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Malebranche, et qu'il se contente de critiquer la morale de ce philosophe sceptique. Après avoir établi à l'article dixième un parallèle entre lui et Epictète, il continue en ces mots :

« C'est donc de ces lumières si imparfaites qu'il arrive que, les les uns connaissant l'infirmité, et non le devoir, ils s'abattent dans la lâcheté; les autres connaissant le devoir sans connaître leur infirmité, ils s'élèvent dans leur orgueil. On s'imaginera peut-être qu'en les alliant on pourrait former une morale parfaite; mais au lieu de cette paix, il ne résulterait de leur assemblage qu'une guerre et une destruction générale; car les uns établissant la certitude, et les autres le doute, les uns la grandeur de l'homme, les autres sa faiblesse, ils ne sauraient se réunir et se concilier; ils ne peuvent ni subsister seuls à cause de leurs défauts, ni s'unir à cause de la contrariété de leurs opinions.

» Il faut qu'ils se brisent et s'anéantissent pour faire place à la vérité de la révélation; c'est elle qui accorde les contrariétés les plus formelles par un art tout divin. Unissant tout ce qui est de vrai, chassant tout ce qu'il y a de faux, elle enseigne, avec une sagesse véritablement céleste, le point où s'accordent les principes opposés qui paraissent incompatibles dans ces doctrines purement humaines. En voici la raison : les sages du monde ont placé les contrariétés dans un même sujet; l'un attribuait la force à la nature, l'autre la faiblesse à cette même nature, ce qui ne peut subsister; au lieu que la foi nous apprend à les mettre en des sujets différents; toute l'infirmité appartient à la nature, toute la puissance au secours de Dieu. Voilà l'union étonnante et nouvelle que Dieu seul pouvait faire.

» C'est ainsi que la philosophie conduit insensiblement à la théologie et il est difficile de n'y pas entrer, quelque vérité que l'on traite, parce qu'elle est le centre de toutes les vérités : ce qui parait ici parfaitement, puisqu'elle renferme si visiblement ce qu'il y a de vrai dans ces opinions contraires. Aussi on ne voit pas comment aucun d'eux pourrait refuser de la suivre. S'ils sont pleins de la grandeur de l'homme, qu'en ont-ils imaginé qui ne cède aux promesses de l'Evangile? et s'ils se plaisent à voir l'infirmité de la nature, leur idée n'égale point celle de la véritable faiblesse du péché. Chaque parti y trouve plus qu'il ne désire, et, ce qui est admirable, y trouve une union solide, eux qui ne pouvaient s'allier dans un degré infiniment inférieur.

» On s'imagine que les chrétiens ont peu de besoin de ces lectures philosophiques : on a tort; surtout dans un siècle comme le

nôtre. Epictète a un art incomparable pour troubler le repos de ceux qui le cherchent dans les choses extérieures, et pour les forcer à connaître qu'ils sont de véritables esclaves et de misérables aveugles; qu'il est impossible d'éviter l'erreur et la douleur qu'ils fuient, s'ils ne se donnent sans réserve à Dieu seul. Montaigne est incomparable pour confondre l'orgueil de ceux qui, sans la foi, se piquent d'une véritable justice, pour désabuser ceux qui s'attachent à leurs opinions, et qui croient, indépendamment de l'existence et des perfections de Dieu, trouver dans les sciences des vérités inébranlables; et pour convaincre si bien la raison de son peu de lumière et de ses égarements, qu'il est difficile après cela d'être tenté de rejeter les mystères, parce qu'on croit y trouver des répugnances. Mais Epictète, en combattant la paresse, mène à l'orgueil, et pourrait être nuisible à ceux qui ne sont pas persuadés de la corruption de toute justice qui ne vient pas de la foi. Montaigne paraît aussi pernicieux, de son côté, à ceux qui ont quelque pente à l'impiété et aux vices. Ces lectures doivent être réglées avec beaucoup de soin, de discrétion et d'égard à la condition et aux mœurs de ceux qui s'y appliquent. Mais il me semble qu'en les joignant elles ne peuvent que réussir, parce que l'une s'oppose au mal de l'autre. Il est vrai qu'elles ne peuvent donner la vertu, mais elles troublent dans les vices, l'homme se trouvant combattu par les contraires, dont l'un chasse l'orgueil et l'autre la paresse.»>

