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aussi bien que les disciples d'Epicure. Polémique pleine du plus haut intérêt, puisque, de part et d'autre, on discute avec profondeur et persévérance des questions fondamentales qui ont pour objet la réalité et la certitude des connaissances humaines. Les Pyrrhoniens avaient dit qu'il faut suspendre son jugement, sans affirmer que la vérité est à jamais introuvable. La nouvelle Académie déclara que tout est incompréhensible, et que par conséquent on ne peut rien savoir.

Ce nouveau pas fait dans le scepticisme correspondait au principe contraire des Stoïciens, qui érigèrent en criterium de la vérité l'apparition cataleptique, ou la perception compréhensive 1. Ce fut ainsi que les académiciens prirent l'acatalepsie pour base de leur doute universel, et se nommèrent acataleptiques 2.

Arcésilas, de Pitane en Eolide (370 ans avant Jésus-Christ), successeur de Crantor dans l'école platonique, fut le premier auteur de ce système, et fonda la seconde Académie. Cléanthe fut son principal adversaire.

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D'après Sextus l'Empirique, le scepticisme d'Arcésilas n'aurait été qu'apparent. « Il l'employait comme une sorte d'épreuve pour essayer ses disciples; il confiait ensuite sa doctrine, qui n'était autre que cele de Platon, à ceux qu'il avait reconnus dignes d'être admis à son intimité, et capables de saisir ce haut enseignement Saint Augustin paraît adopter ce sentiment. Quoique Cicéron semble ranger Arcésilas parmi les sceptiques, il ajoute cepenphilosophe était revenu au véritable enseignement de Platon, et que la suspension du jugement n'était à ses yeux qu'une préparation à la vérité.

Quoi qu'il en soit, Arcésilas fut le plus redoutable adversaire du stoïcisme naissant, et d'après ce que Sextus a conservé de son argumentation, on voit qu'elle se dirige contre la théorie de la perception, telle que Zénon l'avait formulée. Selon Cicéron, ce philosophe niait qu'on pût rien savoir, «pas même ce que Socrate disait être la seule science, qu'il ne savait rien; il pensait que tout était enveloppé de telles ténèbres, qu'il n'était rien qu'on pût voir et com

rieuse, réservée aux disciples les plus clairvoyants. On conçoit donc qu'une fraction considérable de cette école, adoptant le principe sensualiste, dut finir par le scepticisme.

1 Du mot grec xataλzμbávw, saisir, prendre, comprendre.

* Formé de à privatif, et de xavaλuμ6ávw.

3 Pyrrhon. hyp., liv. I. 4 Contru acad., III, 17. * Acad. quæst., IV. 21.

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prendre. » Dans l'usage de la vie, il faisait consister la sagesse à se diriger d'après ce qui est probable.

Au reste, comme son principal raisonnement repose sur l'impossibilité de trouver le criterium du vrai, on peut dire que le système des acataleptiques se confond radicalement avec le scepticisme pyrrhonien.

Tandis que Chrysippe succédait à Cléanthe dans la défense du stoïcisme, Carnéade succédait à Arcésilas dans l'attaque. Carnéade, de Gyrène (212 ans avant Jésus-Christ), fonda la troisième Académie. Il s'attacha plutôt à faire la critique du système des Stoïciens, personnifié dans Chrysippe, qu'à établir le doute universel. Quoique son langage se rapprochât de celui des Pyrrhoniens, il a paru, en général, plus modéré que les autres sceptiques. Certains auteurs, et particulièrement Numénius, cité par Eusèbe 2, distinguent dans son enseignement deux parties, l'une négative, qui consistait à détruire par des arguments subtils ceux de ses adversaires; l'autre positive, qui consistait à exposer au milieu des adeptes choisis de son école ses véritables doctrines. Carnéade fondait son système sur ce que, d'une part, la perception sensible ne peut offrir le criterium de la vérité, et que, l'autre, la raison manque de matériaux, puisqu'elle ne peut les recevoir que des sens.

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Du reste, la subtilité de l'argumentation, la facilité à combattre ou à soutenir toutes sortes de propositions, le charme de la diction et la fécondité de l'esprit, donnent à Carnéade une ressemblance complète avec les sophistes dont nous avons parlé. Envoyé à Rome pour plaider la cause des Athéniens à l'occasion du pillage d'Orope, il fit dire au sévère Caton : « Renvoyez ce Grec; il semble que les Athéniens, en le chargeant de leurs affaires, aient voulu triompher de leurs vainqueurs.

