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Diogène Laërce', Cicéron et Aristoclès nous l'ont fait aussi con

naî.re.

Selon Protagoras, dit Sextus, l'homme est la mesure de toutes choses. Il fait de l'homme le criterium qui en apprécie la réalité, des êtres, en tant qu'ils existent, du néant, en tant qu'il n'existe pas. Protagoras n'admet donc que ce qui se montre aux yeux de chacun. Tel est à ses yeux le principe général des connaissances. Il paraît ainsi se confondre avec les Pyrrhoniens... Le fondement de tout ce qui apparaît aux sens réside dans la matière, en sorte que la matière, considérée en elle-même, peut être tout ce qu'elle paraît à chacun...... L'homme est donc, suivant ce philosophe, le criterium de ce qui est; tout ce qui apparaît aux hommes existe; ce qui n'apparaît à aucun homme n'existe pas. Nous voyons donc qu'il a prononcé, d'une manière dogmatique, que la matière est mobile, changeante, qu'en elle est placée la raison de toutes les choses qui apparaissent; que ces choses sont incertaines, et que nous devons suspendre d'y donner notre assentiment,

Mais ce philosophe n'a admis rien qui soit ou vrai, ou faux par soi-même; et l'on dit que son opinion a été partagée par Euthydème et Dionysidore; car ceux-ci également n'admirent qu'une vérité purement relative*. »

D'après cet exposé de Sextus l'Empirique, conforme à ceux de Platon et d'Aristote, toutes choses sont en elles-mêmes également vraies; ce qui, du reste, équivaut à dire que tout est également faux. D'où il suit que la philosophie est l'art de soutenir le pour et le contre, sur chaque question, par des arguments captieux. On a remarqué dans les temps modernes un rapport de ressemblance entre l'esprit subtil et sceptique de Protagoras, et ceux de Hume et de Bayle.

Du reste, Protagoras ayant mis en problème l'existence d'un être suprême, il fut chassé d'Athènes, et ses écrits furent condamnés aux flammes.

Gorgias, de Léontium en Sicile (417 ans avant Jésus-Christ), était disciple d'Empedocle; Aristote l'associe à Xénophane et à Zénon. Il obtint la même célébrité que Protagoras, et parvint au même scepticisme, quoiqu'il fût parti d'un principe opposé : le premier avait subordonné la science au témoignage des sens, le second leur

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refusa toute autorité. D'après Sextus l'Empirique, Gorgias, dans le livre intitulé: De ce qui n'est pas, ou de la Nature, énonce successivement trois propositions principales: la première, que rien n'existe; la seconde, que, lors même qu'il existerait quelque chose, cette chose ne pourrait être connue par l'homme; la troisième, que, lors même qu'un homme pourrait la connaître, il ne pourrait l'expliquer et la faire connaître aux autres. Il établit ensuite par les subtilités de la dialectique chacune de ces propositions.

Selon ce sophiste, combattu vivement par Platon, l'art oratoire a pour but de persuader indifféremment la vérité et l'erreur; ce qui fait dégénérer ce bel art en instrument d'erreur et de fourberie, et les ressources de la rhétorique en parfaites supercheries, selon le langage de Locke'. Gorgias obtint en effet, comme rhéteur, une grande célébrité, et traîna à sa suite les jeunes gens de la Grèce, éblouis par le charme de ses discours.

Prodicus, de l'île de Céos, et disciple de Protagoras, brilla comme rhéteur, et amassa beaucoup d'argent en parcourant les villes pour y étaler son éloquence. On a beaucoup parlé de sa harangue à cinquante dragmes, parce qu'il fallait payer cette somme pour avoir le privilége de l'entendre. Il a été accusé d'athéisme, quoiqu'il semble n'avoir parlé que contre les fables de la mythologie. Les Athéniens, chez qui il résidait comme ambassadeur de sa patrie, le condamnèrent à mort comme corrupteur de la jeunesse. Au rapport d'Eschine 2, Prodicus ne voyait dans l'âme qu'un résultat de l'organisation physique.

