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récits anglais et français. Il est sûr d'abord qu'elle ne les a pas lus: elle dit expressément (Prol., V, 33, 39) qu'elle les a « oïz, oïz cunter. Notons maintenant le passage qui termine le lai du Chèvrefeuille :

Tristram, ki bien saveit harper,

En aveit feit un novel lai.
Asez briefment le numerai :

Gotelef l'apelent Engleis,

Chievrefoil le nument Franceis.

Donc Anglais et Français connaissaient ce lai avant que Marie le rimât, et pour qu'elle ait trouvé utile d'en donner le nom anglais, il faut probablement qu'elle l'ait entendu conter en anglais. Le début du Laustic est également, bien que différemment, instructif:

Une aventure vous dirai

Dont li Breton firent un lai:
Laustic a non, ceo m'est avis,
Si l'apelent en lur païs,

Ceo est russeignol en franceis,

E nihtegale en dreit engleis.

D

Il faut remarquer ici la présence du nom breton pour le lai, à côté des noms anglais et français; mais le nom breton est défiguré : « rossignol en cambrique au XIIe siècle se disait custic et non laustic; aucun dialecte ne connait cette /: si Marie avait puisé à une source bretonne orale ou écrite, elle ne l'y aurait certainement pas trouvée, et dès lors pourquoi l'aurait-elle ajoutée ? Ce ne peut-être qu'une transmission orale en français qui lui a fourni la forme laustic, produite sans doute par l'addition de l'article mal compris, et si elle l'a admise, c'est qu'elle ne savait pas elle-même le breton. D'autre part, la mention du nom anglais semble bien indiquer ou que Marie, à côté du récit français, a entendu de cette histoire un récit anglais, ou que la version française, venant de l'anglais, avait conservé le titre anglais à côté du titre breton primitif.

Même remarque à peu près pour Bisclavret. Marie nous dit de ce lai:

Bisclavret a nun en bretan,

Garulf 3 l'apelent li Norman.

On explique bisclavret par le breton bleiz carved ou quelque chose d'approchant, mais en tout cas c'est un mot gravement altéré, et que Marie n'a pas dû entendre directement d'une bouche bretonne. En attribuant le mot garulf aux Normands, elle indique sans doute d'abord qu'elle, qui était « de France » et non de Normandie, ne connaissait pas ce mot non plus que la croyance qu'il

1. Il n'y a pas de contradiction dans ces vers du début de Guigemar: El chief de cest cumencement Sulunc la lettre et l'escriture Vus mosterrai une aventure... Cela veut dire: «Je vous montrerai par écrit, etc. ».

2. C'est, je crois, le seul exemple qu'on ait de ce nom anglais, correspondant au Geiszblatt allemand et au chievrefoil français. La version norvégienne porte gotulaef, et cette forme me paraît meilleure.

3. Je lis ainsi (trad. norv. vargulf), et non garwaf, garval ou garvalf avec l'unique ms. français.

exprime, et ensuite qu'elle a eu pour ce lai une source normande ou plutôt anglonormande.

