dans la Recherche de la Vérité, que << parce que quelques cartésiens y avaient trouvé à redire. Si << cela ne les satisfait pas, j'attendrai qu'ils me fassent recon<< naître cette idée claire que je n'ai pu trouver en moi, quel<< que effort que j'aie fait pour la découvrir. »>

Il n'est pas surprenant qu'après avoir attaché la notion d'une idée claire à tant de conditions, comme nous avons vu dans tout l'article précédent, il n'ait pu trouver en lui-même une idée claire de l'âme qu'il voulait qui fût conforme à la définition qu'il en avait donnée. C'est par la même raison que

les stoïciens ne croyaient pas qu'il y eût aucun homme sur la terre qu'on pût appeler homme de bien; car ils enfermaient tant de choses dans cette qualité d'homme de bien, qu'ils devaient bien prévoir qu'ils ne trouveraient jamais personne en qui elles se rencontrassent. Mais ce qui est étonnant est qu'il n'ait pas au moins imité en cela ces philosophes, en poussant les suites de sa définition d'une idée claire aussi loin qu'elles le devaient être. Il paraît au contraire qu'il n'a eu. en vue que de l'appliquer à l'idée de notre âme, pour nous persuader qu'elle est si obscure, que c'est plutôt fait de dire que nous n'en avons point d'idée ; au lieu que pour toutes les autres choses, ou il oublie facilement les conditions qu'il a mises, afin qu'une idée soit claire, ou il s'imagine en quelques endroits que ces conditions conviennent à leurs idées, quoiqu'en d'autres il reconnaisse le contraire; car peut-on soutenir plus positivement que l'idée de l'étendue nous donne moyen de connaître toutes les modifications dont elle est capable, que de dire, comme il fait en la page 205: « L'idée que nous avons de l'étendue suffit pour nous faire connaître «< toutes les propriétés dont l'étendue est capable; et nous ne «< pouvons désirer d'avoir une idée plus distincte et plus fé«< conde de l'étendue, des figures et des mouvements, que <«< celle que Dieu nous en donne ? » Et peut-on mieux reconnaître que cela n'est pas, que d'avouer, comme il fait en la page 173: «Que le moindre morceau de cire est capable d'un <«< nombre infini, ou plutôt d'un nombre infiniment infini « de différentes modifications que nul esprit ne peut com« prendre? » Car cela étant, comme on n'en peut douter, ce que nous connaissons des modifications de la matière, par cette idée si distincle et si féconde qu'il dit ailleurs que Dieu nous en donne, n'est rien en comparaison de ce que nous en ignorons, et de ce que Dieu aurait pu nous en faire connaître, s'il avait voulu : et ainsi c'est une étrange hyperbole d'assurer « que l'idée que nous avons de l'étendue suffit pour nous « faire connaître toutes les propriétés dont l'étendue est ca

«<pable, et que nous ne pouvons désirer d'en avoir une plus «< distincte ni plus féconde. »

Mais revenons à l'idée de notre âme. Il ne sera pas difficile de lui apprendre comment il la pourra trouver en lui-même. Il n'a qu'à s'ôter de l'esprit diverses préventions très-mal fondées, comme il le pourra lui-même réconnaître facilement, en considérant avec attention les idées qu'il croit être claires. Car il faudra qu'il cesse de les prendre pour des idées claires, ou qu'il avoue que ce qui ne conviendra pas à ces idées-là ne sera pas nécessaire à la clarté d'une idée.

La première de ces préventions est « que l'idée d'un objet « ne puisse être claire, si elle ne nous donne moyen de con<< naître clairement toutes les modifications dont cet objet << est capable. » C'est confondre l'idée claire avec l'idée compréhensive, et renouveler le pyrrhonisme; parce qu'il n'y aurait rien dont nous pussions nous assurer d'avoir une idée claire, comme a fort bien remarqué M. Descartes, s'il n'y a point d'idée claire que celle qui nous donne une si entière connaissance d'un objet, qu'il n'y aurait rien qui nous en fût caché, non-seulement de ses attributs essentiels, mais même de ses simples modifications.

La deuxième est « que nous ne pouvons connaître deux << choses par des idées claires que nous n'en connaissions les << rapports. » Et c'est ce que j'ai déjà fait voir n'avoir point de fondément, par deux instances auxquelles je ne crois pas qu'on puisse rien répliquer. L'une est que nous avons des idées très-claires du cercle et du carré, de la sphère et du cube, quoique nous ne connaissions point le rapport du cercle au carré, ni de la sphère au cube. L'autre, que les rapports ne conviennent proprement qu'aux quantités : et par conséquent les choses qui ne sont point quantité peuvent être connues par des idées claires, sans que nous en connaissions les rapports.