Diagoras, dont la tête fut mise à prix à cause de ses opinions irréligieuses; Critias, qui faisait résider l'âme dans le sang, et les facultés de l'âme dans les sensations, qui fut athée et opprima sa patrie; Hippias, qui déclarait le joug des lois injuste et intolérable; et généralement tous les sophistes enseignaient, au rapport de Cicéron 3, que tout ce qui existe est l'effet du hasard, et qu'aucune providence ne préside au cours des choses humaines. Armés de la dialectique que Zénon leur avait fournie, ils épuisèrent tous les genres de subtilités, et firent de la philosophie une sorte de tournoi où les beaux esprits venaient parader aux dépens de la raison et de la bourse des spectateurs.

"On peut appeler l'enseignement des sophistes une sorte de scepticisme indirect. S'ils ne proclamèrent point qu'il n'y a pas de vé

'Essai philosoph., p. 412.
* Dialogue intitulé Axiochus,
De Nat. Deor., 1, 23 et 24.

rités certaines, ils produisirent un effet semblable en prétendant que tout est également certain. S'ils n'avancèrent point qu'il n'y a rien de réel, ils avancèrent du moins que nous manquons de moyens pour connaître la réalité. Ce n'était point encore le découragement de la raison; c'était, si l'on peut dire ainsi, son déréglement; et quelquefois la seconde de ces maladies intellectuelles est moins incurable que l'autre, comme il y a plus de remède à l'impétuosité des passions qu'à l'excès de la faiblesse. On ne peut ressusoiter les forces éteintes; mais les égarements appellent et peuvent ⚫btenir une salutaire réforme1. »

Cette réforme de l'esprit philosophique fut en effet entreprise par Socrate, et quelque temps après par Aristote. Les deux écoles qu'ils fondèrent, quoique divisées et rivales entre elles, exercèrent néanmoins une grande influence; elles mirent fin aux excès des sophistes, donnèrent une véritable dignité à la philosophie, et continrent le débordement du scepticisme, jusqu'à ce que celui-ci, à son tour, par une réaction presque inévitable, reparut sur la scène plus fort et plus développé qu'auparavant.

Pyrrhon (336 ans avant Jésus-Christ) ouvrit la troisième période du scepticisme, nouvelle campagne de l'esprit humain, dirigée contre le dogmatisme. C'est depuis lors que cette grande aberration philosophique a pris aussi le nom de pyrrhonisme.

A la faveur des divisions qui régnaient entre l'Académie et le Lycée, et des systèmes multipliés qui étaient sortis de l'école d'Italie, Pyrrhon put essayer avec succès de reproduire une opinion qui semblait exprimer la lassitude et le découragement où était tombée la raison. Il s'installa donc au milieu des ruines, et dit : Voilà mon domaine. La philosophie est assez convaincue de contradiction; donc elle n'a pas, jusqu'à ce jour, le droit de rien affirmer.

Pyrrhon a été jugé bien diversement par les auteurs qui en ont parlé. Les uns le représentent comme un homme hébété par ses systèmes, qu'il s'efforçait de pratiquer dans tous les détails de la vie, en sorte qu'au milieu d'une tempête il montrait la tranquillité d'un porc, comme l'exemple de l'impassibilité, qui doit caractériser le sage. Les autres en ont fait un homme vénérable, modéré en tout, plein de respect pour les lois, les mœurs et les usages de ses concitoyens, n'appliquant son système de critique qu'aux hypothèses philosophiques de son temps, pour mettre un terme aux excès du dogmatisme, et faire revivre la sage réserve de Socrate.

Hist. comparée, t. II, ch.8.

Quoi qu'il en soit de ces deux manières de considérer le philosophe d'Elis, il est vrai de dire que son système a paru généralement avoir une latitude indéfinie, et saper les fondements de la raison humaine.

Le fond de ce système, le code véritable du scepticisme, se trouve exprimé dans les dix tropes ou motifs qui servent à faire suspendre l'assentiment de l'esprit. Que ces tropes soient dus à Pyrrhon luimême, ou à ses disciples, peu importe; il nous suffit de savoir qu'on y trouve la formule de cette école. On y trouve aussi les raisonnements qui ont été reproduits à diverses époques pour renouveler l'hypothèse du doute universel.