Parmi les philosophes modernes, nous en remarquons deux qui, sans être sceptiques, ont cependant appliqué à la matière la théorie du scepticisme. Ces deux hommes sont Malebranche et Berklei.

et que

A force de spiritualiser sa pensée et de se soustraire à l'empire des sens, l'illustre disciple de Descartes va jusqu'à prétendre que nous ne pouvons rien affirmer sur les qualités sensibles des corps, la révélation seule peut nous assurer de leur existence. Berklei ou Berklay (1684-1753), né en Irlande, puis évêque de Cloyne, ou Méath, est regardé comme le fondateur de l'idéalisme moderne. Dans ses Dialogues entre Hylas et Philonois, il soutient qu'il n'y a que des esprits et pas de corps. Il s'appuie sur ce que les qualités sensibles ne sont pas telles que nous les jugeons d'après les modifications de nos organes: d'où il conclut que nous nous trompons aussi bien sur l'existence même des objets matériels. De là cette distinction qui fut faite plus tard entre le subjectif et l'objectif pour arriver à cette conséquence, que la certitude n'existe pas dans l'ordre de nos perceptions physiques, ou du monde phénoménal.

C. C.

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D'autres, enfin, se sont exercés principalement à ébranler les fondements de la certitude historique. Nous signalerons, sous cette catégorie, le P. Hardouin (1646-1729), qui prétendait que tous les écrits des anciens étaient supposés, excepté les œuvres de Cicéron, l'Histoire naturelle de Pline, les Satires et les Épîtres d'Horace et les Géorgiques de Virgile. Il disait qu'il ne se levait pas à quatre heures du matin pour penser comme les autres. Il ajoutait que Dieu lui avait ôté la foi humaine pour lui donner une foi divine: C'est dans son livre intitulé: La Chronologie rétablie par les médailles, qu'il débita ses paradoxes historiques.

Craig, mathématicien écossais, qui s'est fait un nom par un petit écrit intitulé Theologiæ christianæ principia mathematica, imprimé en 1699. Là, il calcule la diminution progressive de la force probative du témoignage humain. Partant du principe faux que tout ce que nous croyons sur le témoignage des hommes n'est que probable, il suppose que cette probabilité va toujours en décroissant, à mesure qu'on s'éloigne des faits. Il en conclut que la probabilité de la religion chrétienne peut durer encore quatorze cent cinquante-quatre ans.

Fréret (1688-1749), secrétaire perpétuel de l'Académie des belles-lettres, qui renonça au métier d'avocat pour se livrer à l'histoire et à la chronologie. Renfermé à la Bastille par les ordres du régent, il charma les jours de sa prison par la lecture de Bayle, et sinocula les idées de ce sceptique. Il se produisit lui-même comme athée et comme sceptique dans ses lettres de Thrasibule à Leucippe, et dans l'Examen des apologistes du christianisme. A une mémoire immense, il joignait une diction nette et méthodique. Il exerça sa plume sur de nombreux sujets, principalement sur les chronologies lydienne et chinoise, se montrant bien plus crédule sur ces objets nébuleux, qu'il ne se montrait difficile au sujet de la religion chrétienne.

Dupuis (1742-1809), membre de l'Institut, qui s'adonna aux mathématiques, cultiva l'astronomie et devint l'ami de Lalande. Il crut bientôt avoir découvert dans les noms et les figures des constellations l'origine de la mythologie, la clef des mystères de l'antiquité, et l'explication des histoires religieuses. Ce roman philosophique, ou plutôt cette plate bouffonnerie, fut publiée en 1794, sous le titre d'Origine de tous les cultes, dont l'auteur donna un abrégé quatre ans après. Dupuis est l'un des hommes du dernier siècle qui ont le plus agi sur les jeunes têtes, et sur cette classe moyenne de la société qui sait lire, mais qui manque de connois

sances et de discernement. Ce fut lui encore qui éleva, en 1806, une controverse chronologique à propos du zodiaque de Denderah, laquelle est tombée dans l'oubli depuis que la science mieux éclairée a fait voir combien était absurde l'hypothèse du prétendu philosophe. Dernièrement il a paru une excellente plaisanterie intitulée: Comme quoi Napoléon n'a jamais existé. C'est la seule réfutation que mérite l'Origine de tous les cultes.

