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suivant l'opinion de Xénophane, il y a dans l'homme une faculté de connaître le vraisemblable. Le scepticisme de Xénophane, quel qu'il fût, ne doit s'entendre que du monde sensible et phénoménal, et non des vérités métaphysiques. C'est ce que nous atteste Aristote; c'est ce que répète expressément Aristoclès, dans le passage rapporté par Eusèbe 2. C'était l'idéalisme, en un mot, système qui, aux yeux des observateurs superficiels, se confond avec le scepticisme, et qui souvent aussi se résout en effet dans ce dernier 3.» Parménide, disciple de Xénophane (435 ans avant Jésus-Christ), développa plus expressément la théorie de son ami, qui avait pour but de refuser toute autorité au témoignage des sens, et de réserver aux spéculations rationnelles le privilége d'atteindre la vérité. C'est ce qui résulte de son poëme sur la nature, où il dit qu'il faut se soustraire à l'entraînement des sens; que le sentiment écarte de la vraie route, et que la parole, la pensée, l'être, ont la réalité entière. La manière nette et hardie dont il s'exprime l'a fait considérer comme le fondateur de l'idéalisme chez les Grecs, et les nouveaux platoniciens l'ont regardé comme l'un de leurs devanciers.

Mélissus, autre philosophe de la même école (444 ans avant JésusChrist), répète les mêmes notions : « Tout ce qui s'offre à nos sens est varié et mobile; il n'y a donc aucune réalité véritable; les sens ne saisissent donc que de vaines apparences; la raison seule peut atteindre à ce qui possède une existence réelle 5.

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Cette philosophie, qui heurtait toutes les idées reçues parmi les hommes, et qui choquait si ouvertement le sens commun, ne manqua pas d'être vivement attaquée par les raisons tirées de l'instinct invincible de la nature et du témoignage intime de la conscience. Ainsi s'éleva dans l'empire de la philosophie la première lutte ouverte dont l'histoire nous offre l'exemple.

Zénon (504 ans avant Jésus-Christ) se chargea de défendre la cause difficile des Eléatiques; ce qu'il fit d'une manière très-subtile, plutôt en montrant les inconvénients des principes de ses adversaires, qu'en prouvant la vérité et la bonté intrinsèques du sien. Zénon, pour soutenir cette polémique, fut conduit à instituer la logique, dont les for

'Pyrrohon. hypot., I, § 225.

Præp. Evang., VIII.

Hist. comparée, t. I, ch. 6.

Des fragments de ce poëme ont été publiés par H. Etienne sous le titre de Poësis philosophica. Le professeur Fulleborn, dans ses mélanges, l'a aussi publié d'une manière plus complète.

Simplicius, in Phys. Arist., et sur le livre de Cœlo.

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mules furent déterminées plus tard par Aristote. « Ce fut ainsi que la logique, à son origine, prit le caractère qu'elle a presque constamment conservé, d'être une arme pour le combat, plutôt qu'un instrument donné à la raison pour édifier; ce fut ainsi que, employée d'abord pour soutenir la cause des spéculations rationnelles, pour attaquer l'autorité et l'expérience, elle dut se fonder de préférence sur les déductions à priori, plutôt que sur les inductions analytiques 1. » On dit que Zénon montrait une si grande habileté dans la dispute, qu'il pouvait également tout contredire, tout envelopper des nuages du doute,

On a rattaché à cette école Héraclite, surnommé le ténébreux et le pleureur (500 ans avant Jésus-Christ), quoiqu'il ait plutôt aspiré à être lui-même qu'à se montrer le disciple d'un autre. Cependant il suivit sur le principe des connaissances humaines la même distinction que Xénophane. D'après ce principe: le même ne peut être conçu que par le même; la conception ne peut se fonder que sur la similitude entre l'objet et le sujet 2, il fut conduit naturellement à rejeter le témoignage des sens, et à n'accorder d'autorité qu'à la raison. Cependant il considérait les sens comme des canaux par lesquels nous aspirons la raison divine. Sur cette idée, il fonde l'autorité du sens commun. « Les jugements dans lesquels s'accordent tous les hommes sont un témoignage certain de la vérité; cette lumière connue, qui les éclaire tous à la fois, n'est autre chose que la raison divine répandue dans tous les êtres pensants par une effusion immédiate ". »