Pour résumer en peu de mots cette exposition des Pyrrhoniens, disons d'abord que cette école admet comme une chose convenue que nos connaissances dérivent de l'expérience extérieure et sensible, de la sensation. En second lieu, ce principe posé, elle soutient que nos sens ne peuvent nous transmettre que des арраrences, et que nous n'en pouvons rien conclure par rapport aux objets eux-mêmes. Troisièmement, que l'entendement ne peut pas plus juger que les sens, par rapport à la vérité externe; car, pour qu'il jugeât avec certitude, il lui faudrait une marque, un criterium de la vérité. Or, ce criterium, il faudrait qu'un autre nous en garantît la fidélité, et ainsi de suite, jusqu'à l'infini. En courant de garanties en garanties, la raison se perdrait dans un abîme. Enfin, pour donner un appui à notre raison nous consultons la raison des autres, les traditions, les usages, les lois du genre humain, nous trouvons qu'il y a opposition de système à système, de loi à loi, d'usage à usage, de traditions à traditions. Dans ce choc de toutes les règles, quel guide suivre? comment faire un choix?

si

Le sage doit donc s'abstenir de juger, parce que « à tout raisonnement est opposé un raisonnement d'un poids égal et d'une même force.» Le sage admettra les apparences, il se conduira d'après les apparences; mais il ne prononcera pas sur la réalité. C'est ainsi qu'il pourra parvenir à la tranquillité inaltérable de l'âme.

Voilà le plus vaste système que la raison eût encore imaginé pour se détruire elle-même et parvenir à la tranquillité des brutes. Parmi le grand nombre de disciples qui s'attachèrent au doute systématique de Pyrrhon, on remarque Timon de Phlius en Achaïe, philosophe, poëte et médecin. Quelques fragments qui restent de lui appartiennent à des satires où il passe en revue et

'Sextus l'Empirique, Pyrrhon. hyp., liv. 1.

frappe de ridicule les philosophes antérieurs, et préconise la vie heureuse du sage. Tandis que Pyrrhon brisait, par son doute systématique, le ressort de l'intelligence, Epicure, mettant le bonheur de l'homme dans la volupté, énervait le cœur : tous les deux concouraient ainsi à l'abrutissement de l'humanité.

« Le pyrrhonisme, considéré dans son ensemble, dit judicieusement M. Dégérando, était en quelque sorte pour l'esprit ce que l'épicurisme était pour le cœur; sous le nom du calme, sous l'apparence du repos, il cachaient l'un et l'autre la mollesse, le relâchement de tous les ressorts de l'énergie intellectuelle et morale. L'un renonçait à la vérité, comme l'autre écartait les émotions. Pyrrhon faisait du doute l'épicurisme de la raison; Epicure faisait de la volupté l'inaction de l'âme. Tous deux, repoussant également les recherches spéculatives, bornaient la philosophie à une sorte de bon sens pratique; tous deux se laissaient aller aux impressions reçues, à l'autorité des principes et à celle des devoirs, en abdiquant la noble puissance que l'homme est appelé à exercer sur lui-même. Ces deux choses sont étroitement liées : c'est sur la double autorité du vrai et du bon que se fonde l'indépendance intellectuelle et morale de l'homme; car c'est en elle qu'il puise cette énergie intérieure sans laquelle il n'est point d'indépendance véritable '. »

I

Ce que Socrate, Platon et Aristote avaient fait contre l'école éléatique et les sophistes, Zénon de Cittium, ville de Chypre, entreprit de le faire contre les doctrines spéculatives et pratiques de Pyrrhon et d'Epicure. L'école des Stoïciens fut à la fois dogmatique et rigide. Si nous mettons de côté l'exagération du principe moral proclamé par Zénon, l'apathie du sage, il faut convenir que sa doctrine pratique résume ce qu'il y a de plus noble et de plus sublime dans l'antiquité païenne.

Mais tandis que le philosophe de Cittium s'efforçait de restaurer la raison et la morale, un travail intérieur de décomposition agitait l'Académie elle-même, fondée par Platon. Du sein de cette école primitivement dogmatique, le scepticisme ne tarda pas à se produire 2. C'est pourquoi Zénon eut à combattre les académiciens

Hist. comparée, t. II, ch. 14.

* Pour expliquer ce phénomène, on a considéré la doctrine de Platon sous deux rapports: 1° en tant qu'elle traite des objets sensibles perçus par les organes; 2o en tant qu'elle expose la théorie des idées, dont nous avons parlé dans la seconde partie. Les perceptions sensibles ne paraissaient point au philosophe constituer un ordre de connaissances certaines elles étaient simplement l'objet de l'opinion. La certitude ne se trouvait que dans l'ordre des idées métaphysiques. Tel était le fond de cette doctrine ésotérique, ou mysté

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