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réelle, mais que la formelle suffit, afin qu'une chose puisse être conçue distinctement et séparément d'une autre par une abstraction de l'esprit qui ne conçoit la chose qu'imparfaitement et en partie; d'où vient qu'au même lieu il ajoute : <«< Mais je conçois pleinement ce que c'est que le corps, « c'est-à-dire je conçois le corps comme une chose com« plète, en pensant seulement que c'est une chose étendue, « figurée, mobile, etc., encore que je nie de lui toutes les «< choses qui appartiennent à la nature de l'esprit. Et d'autre « part, je conçois que l'esprit est une chose complète, qui << doute, qui entend, qui veut, etc., encore que je nie qu'il « y ait en lui aucune des choses qui sont contenues en l'idée « du corps donc il y a une distinction réelle entre le corps « et l'esprit. >>

Mais si quelqu'un vient à révoquer en doute cette mineure, et qu'il soutienne que l'idée que vous avez de vous-même n'est pas entière, mais seulement imparfaite, lorsque vous vous concevez, c'est-à-dire votre esprit, comme une chose qui pensé et qui n'est point étendue, et pareillement, lorsque vous vous concevez, c'est-à-dire votre corps, comme une chose étendue et qui ne pense point; il faut voir comment cela a été prouvé dans ce que vous avez dit auparavant; car je ne pense pas que ce soit une chose si claire qu'on la doive prendre pour un principe indémontrable, et qui n'ait pas besoin de preuve.

Et quant à sa première partie, à savoir, que « vous con«< cevez pleinement ce que c'est que le corps en pensant seu«lement que c'est une chose étendue, figurée, mobile, etc., « encore que vous niiez de lui toutes les choses qui appar<«< tiennent à la nature de l'esprit, » elle est de peu d'importance; car celui qui maintiendrait que notre esprit est corporel n'estimerait pas pour cela que tout le corps fût esprit, et ainsi le corps serait à l'esprit comme le genre est à l'espèce. Mais le genre peut être entendu sans l'espèce, encore que l'on nie de lui tout ce qui est propre et particu

lier à l'espèce; d'où vient cet axiome de logique, que l'espèce étant niée, le genre n'est pas nie; ou bien, là où est le genre, il n'est pas nécessaire que l'espèce soit; ainsi je puis concevoir la figure sans concevoir aucune des propriétés qui sont particulières au cercle. Il reste donc encore à prouver que l'esprit peut être pleinement et entièrement entendu sans le corps.

Or, pour prouver cette proposition, je n'ai point, ce me semble, trouvé de plus propre argument dans tout cet ouvrage que celui que j'ai allégué au commencement, à savoir : « Je puis nier qu'il y ait aucun corps au monde, aucune «< chose étendue, et, néanmoins, je suis assuré que je suis, << tandis que je le nie ou que je pense : je suis donc une chose « qui pense et non point un corps, et le corps n'appartient <«< point à la connaissance que j'ai de moi-même. »

Mais je vois que de là il résulte seulement que je puis acquérir quelque connaissance de moi-même, sans la connaissance du corps; mais que cette connaissance soit complète et entière, en telle sorte que je sois assuré que je ne me trompe point lorsque j'exclus le corps de mon essence, cela ne m'est pas encore entièrement manifeste. Par exemple, posons que quelqu'un sache que l'angle au demi-cercle est droit, et partant que le triangle fait de cet angle et du diamètre du cercle est rectangle; mais qu'il doute et ne sache pas encore certainement, voire même qu'ayant été déçu par quelque sophisme, il nie que le carré de la base d'un triangle rectangle soit égal aux carrés des côtés, il semble que, selon ce que propose M. Descartes, il doive se confirmer dans son erreur et fausse opinion. Car, dira-t-il, je connais clairement et distinctement que ce triangle est rectangle; je doute néanmoins que le carré de sa base soit égal aux carrés des côtés: donc il n'est pas de l'essence de ce triangle que le carré de sa base soit égal aux carrés des côtés. En après, encore que je nie que le carré de sa base soit égal aux carrés des côtés, je suis néanmoins assuré qu'il est rectangle, et il me demeure en l'esprit une

claire et distincte connaissance qu'un des angles de ce triangle est droit; ce qu'étant, Dieu même ne saurait faire qu'il ne soit pas rectangle, et partant, ce dont je doute, et que je puis même nier, la même idée me demeurant en l'esprit, n'appartient point à son essence.

« De plus, pour ce que je sais que toutes les choses que « je conçois clairement et distinctement peuvent être pro<< duites par Dieu telles que je les conçois, c'est assez que je << puisse concevoir clairement et distinctement une chose << sans une autre pour être certain que l'une est différente de « l'autre, parce que Dieu les peut séparer. » Mais je conçois clairement et distinctement que ce triangle est rectangle, sans que je sache que le carré de sa base soit égal aux carrés des côtés; donc, au moins par la toute-puissance de Dieu, il se peut faire un triangle rectangle dont le carré de la base ne sera pas égal aux carrés des côtés.