Cependant Hippocrate, le père de la médecine (460 ans avant Jésus-Christ), ramena l'étude de l'observation; il étudia la nature selon la méthode expérimentale et les règles de l'induction; en sorte qu'il imprima un grand mouvement aux sciences naturelles. «< A faisait consister la recherche du vrai dans l'art d'associer la raison à l'expérience. Sa philosophie est en quelque sorte renfermée dans ce peu de mots, qu'on croirait avoir été tracés par Bacon: « Il faut tirer toutes les règles de pratique, non d'une suite de raisonnements antérieurs, mais de l'expérience dirigée par la raison. Le jugement est une espèce de mémoire qui assemble et met en ordre toutes les impressions reçues par les sens; car avant que la pensée se produise, les sens ont éprouvé tout ce qui doit la fournir, et ce sont eux qui en font parvenir les matériaux à l'entendement1. >>

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Quoique certains historiens aient voulu faire ce philosophe disciple d'Héraclite, il paraît, d'après la marche qu'il a suivie, qu'il n'appartenait pas à l'école d'Eiée.

Les Eléatiques physiciens forment la seconde branche de cette école. Parmi eux il faut distinguer Empedocle, Leucippe, Démocrite, Métrodore de Chios.

Empedocle, né à Agrigente en Sicile, philosophe, poëte, historien, médecin, se rattachait à l'école d'Italie, ayant été disciple de Telauges, qui l'était lui-même de Pythagore. Aussi admit-il la métempsycose sur laquelle il fit un poëme. Ses idées, pleines d'une exaltation voisine de la folie, étaient exprimées dans un style qui ressemblait beaucoup à celui d'Homère, s'il faut en croire Aristote, cité par Diogène Laërce. Comme il se croyait Dieu, ou qu'il voulait passer pour tel, il se précipita dans les flammes de l'Etna, vers l'an 440 avant Jésus-Christ.

Sa doctrine, si l'on peut donner ce nom à des rêveries incohé rentes, était empreinte de syncrétisme. Il paraît avoir emprunté aux Eléatiques le principe que le même ne peut être aperçu que par le même, d'où il déduisit une théorie particulière de la sensation. Sextus l'Empirique nous apprend qu'il refusait toute confiance aux sens, et ne reconnaissait d'autorité que dans la raison seule1. Au reste, l'exagération poétique de son style, et les contradictions où il est tombé, empêchent de le classer nettement parmi les sceptiques. Leucippe d'Abdère, disciple de Zénon (428 ans avant JésusChrist), inventa le système des atomes et du vide, développé ensuite par Démocrite et par Epicure. L'idée du mouvement inhérent à chaque atome, lequel produit une sorte de tourbillon, a été regardée par Huet et par Bayle comme le germe du système de Descartes. La cosmogonie de ce philosophe ne suppose aucune intervention d'une cause intelligente. Pour lui, tout est matière et destin. Sa psycologie est aussi radicalement matérialiste. L'âme est, selon lui, un agrégat d'atomes, un composé de particules ignées, qui circulent dans tout le corps. Ainsi, l'univers tout entier est une vaste mécanique.

Démocrite, compatriote et disciple du précédent, épuisa son patrimoine à voyager en Egypte, en Chaldée, en Perse, et peut-être jusque dans les Indes. Comme ce philosophe riait et se moquait de tout, les Abdéritains le croyant fou, écrivirent à Hippocrate pour qu'il vînt guérir sa tête. Démocrite, dans un ouvrage intitulé

Adv. Math., VI, 115, 122.

le Diascomos, avait développé le système de son maître sur la formation du monde. Selon Démocrite, la sensation ne représente que l'action exercée sur nous par les corps, mais elle n'exprime aucune qualité réelle. Ainsi, les perceptions sensibles n'ont aucune vérité et ne peuvent nous procurer aucune connaissance réelle. La raison seule peut porter des jugements solides et obtenir une connaissance véritable. Cependant cette raison est une faculté de l'âme : or, selon le même philosophe, l'âme est un agrégat d'atomes de feu, dont toute l'activité réside dans le mouvement matériel; d'où il suit que l'intelligence humaine est entièrement passive. C'est pourquoi Aristote accuse Démocrite d'avoir identifié la raison avec les sens. Sextus l'Empirique 1 suppose qu'il refuse la certitude à toute espèce de connaissance; et Cicéron 2 le met au rang des sceptiques.

