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à quel objet a-t-elle appliqué cette recherche? c'est à l'explication des choses universellement connues, pour arriver par ce moyen à saisir ce qui se dérobe à la conception du vulgaire, pour atteindre l'inconnu. Expliquer, voilà quel fut toujours le but des philosophes. Je ne dis pas qu'ils aient constamment réussi; l'histoire de la philosophie est, à bien des égards, l'inventaire des folies savantes de l'humanité; souvent même, à force de vouloir expliquer, on a fini par nier. Mais, de tout temps, cette tendance s'est révélée au sein des écoles, en sorte que, dans leurs variations infinies, elles ont conservé ce caractère invariable. C'est ce caractère qui trace la ligne de démarcation entre le vulgaire et les philosophes. Le vulgaire voit, sent, affirme, croit. Le philosophe, en outre, explique; il remonte des effets aux causes, des conséquences aux principes, soit qu'il s'agisse de l'homme, soit qu'il s'agisse de chacun des autres êtres, soit qu'il s'agisse de l'univers entier. Or, pour expliquer d'une manière satisfaisante, il faut se faire un ensemble d'idées qui donne la raison de tous les phénomènes relatifs à l'espèce dont on s'occupe. Les causes, les moyens, les effets, tout doit être enchaîné et subordonné de telle sorte qu'on devine la nature dans la pensée du sage. La philosophie a donc dû vivre de systèmes; car un système n'est autre chose qu'un ensemble d'idées subordonnées à un principe qui en donne la raison.

On peut ramener à deux grandes classes les objets susceptibles d'explications philosophiques : les faits et les croyances.

Les faits sont physiques, ou intellectuels, ou moraux. Ils sont aussi naturels ou surnaturels.

Les croyances sont religieuses, ou morales, ou sociales.

L'esprit philosophique est comme un élément qui pénètre tous ces objets, en s'emparant des données premières et connues pour remonter aux raisons occultes qui les expliquent. De là résultent la philosophie de la nature matérielle, dont les ramifications sont innombrables; la philosophie de l'entendement ou la psychologie, la philosophie de l'histoire, la philosophie religieuse, la philosophie morale, la philosophie politique.

Ainsi, pour définir la philosophie par le trait le plus saillant qu'elle nous présente, on peut dire que c'est l'explication rationnelle des faits et des croyances.

Cette définition nous fait concevoir tout à la fois le point de départ, le but, les limites, les résultats et les écarts de la phi losophie.

Le point de départ de la philosophie, ce sont des choses con

nues d'une manière certaine, des faits attestés, soit par le rapport des sens, soit par la conscience humaine; des croyances, qui sont aussi des faits, puisqu'elles se produisent toujours extérieurement. Appuyée sur cette base, la philosophie procède par voie d'expérience, et ne se perd pas dans des abstractions et dans des formules inintelligibles.

connu,

Le but de la philosophie est de chercher l'inconnu par le les causes par les effets. Il faut quelquefois de longues explorations, des tâtonnements, des hypothèses multipliées pour expliquer les choses les plus ordinaires. Que n'a-t-on pas dit sur les éclipses, sur les phases de la lune, sur le phénomène du flux et du reflux de la mer, sur la chute des aérolithes, sur l'ascension des liquides jusqu'à trente-deux pieds, sur l'origine des vents, de la grêle, de l'électricité et du magnétisme? Que n'a-t-on pas écrit sur la formation et le développement de l'entendement humain, sur les phénomènes de l'organisme, sur les rapports du physique et du moral, sur l'origine du culte que l'homme rend à la Divinité, sur les faits historiques qui ont produit les diverses révolutions des empires? Heureuse encore, lorsqu'après de nombreux systèmes, la philosophie trouve enfin l'explication cherchée depuis plusieurs siècles. Quelquefois c'est de prime abord que la théorie véritable se présente à l'esprit du philosophe; c'est comme un éclair de génie qui lui révèle les profondeurs de la nature. Mais alors même il a besoin de faire subir bien des épreuves à son système, et quand ce système est assez démontré pour être admis comme un principe par les esprits supérieurs, il faut encore de longues années pour qu'il pénètre dans les intelligences ordinaires et qu'il devienne populaire.