La troisième est « qu'on ne connaît par une idée claire « que ce qu'on découvre d'une simple vue, et avec autant

<«< de facilité que l'on reconnaît que le carré n'est pas le . «< cercle. » C'est vouloir que nous n'ayons point d'idées claires de presque tout ce que l'on sait par les sciences les plus certaines, comme sont l'algèbre, la géométrie, l'arithmétique. Car, hors les premiers principes et les plus simples définitions qui se découvrent d'une simple vue, tout le reste ne se connaît que par des démonstrations qui consistent souvent en une fort longue suite de raisonnements.

La quatrième est « qu'on ne connaît point par des idées «< claires ce qu'on connaît par conscience et par sentiment. » Et c'est justement tout le contraire, au moins pour ce qui est de ce que nous connaissons pendant cette vie; car, rien ne nous est plus clair que ce que nous connaissons en cette manière, comme saint Augustin nous l'apprend dans le treizième livre de la Trinité, chap. 1o, où il dit que nous connaissons notre propre foi ( et il en est de même de nos autres pensées): certissima scientia, et clamante conscientia : par une science très-certaine, et comme par un cri de notre conscience. Or, ce que nous connaissons par ce sentiment intérieur ne nous peut être si certain que le dit ce Saint, que parce qu'il est clair et évident. Car, dans les connaissances naturelles, ce ne peut être que la clarté et l'évidence qui fait la certitude. Or, quand on voudrait douter si la perception que nous avons de notre pensée, lorsque nous la connaissons comme par elle-même sans réflexion expresse, est proprement une idée, on ne peut nier au moins qu'il ne nous soit facile de la connaître par une idée; puisque nous n'avons pour cela qu'à faire une réflexion expresse sur notre pensée. Car alors cette seconde pensée ayant pour objet la première, elle en sera une perception formelle, et par conséquent une idée; or, cette idée sera claire, puisqu'elle nous fera apercevoir très-évidemment ce dont elle est idée. Et, par conséquent, il est indubitable que nous voyons par des idées claires ce que nous voyons par sentiment et par conscience: bien loin qu'on doive regarder comme opposées ces

deux manières de connaître, ainsi que fait partout l'auteur de la Recherche de la Vérité.

Lors donc que cet auteur se sera défait de ces quatre fausses préventions, il lui sera aisé de trouver en soi-même une idée claire de son âme et il y a même assez de choses dans son livre qui l'aideront à la découvrir.

:

Ce qu'il dit de l'âme dans le premier chapitre du troisième livre aurait suffi pour lui faire comprendre que nous avons une idée claire de notre âme, s'il s'était contenté de la vraie notion d'une idée claire, sans y ajouter beaucoup de conditions que la clarté d'une idée ne demande point.

Il dit « qu'après y avoir pensé sérieusement, on ne peut << douter que l'essence de l'esprit ne consiste dans la pensée, « de même que l'essence de la matière consiste dans l'éten« due. » Peut-on dire certainement en quoi consiste l'essence d'une chose dont on n'aurait point d'idée, ou dont l'on pourrait dire, comme il fait en la page 206 : « que c'est la chose << du monde qu'on connaît le mieux quant à son existence, << et qu'on connaît le moins quant à son essence? »

Il ajoute au même lieu (page 171) : « qu'il n'est pas pos<<<<sible de concevoir un esprit qui ne pense point, quoiqu'il << soit possible d'en concevoir un qui ne sente point, qui << n'imagine point, et même qui ne veuille point..

<< Mais que la puissance de vouloir est inséparable de l'es<< prit, quoiqu'elle ne lui soit pas essentielle : comme la ca« pacité d'être mue est inséparable de la matérielle, quoi<< qu'elle ne lui soit pas essentielle. » On peut voir beaucoup d'antres choses semblables dans le même endroit, qui montrent manifestement, ou qu'il avance tout cela témérairement et sans savoir ce qu'il dit, ou qu'il connaît mieux qu'il ne dit la nature de son âme.

Mais il dit une chose dans ce même chapitre, qui renverse ce qu'il donne ailleurs pour la principale condition de l'idée claire d'un objet, qui est de nous donner moyen de connaitre toutes les modifications dont il est capable. C'est en la

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