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nombre, en qui on n'apercevait aucune connaissance de Dieu. Cette expérience, si elle est vraie, montre très-bien que l'idée de Dieu n'est pas innée, ni que ce soit une première vérité; mais elle ne prouve nullement que ce ne soit pas une connaissance très-naturelle et très-aisée.Si des sauvages n'ont pas déployé leurs idées, ni exercé leur esprit plus que ne font parmi nous communément des enfants, il ne faut pas s'étonner qu'ils n'aient pas acquis une connaissance la plus facile à acquérir. Quelque peu intelligents qu'ils soient, aussitôt qu'on leur a proposé les preuves de l'existence de Dieu, ils en ont été susceptibles.

47. Mais quelles vérités sont antérieures à la connaissance de l'existence de Dieu ? Celles-ci, par exemple : Je ne suis pas de moimême ce que je suis; Il y a d'autres êtres que moi; Il y a des corps; La subordination qui y règne ne saurait être que l'effet d'une intelligence. La vérité de l'existence de Dieu, supposant d'autres connaissances, et n'étant évidente que par voie de raisonnement, ne peut donc pas se mettre au rang des premières vérités.

48. Nous pouvons ici aider quelques philosophes à se tirer de l'embarras où ils se jettent eux-mêmes pour trouver, sur l'existence de Dieu, une preuve ou démonstration métaphysique. Il faut seulement qu'ils conviennent de ce qu'il leur plaît d'appeler évidence métaphysique. Ils la font ordinairement consister dans la perception de ce que nous éprouvons intimement en nous-mêmes de nos pensées, idées ou sentiments, et dans les conséquences que nous en tirons; lesquelles conséquences sont encore la perception de nos propres pensées, comme nous l'avons observé (11° 41). Par cet endroit les démonstrations de la géométrie sont dites avoir une évidence métaphysique, parce qu'elles ne sont que la perception de nos idées et de la convenance ou liaison qu'elles ont entre elles.Or, l'existence d'un être réellement autre que nous, tel que Dieu, étant autre chose que la perception intime de nos propres pensées ou idées, ne saurait être prouvée d'une évidence métaphysique prise en ce sens-là; ou bien il faudrait que nos propres perceptions, qui ne sont que nous-mêmes, fussent en même temps autre chose que nous-mêmes; ce qui est incompréhensible.

Quelques géomètres se méprennent visiblement, en se figurant que les choses démontrées par la géométrie existent, hors de leur pensée, telles qu'elles sont dans leur esprit, par la démonstration qu'ils en forment. Pour toucher au doigt leur méprise, ils n'ont qu'à se rappeler le globe parfait, dont les propriétés se démontrent, quoiqu'il n'existe nullement.

49. La géométrie ne prouve rien du tout de l'existence des choses, mais seulement ce qu'elles sont, supposé qu'elles existent réellement telles que l'esprit les conçoit. Aussi, toutes les choses existantes créées fussent-elles anéanties, la géométrie n'y perdrait pas un seul point de ses démonstrations, et le globe n'en serait pas moins une figure ronde, dont tous les points de la circonférence seraient parfaitement éloignés du centre.

que

50. Il demeure donc constant que, par l'évidence métaphysique prise au sens que nous venons de dire, on ne peut rien démontrer que ce qui nous est intime à nous-mêmes, et rien de l'existence de ce qui en est différent. C'est pourquoi, à moins que de supposer Dieu et nous-mêmes nous sommes un même être, il sera impossible de trouver une démonstration métaphysique (au sens que nous disons) de l'existence de Dieu, et par conséquent il sera inutile de la chercher, puisque toute vérité sur un objet différent de nos idées et de notre perception intime n'est point susceptible de cette sorte d'évidence.

CHAP. VII. Nouvelle exposition, avec des exemples, des caractères essentiels aux premières vérités.

51. Le premier de ces caractères est qu'elles soient si claires, que quand on entreprend de les prouver ou de les attaquer, on ne le puisse faire que par des propositions qui manifestement ne sont ni plus claires ni plus certaines ;

52. Le second, d'être si universellement reçues parmi les hommes en tout temps, en tous lieux, et par toutes sortes d'esprits, que ceux qui les attaquent se trouvent, dans le genre humain, être manifestement moins d'un contre cent, ou même contre mille;

53. Le troisième, d'être si fortement imprimées dans nous, que nous y conformions notre conduite, malgré les raffinements de ceux qui imaginent des opinions contraires, et qui eux-mêmes agissent conformément, non à leurs opinions imaginées, mais aux premières vérités universellement reçues.