Ainsi, le but de la philosophie n'est pas et ne peut pas être d'établir des croyances, mais c'est d'observer les faits, pour s'élever, à l'aide du raisonnement, à des théories ou systèmes qui les expliquent. Mais si la raison philosophique n'établit pas les croyances, on doit avouer qu'elle peut les confirmer, lorsque ses recherches consciencieuses aboutissent au résultat que l'enseignement religieux présente. C'est ainsi que les excursions faites dans le domaine de l'histoire, et l'observation approfondie des faits géologiques, réconcilient enfin les esprits élevés avec le récit de la Genèse, et fait disparaître les romans philosophiques, bâtis dans le siècle précédent, sur l'antiquité fabuleuse du monde. C'est dans ce sens que le raisonnement conduit à la foi, comme dit saint Cyrille '.

1 Philosophia catechismus ad fidem. (S. Cfr.)

Les limites de la philosophie nous sont aussi indiquées par notre définition. Nier tous les faits, ou vouloir les rendre douteux par be raisonnement, ce n'est plus être philosophe, c'est être fou. Dénaturer les faits pour les adapter à un système conçu d'avance, ce n'est plus être philosophe, c'est en imposer à soi-même ou aux autres, c'est être ignorant ou déloyal. Exiger, avant de croire, une vue claire et distincte, une perception compréhensive de l'essence des êtres, c'est imiter les Stoïciens, qui donnaient ainsi gain de cause aux sceptiques. Enfin, nier des faits certains ou des croyances établies sur des bases certaines, sous prétexte que ces faits et ces croyances ne cadrent pas avec les explications qu'on en donne, ou parce qu'on ne peut réellement les expliquer, c'est prétendre qu'on a atteint l'apogée de la raison, et qu'aucun autre ne pourra voir mieux ni autrement que nous; c'est être stupide à force d'orgueil.

Ainsi, d'un côté le fait, d'un autre côté l'intelligible, voilà les limites du raisonnement philosophique. Il ne peut ni reculer en deçà, ni s'élever au delà, sans s'abjurer lui-même. Dieu seul voit la raison intime de toutes choses.

Les résultats de la philosophie forment ce qu'on nomme proprement la science. Le vulgaire connait, le philosophe sait. La connaissance est la base essentielle de la science. Donc celle-ci ne peut détruire la première. Je dis plus : la connaissance est certaine, la science, c'est-à-dire l'explication des faits connus, est ordinairement conjecturale; ce n'est qu'après l'épreuve d'un long criticisme qu'un principe scientifique obtient la même fermeté que les données premières sur lesquelles il repose. Alors il se résout en applications pratiques et enrichit la société. Quand l'homme a saisi quelquesuns des secrets de la création, il crée, pour ainsi dire, lui-même un monde nouveau par son activité et son industrie.

Enfin, d'après ce que nous venons de dire, il est facile de concevoir les écarts de la philosophie. Le philosophe s'égare presque toujours quand il se trompe sur le point de départ et sur le but de ses explications scientifiques, et quand il veut forcer les limites où sa nature le tient enfermé. Alors il n'obtient pour résultat que des subtilités puériles, en dehors de toute expérience, ou des disputes interminables, ou des systèmes faux, impies, désastreux, qui deviennent le fléau du genre humain.

Il ne suffit done pas, pour avoir le droit de publier impunément les chimères enfantées par son imagination, de se proclamer philosophe, comme il n'a pas suffi aux terroristes de se proclamer pa

triotes, pour légitimer l'assassinat de leur patrie, de quelque nom qu'ils se décorent, de quelque prétexte qu'ils se couvrent.

CHAPITRE II.

DES RÉVOLUTIONS ET DES DESTINÉES DE LA PHILOSOPHIE.