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Si l'on veut faire attention à la distinction de l'objectif et du subjectif, mise en vogue par le criticisme allemand, on verra dans Arcésilas et Carnéade des précurseurs de l'idéalisme kantien.

Clitomaque de Carthage succéda à Carnéade (150 ans avant Jésus-Christ), et commenta la doctrine de son maître dans des livres qui ont disparu. Il disait, au rapport de Cicéron3, qu'il n'est aucune vision qui puisse être perçue, mais qu'il en est beaucoup

'Acad. quæst. I, 12. Præp. Evang., IX, 9.

3 Acad. quæst., I.

qui peuvent être approuvées; car il serait contre nature qu'il n'y eût rien de probable.

La troisième Académie fut fondée par Philon, et fut un commencement de retour vers les traditions platoniciennes dont on s'était trop écarté en critiquant le dogmatisme du Portique. D'après Sextus l'Empirique', ce philosophe, en continuant à soutenir que les objets réels ne peuvent être connus par cette perception compréhensive que les Stoïciens avaient érigée en criterium, admit que, par leur propre nature, ils sont susceptibles d'être connus. Il de persuader que l'Académie n'avait fait que revenir à la réserve de Socrate, qui doutait pour affirmer plus à propos.

essaya

sage

La quatrième Académie poussa jusqu'à ses dernières limites cette réaction de l'esprit philosophique. Antiochus d'Ascalon, disciple de Carnéade et maître de Cicéron, entreprit de mettre fin aux discordes qui avaient déchiré la philosophie sur le fondement des connaissances humaines, en voulant placer hors de controverse la certitude et la réalité de ces connaissances, en attaquant la théorie de la vraisemblance posée par Arcésidas et par Carnéade, et en donnant l'évidence pour sanction à la vérité réelle.

La philosophie, disait-il, a deux objets principaux : le vrai et le bon. Celui-là ne peut prétendre au titre de sage, qui ne tend pas à ce double but, qui ignore quel est le point de départ et la route. Le sage doit donc s'appuyer sur des principes certains 2. »>

Ainsi, sous la direction d'Antiochus, l'Académie revint se confondre avec les écoles d'Aristote et de Zénon sur les principes fondamentaux des connaissances humaines. « Chose singulière ! après tant de longues et savantes investigations, les philosophes revinrent, par des routes diverses, précisément aux deux principes qui avaient servi de point de départ à la raison humaine, indiqués par la seule inspiration du bon sens 3. »

que,

3

Cependant Antiochus, en se rapprochant du Lycée et du Portin'avait pas concentré dans sa sphère d'attraction tous les dis ciples de la moyenne Académie. Ceux-ci, profitant de la liberté philosophique de choisir une opinion quelconque, suivirent le mouvement imprimé par Arcésilas et Carnéade. Le milieu entre le dogmatisme et le doute absolu, que ces deux philosophes avaient admis, convenait peu à la tendance logique des esprits : il fallait donc remonter au principe de la certitude, ou se laisser glisser jus

'Pyrrhon. hypot., I.

* Cicéron, Acad. quæst., II, 9, 34. 3 Hist. comparée, t. III, ch. 16.

qu'au fond du scepticisme, et renchérir encore, s'il était possible, sur le code pyrrhonien. C'est ce que firent Ænesidème, Agrippa, Phavorin et Sextus l'Empirique, qui donnèrent au système du doute universel ses derniers développements, tandis que la raison tâchait de se reconstituer par l'accord des plus célèbres sectes.

Ænesidème de Cnossus, contemporain de Cicéron, naquit en Crète, vécut et enseigna à Alexandrie. Sextus l'Empirique prétend qu'il s'était rattaché au système d'Héraclite. Ses écrits, dont quelques fragments ont été conservés dans Sextus, dans Diogène Laëree et dans la Bibliothèque de Photius, nous le montrent comme un pyrrhonien parfait, refusant à la fois sa confiance au témoignage des sens et à l'autorité de la raison '. Sa discussion sur la causalité, reproduite par le même auteur, est un tissu de subtilités absurdes, à l'aide desquelles il s'efforce de prouver que la production des êtres, leurs modifications, leurs mouvements,sont impossibles, quand on les considère sous le rapport rationnel. Toutefois, des phénomènes sensibles, disait-il, les uns se montrent généralement à tous, d'autres seulement à quelques-uns; les premiers sont vrais, les autres sont faux : ce qui semble se rattacher à la théorie du senscommun énoncée par Héraclite. Il admettait aussi les opinions de ce philosophe relativement à la physique : ce qui se concilie difficilement avec le scepticisme absolu dont il faisait profession.