54. Il est aisé de vérifier, par ces trois caractères, les propositions qui doivent être regardées comme premières vérités. En effet, si par exemple un homme entreprend de révoquer en doute que nous soyons certains de l'existence des corps, par quelle proposition, dont je sois plus certain, peut-il me rien prouver ou pour ou contre cette vérité? Dira-t-il, d'un côté, que Dieu m'en a donné l'idée ; et que si cette idée n'était pas vraie, ce serait Dieu qui me tromperait? Ce raisonnement contient trois ou quatre propositions,

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dont chacune, assurément, n'est ni plus claire nî plus immédiate à mon esprit, que cette vérité : Il y a des corps. Au contraire, saint Paul, qui savait beaucoup mieux que nos philosophes les véritables preuves de l'existence de Dieu, nous dit que cet être invisible se connait par les choses visibles. Les choses visiblés nous sont donc connues avant un Dieu invisible: or les choses visibles sont des corps; donc la connaissance que nous avons des corps est présente à notre esprit, même avant la connaissance de Dieu.

Il est vrai que certains philosophes s'en tiennent à une preuve de l'existence de Dieu, laquelle ne suppose point des objets visibles. J'ai naturellement l'idée de Dieu, disent-ils, donc Dieu existe : mais à qui feront-ils croire que cette proposition, J'ai naturellement l'idée de Dieu, ou cette autre, Si j'ai naturellement l'idée de Dieu, Dieu existe; à qui, dis-je, feront-ils croire que l'une ou l'autre dé ces deux propositions soit plus claire et plus certaine, plus immédiate à mon esprit, que celle-ci, Il y a des corps, ou des êtres étendus en longueur, largeur et profondeur?

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55. D'un autre côté, quelle proposition peut-on imaginer pour attaquer cette proposition, Il y a des corps, qui soit plus certaine et plus claire? Sera-ce celle-ci, Nous ne sommes évidemment certains que du sentiment intime de notre propre perception? Nous avons vu que cette proposition conduirait au fánatisme, puisqu'en' l'admettant dans toute son étendue, chacun de nous pourrait douter raisonnablement s'il n'est point l'être unique qui existe. Sera-cé donc cette autre proposition, Je pourrais absolument éprouver tout ce que j'éprouve, sans qu'il y eût des corps? Il s'en faut bien que' cette proposition ne soit plus certaine et plus claire; car je n'ai ni' clarté ni certitude de ce que je pourrais ou ne pourrais pas, dans une disposition de choses toute contraire à celle que j'éprouvé actuellement. Cette prétendue possibilité que je me figure n'est donc point un sentiment naturel, mais la pensée de certains esprits spéculatifs qui poussent leur spéculation au delà des bornes. Si une pareille possibilité était fondée dans le sens commun, on pourrait juger sensément que tout ce qu'actuellement nous éprouvons ne suppose point des corps; et par conséquent douter sensément s'il en existe, et agir sensément en conformant à ce doute la conduité de notre vie. Or, je demande si c'est un titre de sens commun, que de pouvoir être arrêté dans la conduite de la vie, par l'incertitude s'il y a des corps? Cette incertitude étant une folie manifeste, la certitude contraire est donc une sagesse jointe à la vérité. Voilà où il s'en faut tenir, pour ne pas confondre les idées les plus fixes de

l'esprit humain, et pour ne pas substituer de vains raffinements à la vraie philosophie.

Mais dans le sommeil et dans le délire n'éprouve-t-on pas à peu près les mêmes impressions que nous éprouvons ordinairement par le moyen des corps? Peut-être sont-elles à peu près les mêmes, mais très-certainement elles ne sont pas les mêmes; et si quel qu'un, pendant la veille, ne se trouvait pas tout autrement affecté que quand il rêve, il ne mériterait pas plus que l'on s'amusât à raisonner avec lui, que s'il était actuellement dans le délire ou dans le sommeil: outre que dans ces deux états, si on ressent des impressions approchantes de celles que font sur nous ordinairement les corps, c'est parce qu'on a reçu auparavant, des corps mêmes, des impressions qui se renouvellent alors par l'agitation des esprits. Ges deux états supposent donc nécessairement des corps; et ils en montrent l'existence, bien loin de montrer que je pourrais éprouver tout ce que j'éprouve, sans qu'il y eût des corps. Car s'il n'y avait point de corps, qu'éprouverais-je, et que pourrais-je éprouver? Jé n'en sais rien, et n'en puis rien savoir, n'en ayant point l'expérience: or, ne pouvant indépendamment d'elle pénétrer dans la nature des esprits, ceux qui croiraient pénétrer plus avant ne pénétreraient que dans des chimères. Aucune proposition contraire n'est donc plus certaine ni plus claire que celle-ci: Il y a des corps; elle est donc une première vérité, dictée à notre esprit par la nature et par le sens commun; puisque, pour la prouver, ou pour la détruire, on ne peut marquer une proposition plus claire ni plús