ARTICLE I. - Importance de l'histoire de la philosophie

L'histoire de la philosophie est un objet d'étude digne du plus haut intérêt; c'est un cours expérimental de la puissance et de la faiblesse, de la santé et des maladies de l'esprit humain. En voyant une classe d'hommes s'isoler de leurs semblables par leurs habitudes intellectuelles, et par la prétention d'expliquer ce que les autres se contentent de connaître ou de croire, on est curieux naturellement de considérer ce phénomène, soit pour applaudir aux efforts de ces voyageurs intrépides qui veulent reculer les bornes de la raison, soit pour déplorer leur téméraire entreprise, soit pour dégager, par l'analyse, les vérités qu'ils ont mêlées avec d'innombrables erreurs, soit enfin pour mieux comprendre que l'humanité vit de croyances et non de philosophie.

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Ce tableau historique, dressé une fois avec exactitude, offrirait bientôt un nouveau texte à nos méditations, et sur la longue expérience qu'il nous aurait fournie, nous verrions une théorie imposante s'élever comme d'elle-même. En effet, il suffirait ensuite de rapprocher les effets des causes, il suffirait d'observer comment les opinions que les philosophes ont conçues sur ces questions fondamentales les ont conduits ou les ont égarés dans les questions secondaires; de comparer, par une suite de rapprochements, et les motifs, et la nature, et les conséquences de ces opinions diverses, pour découvrir laquelle de ces opinions est, en effet, la plus juste, et ce qui peut manquer à chacune d'elles.

>>

Ainsi, analysant dans une seconde recherche la suite des faits qu'on aurait exposés dans la première, l'analysant avec une sévère critique, on pourrait déterminer les causes les plus générales de la marche de l'esprit humain, convertir ces observations en un code pratique pour l'administration et l'application de la science, en tirer la règle d'un meilleur régime pour notre esprit',

A Histoire comparee, introduction,

La philosophie est née des réflexions que les hommes ont faites sur les connaissances qu'ils avaient acquises, et du besoin qu'ils ont eu de méthodes sûres pour en acquérir de nouvelles.

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L'esprit de l'homme ne peut faire quelques pas dans la voie de la méditation, que bientôt il ne découvre toute l'étendue de son ignorance, qu'il ne s'avoue un grand nombre d'erreurs, qu'il ne se trouve arrêté par des doutes et des incertitudes. Son ignorance l'humilie et l'importune, ses erreurs le découragent, ses doutes le tourmentent. Il invoque le secours de la philosophie contre ces trois espèces de maux intellectuels, et les remèdes que la philosophie lui promet sont assurément le plus grand bienfait qu'il puisse attendre d'elle.

>> Des faits isolés, des notions éparses ne forment point encore une véritable connaissance; c'est par la connexion seule qui s'établit, ou entre les éléments de chacun de ces deux systèmes, ou entre ces systèmes eux-mêmes, que nous parvenons à savoir; d'où il suit que toutes les acquisitions de la mémoire, que toutes les créations de l'imagination seraient insuffisantes pour constituer la science, qui seule prévoit et applique, parce qu'elle déduit, si l’instrument de coordination nous manquait. Or, cet instrument est de deux sortes dans les connaissances positives, c'est le lien des effets aux causes; dans les connaissances spéculatives, c'est le raisonnement logique. L'étude de la nature peut bien nous enseigner comment les effets succèdent aux causes, mais non comment ils en dépendent; l'application pratique peut bien nous apprendre par une sorte d'épreuve que nous avons bien ou mal raisonné, mais non quel était ou le mérite ou le vice de notre raisonnement. C'est à la philosophie qu'il est réservé de résoudre ce double problème, et de légitimer le double ordre de déductions.

>> Cette curiosité impatiente qui nous fait désirer de savoir, quoique juste et utile en elle-même, a cependant ses dangers, par la précipitation trop tardive qu'elle produit, par la présomption qui est ordinairement attachée à l'ignorance elle-même. Nous serons prémunis contre ce premier genre d'écart, si nous sommes avertis des limites qui ont été marquées à notre raison. Or, la philosophie préviendra ou réprimera du moins cette ambition téméraire de l'esprit, en lui assignant la sphère de ce qu'il lui est permis de connaître, et marquant les conditions auxquelles il lui est permis d'y atteindre. Elle circonscrira les principes qui eussent été trop rapidement

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