Ænesidème et Timon furent réfutés par un péripatéticien, Aristoclès de Messène, dont Alexandre d'Aphrodisée fut le disciple. Agrippa fut l'auteur des cinq nouveaux lieux ou tropes ajoutés au code de Pyrrhon.

Phavorin, ou Favorin, d'Arles, dans les Gaules, vivait sous l'empereur Adrien. Il écrivit sur la vision compréhensive, sur la proposition académique, et développa les dix tropes pyrrhoniens 2: une seule chose lui paraissait probable, c'est qu'on ne peut rien savoir avec certitude.

Sextus l'Empirique vivait au commencement du 11° siècle. Ses ouvrages, qui sont le traité le plus complet du scepticisme, renferment un vaste inventaire de toutes les opinions philosophiques, et une critique universelle des travaux de l'esprit humain, considé rés sous le rapport du principe de nos connaissances. Plusieurs philosophes de l'antiquité seraient inconnus, s'il ne nous avait conservé des fragments de leurs écrits. Il apprécie tout d'après le point

'Sextus l'Empirique, Adv. Logic., II, 40.

2 Diogène Laërce, IX, 87.

de vue du scepticisme, auquel il n'ajouta rien, mais qu'il fit valoir autant qu'il le put. C'est dans les hypotyposes pyrrhoniennes qu'il a méthodiquement exposé l'ensemble de ce système. Les sceptiques, dit-il, ne rejettent pas les phénomènes, mais ils nient la relation entre la pensée et la réalité des objets.

Sous le titre commun Adversus mathematicos, Sextus a écrit contre les géometres, contre les arithméticiens, contre les astronomes, contre les logiciens, contre les physiciens, contre les moralistes. Là, il rejette tout criterium de la vérité, et lorsqu'il parle de l'existence de Dieu, il ne se permet point de soumettre un tel sujet aux investigations philosophiques. Sa raison, étouffée sous le poids de son érudition, ne sait plus à quoi se rattacher, et elle s'enfonce, avec les débris du scepticisme antique, dans la nuit du tombeau.

L'esprit humain survécut à ces tentatives audacieuses de suicide que nous avons vues naître, se développer, et parvenir à leur dernier terme. Affermie bientôt après par la prédication de l'Evangile, la raison foula aux pieds ces ruines de l'antique philosophie, et se reposa de ses longs et pénibles labeurs dans la vérité qu'elle venait de recevoir du ciel. La philosophie véritable, la religion, remplaça les systèmes d'un jour, et fournit à l'intelligence de l'homme le plus noble de ses exercices. Cependant nous avons vu que les docteurs de l'Eglise n'ont pas négligé de rattacher à ses hauts enseignements ce qui, dans les écrits des philosophes, pouvait cadrer avec la doctrine de l'Evangile. Cet exercice utile de l'érudition des Pères se prolongea, jusqu'à ce que les formules logiques dominèrent dans les écoles, tandis qu'au dehors l'enseignement populaire du sacerdoce répandait la vérité parmi les peuples.

Mais l'esprit philosophique devait ressusciter un jour en Occident, et tenter de reprendre une existence séparée de la religion. Dès le XIe siècle, un certain mouvement se manifesta dans les esprits. La célèbre dispute des nominaux et des réalistes avait plus de portée qu'on ne le crut à cette époque, et même depuis. Elle touchait aux fondements de la connaissance humaine, en ce qu'elle examinait la valeur philosophique des notions générales, que l'école reconnaissait comme la clef de la science.

Au commencement du xvie siècle, le principe philosophique de l'examen et du doute est appliqué aux dogmes de la religion par Luther. A l'aide de ce principe, le protestantisme rejette, l'un après l'autre, tous les dogmes chrétiens, marquant par les noms de différentes sectes les stations diverses qu'il fait dans ce grand travail de destruction. D'un autre côté, la philosophie appliquée à

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