évidente.

56. Ajoutez que cette vérité se trouve encore revêtue des deux derniers caractères attachés essentiellement aux premières vérités; car elle a été si universellement reçue parmi les hommes, dans tous les temps, et dans tous les pays du monde, et par toutes sortes d'esprits, que ceux qui attaqueraient la certitude évidente de l'existence des corps ne se trouveraient pas un contre mille, et même contre cent mille: car tous les hommes (ainsi que nous le disons) étant tous philosophes à l'égard des premières vérités de sentiment, sur cent mille philosophes il ne s'en trouvera assurément pas un qui juge sérieusement qu'il n'est pas évidemment certain s'il y a des corps en ce monde, et si tous les objets qu'il a devant ́ les yeux ne sont point des spectres ou de purs fantômes de l'imagination.

57. Il s'en trouvera encore moins qui, dans la pratique, n'agissent pas comme étant évidemment certains de la chose qu'on sup

poserait pouvoir être révoquée en doute. Ainsi quand, malgré ces trois caractères de premières vérités, un contemplatif prétendra qu'à force de réflexions, il a découvert que nous n'avons aucune certitude évidente des corps, il prouvera seulement qu'à force de réflexions il a perdu le sens commun; méconnaissant une première vérité dictée par le sentiment de la nature, et qui se trouve justifiée par les trois caractères que j'ai marqués.

58. Celle qui regarde la liberté de l'homme a encore ces trois caractères. En effet, 1o jamais opinion n'a été si universelle dans le genre humain. N'est-ce pas là également, disait saint Augustin, ce que les plus habiles docteurs enseignent dans les chaires, ce que les plus simples bergers publient dans les campagnes, ce qui se répète et se suppose dans toutes les conjonctures de la vie? 2o Le petit nombre de ceux qui, par affectation de singularité ou par des réflexions outrées, ont voulu dire ou imaginer le contraire, ne montrent-ils pas eux-mêmes, par leur conduite, la fausseté de leurs discours, puisqu'ils ne peuvent avoir pour la perfidie la même estime que pour la fidélité? Néanmoins, ces qualités ne seraient au fond ni estimables ni méprisables, si elles ne partaient pas d'une volonté libre, mais d'un principe nécessaire. Nous pourrions aimer la vertu et la probité comme nous étant commodes; jamais nous ne pourrions les juger dignes de récompense et d'estime. C'est ainsi que nous aimons, à cause de sa commodité, une montre, qui nous marque réglément les heures; et nous ne pouvons sérieusement la juger digne d'estime et de récompense, comme nous en jugeons digne un homme, qui dans un danger pressant, est demeuré fidèle à son devoir.

59. D'ailleurs par quelle proposition plus claire et plus certaine que celle-ci, L'homme est véritablement libre, pourra-t-on attaquer cette vérité? Sera-ce par cette autre On pourrait n'être pas libre, et choisir volontairement tantôt un parti et tantôt un autre, sans que l'on s'en aperçut soi-même, et sans éprouver aucune disposition différente de celle où nous nous trouvons actuellement? Cette proposition, dis-je, n'est pas certainement plus claire que celle-ci, Je sens que je suis libre; car, par voie de raisonnement, l'une ne saurait être détruite par l'autre, n'ayant aucun principe commun qui serve à détruire l'une et à établir l'autre ; au lieu que, par voie de sentiment, tous les hommes sensés et de bonne foi, loin d'être arrêtés par les subtilités d'un sophiste sur ce point, plus ils y penseront, plus ils riront de ces subtilités.

D'ailleurs opposera-t-on à cette vérité, Je suis libre, une pro

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