Métrodore, médecin de Chios, et disciple de Démocrite, adopta la théorie des atomes, et Cicéron, dans les Questions académiques3, lui fait tenir ce langage : « Je nie que nous sachions si nous savons quelque chose ou si nous ne savons rien; que nous sachions même ce que c'est que savoir ou ne savoir pas, s'il y a quelque chose, ou si மதம்.. nous ne savons rien. »> Ainsi, par des voies opposées, les deux branches de l'école éléatique, l'une partant des axiomes métaphysiques, l'autre admettant pour base de leurs spéculations la variété des choses sensibles, parvinrent au même résultat, avec cette différence que le scepticisme de la première fut l'idéalisme, et que celui de la seconde fut le matérialisme. D'un côté, la raison pure rejette toute réalité sensible; de l'autre, l'âme réduite à des éléments matériels, ne perçoit que d'une manière passive les formes mobiles et incertaines du monde.

La seconde phase du scepticisme est celle où l'on voit paraître les sophistes. Au sein de la prospérité d'Athènes, et de la corruption qui en était la suite, corruption qui était favorisée encore par l'abus de l'art oratoire, par l'ambition d'une jeunesse téméraire, et par les écarts inévitables d'une liberté presque sans limite, on vit accourir dans cette ville les philosophes d'Ionie, d'Elée et d'Italie, pour y trouver la paix, la liberté et les honneurs dont ils ne jouissaient plus nulle part. Périclès (500 ans avant Jésus-Christ), grandpar son génie et ses succès, plutôt que par ses vertus, avait chargé de fleurs les chaînes qu'il faisait peser sur sa patrie; le siècle qui porte son nom restera toujours comme l'un des plus brillants dont l'his

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toire ait conservé le souvenir. Athènes était alors, comme dit Platon, le grand Prytanée de la Grèce.

La philosophie, transplantée dans cette ville à une époque où ses doctrines offraient déjà les résultats les plus contradictoires, jeta l'incertitude dans les esprits, et fournit des armes aux discoureurs subtils pour tout démontrer et contester selon leur fantaisie. Il devrait en résulter, d'un côté, une grande indifférence pour la vérité, et de l'autre, une curiosité vaine de scruter les problèmes que les écoles de la Grèce et de l'Italie avaient posés sans les résoudre d'une manière satisfaisante. Les esprits ainsi disposés avaient besoin de maîtres pour s'élancer à leur suite dans l'arène de la philosophie. Il s'en trouva qui profitèrent de cet élan, et qui tarifèrent leurs leçons. Pour la première fois, la philosophie devint vénale, et la jeunesse athénienne acheta au poids de l'or ce talent merveilleux de disputer que lui offraient les sophistes.

L'apparition de ces hommes et la peinture de leurs habitudes nous ont été transmises par Platon, Aristote et Xénophon, auteurs contemporains dont on ne saurait désavouer le témoignage, alors même qu'on y trouverait quelque exagération.

Les sophistes, professeurs mercenaires de philosophie, qui portèrent au plus haut degré l'art de disputer sans rien conclure, ne formaient pas une secte à part; mais ils paraissent se rattacher à l'école éléatique dont nous avons parlé. Nous signalerons les plus célèbres, ceux qui se firent un nom en gagnant l'argent de leurs auditeurs.

« Les maximes qui nous ont été conservées des sophistes les plus célèbres ont pour nous cet intérêt particulier, qu'elles se rapportent presque exclusivement à la théorie de la connaissance humaine. Ils cherchaient dans la philosophie moins une doctrine qu'un instrument. Ils s'occupaient moins de reconnaître ce qu'il est utile de savoir que de chercher comment on peut savoir : ils s'étudiaient moins à fonder qu'à détruire '. »

Protagoras d'Abdère (450 ans avant Jésus-Christ), le premier, dit-on, qui prit le nom de sophiste, fut disciple de Démocrite, et de crocheteur, devint philosophe. Le précis de sa doctrine se trouve dans le Téxtète de Platon, et dans Sextus l'Empirique : Aristote,

1 Hist, comparée, t. II, ch. 8.'

• Métaphys., III, 5,

C. C.

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