Volney (1755-1820), qui étudia la médecine et l'histoire, fut protégé par le baron d'Holbach, et se lia ainsi avec les philosophes de l'époque. De retour d'un voyage qu'il fit en Egypte et en Syrie, il en publia le récit, qui eut un grand succès, et le fit connaître dans le monde. Bientôt il prit part aux événements de la révolution, et se montra l'un des partisans les plus actifs du mouvement radical. Nommé professeur à l'Ecole normale en 1794, son enseignement était un effort continuel pour renverser les anciens monuments historiques dont les faits ont été constatés par les siècles. Il avait déjà imprimé, en 1791, ses Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires, ouvrage où il prend à tâche de saper les fondements de toute religion. C'est à l'histoire surtout qu'il en voulait. Dans ses leçons à l'Ecole normale, il la représente comme un amas de faussetés et d'erreurs, comme un tableau fantastique de faits évanouis, dressé par des hommes pleins de partialité et de préjugés.

Enfin, après bien des vicissitudes, ce sévère républicain mourut Pair de France, à la tête d'une brillante fortune, avec le titre de

comte.

Outre les hommes que je viens de désigner comme partisans du scepticisme universel ou partiel, il faudrait mentionner encore ici presque tous les philosophes du xvIIIe siècle, déistes, athées, matérialistes, qui participèrent ou qui feignirent de participer à la prétendue sagesse du doute. Nous avons déjà dit que le caractère dominant de cette époque, autant qu'il est possible de le saisir, fut le sensualisme. A ce trait nous en ajoutons un autre non moins constant, qui est le scepticisme. Le génie de Pyrrhon et celui d'Epicure planèrent au-dessus du chaos des intelligences'.

1 Il n'y a que les charlatans qui soient certains. Nous ne savons rien des premiers principes. Le doute n'est pas une chose bien agréable, mais l'assurance est un état ridicule. (Voltaire, Lettre du 28 novembre 1770.) Ces paroles peuvent servir de devise à toutcla période philosophique dont Voltaire fut le coryphée.

ARTICLE II.

Impossibilité, folie et funestes effets du scepticisme.

Lorsqu'on a parcouru les champs désolés de la philosophie, où se trouvent à chaque pas des ruines entassées sur des ruines, on éprouve une douce jouissance à quitter l'examen de ces théories pour rentrer dans la sphère des idées communes et de ce qu'on appelle le bon sens. Comme nous avions fait un voyage à travers les siècles, en traitant de l'origine de nos connaissances, nous en avons fait un second, pour rechercher les systèmes enfantés par la philosophie ancienne et moderne sur les motifs de nos jugements.

Si nous voulons recueillir les résultats généraux de ce coup d'œil historique, nous verrons 1o que les sceptiques ont toujours, ou presque toujours, pris pour point de départ le sensualisme, c'est-àdire l'origine de nos idées dans la sensation; 2o que le scepticisme est tout à la fois la cause et l'effet des subtilités qui s'introduisent dans la philosophie; 3° que cette théorie fut employée par tous les disputeurs qui voulurent se faire un nom ou acquérir de la fortune en se jouant de la vérité; 4° qu'elle fut souvent une réaction de l'esprit humain contre la prépondérance du dogmatisme, comme celui-ci, à son tour, se relevait pour réparer les ravages du premier. Ainsi la philosophie de l'antiquité flotta perpétuellement entre ces deux éléments contradictoires. 5o Nous avons vu que le dogmatisme présomptueux du Portique, fondé sur la perception compréhensive, offrit un vaste champ aux contradictions du scepticisme académique. Celui-ci soutenait avec raison que nous ne pouvons comprendre la nature intime des êtres, d'où il concluait, d'après le principe de Zénon, que nous ne pouvons avoir de certitude. On se disputa longtemps avant de convenir qu'il y a un milieu entre ces deux extrêmes, et que l'homme peut avoir la certitude, alors même qu'il ne comprend pas les choses qui en font l'objet. 6o Enfin, nous avons vu que le doute historique, raisonnable et utile lorsqu'il se renferme dans les limites d'une saine critique, a pris dans les temps modernes des développements qu'il n'eut pas dans l'antiquité. Cette phase nouvelle du scepticisme s'explique facilement par l'importance des faits sur lesquels repose la religion chrétienne, qu'on voulait anéantir.

Malgré ses efforts, le doute universel n'étendit pas son voile ténébreux sur l'intelligence humaine. Outre les combats qu'il eut à soutenir au sein des écoles, il avait à vaincre, pour s'établir, la nature, et la raison publique de tous les siècles. L'humanité, étrangère

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