Je ne vois pas ce que l'on peut ici répondre, si ce n'est que cet homme ne connaît pas clairement et distinctement la nature du triangle rectangle; mais d'où puis-je savoir que je connais mieux la nature de mon esprit qu'il ne connaît celle de ce triangle? car il est aussi assuré que le triangle au demi-cercle a un angle droit, ce qui est la notion du triangle rectangle, que je suis assuré que j'existe, de ce que je pense.

Tout ainsi donc que celui-là se trompe de ce qu'il pense qu'il n'est pas de l'essence de ce triangle (qu'il connaît clairement et distinctement être rectangle) que le carré de sa base soit égal aux carrés des côtés, pourquoi peut-être ne me trompé-je pas aussi en ce que je pense que rien autre chose n'appartient à ma nature (que je sais certainement et distinctement être une chose qui pense), sinon que je suis une chose qui pense, vu que peut-être il est aussi de mon essence que je sois une chose étendue?

Et certainement, dira quelqu'un, ce n'est pas merveille si, lorsque de ce que je pense je viens à conclure que je suis, l'idée que de là je forme de moi-même ne me repré

sente point autrement à mon esprit que comme une chose qui pense, puisqu'elle a été tirée de ma seule pensée. De sorte que je ne vois pas que, de cette idée, l'on puisse tirer aucun argument pour prouver que rien autre chose n'appartient à mon essence que ce qui est contenu en elle.

On peut ajouter à cela que l'argument proposé semble prouver trop, et nous porter dans cette opinion de quelques platoniciens, laquelle néanmoins notre auteur réfute, que rien de corporel n'appartient à notre essence; en sorte que l'homme soit seulement un esprit, et que le corps n'en soit que le véhicule ou le char qui le porte, d'où vient qu'ils définissent l'homme un esprit usant ou se servant du corps.

Que si vous répondez que le corps n'est pas absolument exclu de mon essence, mais seulement en tant que précisément je suis une chose qui pense, on pourrait craindre que quelqu'un ne vînt à soupçonner que peut-être la notion ou l'idée que j'ai de moi-même, en tant que je suis une chose qui pense, ne soit pas l'idée ou la notion de quelque être complet qui soit pleinement et parfaitement conçu, mais seulement celle d'un être incomplet qui ne soit conçu qu'imparfaitement et avec quelque sorte d'abstraction d'esprit ou restriction de la pensée. D'où il suit que, comme les géomètres conçoivent la ligne comme une longueur sans largeur, et la superficie comme une longueur et largeur sans profondeur, quoiqu'il n'y ait point de longueur sans largeur ni de largeur sans profondeur, peut-être aussi quelqu'un pourrait-il mettre en doute, savoir si tout ce qui pense n'est point aussi une chose étendue, mais qui, outre les propriétés qui lui sont communes avec les autres choses étendues, comme d'ètre mobile, figurable, etc., ait aussi cette particulière vertu et faculté de penser, ce qui fait que, par une abstraction de l'esprit, elle peut être conçue avec cette seule vertu comme une chose qui pense, quoique, en effet, les propriétés et qualités du corps conviennent à toutes les choses qui ont la faculté de penser; tout ainsi que la quan

tité peut être conçue avec la longueur seule, quoique, en effet, il n'y ait point de quantité à laquelle, avec la longueur, la largeur et la profondeur ne conviennent. Ce qui augmente cette difficulté est que cette vertu de penser semble être attachée aux organes corporels, puisque, dans les enfants, elle paraît assoupie, et, dans les fous, tout à fait éteinte et perdue, ce que ces personnes impies et meurtrières des âmes nous objectent principalement.

Voilà ce que j'avais à dire touchant la distinction réelle de l'esprit d'avec le corps. Mais puisque M. Descartes a entrepris de démontrer l'immortalité de l'âme, on peut demander avec raison si elle suit évidemment de cette distinction. Car, selon les principes de la philosophie ordinaire, cela ne s'ensuit point du tout, vu qu'ordinairement ils disent que les âmes des bêtes sont distinctes de leurs corps, et que néanmoins elles périssent avec eux.

J'avais étendu jusqu'ici cet écrit, et mon dessein avait été de montrer comment, selon les principes de notre auteur (lesquels je pensais avoir recueillis de sa façon de philosopher), de la réelle distinction de l'esprit d'avec le corps son immortalité se conclut facilement, lorsqu'on m'a mis entre les mains un sommaire de six Méditations fait par le même auteur, qui, outre la grande lumière qu'il apporte à tout son ouvrage, contenait sur ce sujet les mêmes raisons que j'avais méditées pour la solution de cette question.

Pour ce qui est des âmes des bêtes, il a déjà assez fait connaître en d'autres lieux que son opinion est qu'elles n'en ont point, mais bien seulement un corps figuré d'une certaine façon, et composé de plusieurs différents organes disposés de telle sorte que toutes les opérations que nous remarquons en elles peuvent être faites en lui et par lui.

Mais il y a lieu de craindre que cette opinion ne puisse pas trouver créance dans les esprits des hommes, si elle n'est soutenue et prouvée par de très-fortes raisons. Car cela semble incroyable d'abord qu'il se puisse faire, sans le ministère d'aucune âme, que la lumière, par exemple, qui

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