Ainsi nous avons là des indices sérieux qui nous portent à croire que Marie a recueilli en Angleterre, soit en anglais, soit en français, les contes qui passaient pour être le sujet de ces lais bretons qui, comme morceaux de musique, avaient tant de succès. Ce résultat, s'il paraît vraisemblable, est particulièrement important pour le lai du Chèvrefeuille, qui appartient à l'histoire poétique de Tristran. Déjà le mot tout anglais de lovendris (love drink) appliqué, dans le poème de Béroul, au breuvage amoureux qui enflamma Tristran et Iseut, ferait croire que les récits qui les concernent, sûrement celtiques d'origine, étaient arrivés aux poètes anglo-normands par un intermédiaire anglais, et les preuves ne manquent pas pour établir l'existence d'une légende arthurienne répandue en langue anglaise et absolument indépendante de l'influence des poèmes français. Ces observations devront être prises en considération quand on voudra étudier de près la formation, encore si obscure, du cycle arthurien dans la littérature française. Il n'est même pas impossible qu'elles nous amènent à la solution juste d'une question qui n'est pas vidée, à savoir l'étymologie du mot lai lui-même. M. d'Arbois de Jubainville a réuni ici (VIII, 422) les éléments que fournissent les langues celtiques: on ne peut dire qu'ils présentent un résultat vraiment satisfaisant. C'est peut-être en dehors du celtique qu'il faut se résoudre, comme on le faisait autrefois, à chercher l'explication du mot. L'allemand du moyen âge, le scandinave, rendent le fr. lai par leich, leik, et il est à remarquer que l'all. leich, à côté du sens de morceau de musique » et de « lai breton », a, comme le mot français, celui de poème composé de strophes dissemblables ou de vers inégaux ». Or la forme ancienne de ces mots est en gotique laik, en anglo-saxon laic, lac, d'où le mot français sortirait tout naturellement. Ç'aurait été le nom donné par les Anglais aux morceaux de musique exécutés par les jongleurs bretons, et ce nom aurait été adopté par les Français quand ils le connurent. A l'origine on distinguait très bien les lais des récits qui, disait-on, en étaient le sujet ; j'en ai donné des preuves dans l'article déjà cité, et Marie dit de même (Guig., 19):

Les contes que jo sai verais,

Dont li Bretun unt fait les lais...'.

Mais bientôt, naturellement, on confondit le conte avec le morceau de musique qu'il était censé avoir inspiré, et auquel d'ailleurs il survécut. D'autre part, l'expression de lai, avec un sens musical et par-là même rythmique, entra dans la langue de l'art des musiciens et des poètes (c'était tout un le plus souvent), et se maintint, mais en modifiant son sens, jusqu'au xvie siècle. Voilà ce qui me paraît aujourd'hui le plus vraisemblable à ce sujet.

1. De même Guig. 883: De cest cunte qu'oi avez Fu Guigemar li lais trovez, Que hum dit en harpe e en rote; Equ. 3 Jadis suleient... Des aventures que oeient Faire les lais; Lany. 1 L'aventure d'un altre lai... vus cunterai; Yon. 559 Cil qui ceste aventure oirent Lunc tens après un lai en firent; Mil. 5: Ici cumencerai Milun E musterrai... Pur quei e cument fu trovez Li lais ki issi est numez, etc., etc.

Quelles sont maintenant les sources de ces contes que l'on faisait, d'abord en Angleterre, puis en France, à propos des lais bretons? Il n'est pas douteux qu'originairement et en grande majorité ce ne soient des récits populaires chez les Bretons insulaires ou continentaux. Pour nous en tenir à ceux de Marie, le titre breton de deux d'entre eux, les noms bretons des personnages de presque tous, suffisent à le prouver. La règle n'est pourtant pas sans exception. Le lai des Deux Amants a pour sujet une légende locale encore aujourd'hui populaire à Pitres, près de Pont-de-l'Arche, dans une région de la Normandie fort éloignée de la Bretagne. Le lai obscur et insignifiant du Chaitivel, fondé tout entier sur une aventure de tournoi, et qui se passe à Nantes, n'a non plus rien de bien breton. Le lai de Fresne se passe bien en Bretagne, mais à Dol, c'està-dire dans la Bretagné française, et il n'y a pas un seul nom propre breton. Parmi les récits que les noms et la localité montrent avoir, au moins immédiatement, une provenance bretonne, il en est plusieurs qui n'ont pas un caractère proprement celtique, et qu'on retrouve souvent chez des peuples fort différents. Ce sont de simples aventures romanesques ou même des anecdotes comme Equitan, le Laustic, Milon, Eliduc. Le Chievrefoil est un épisode du cycle gallois de Tristran. Les quatre qui restent sont des contes fantastiques qui, soit dans l'ensemble, soit dans tel ou tel trait, ne sont pas inconnus à d'autres peuples, mais qui ont bien, dans l'esprit comme dans la forme, le caractère propre de l'imagination celtique: Guigemar, où le rôle de la biche fée est, dans le récit de Marie, à peu près inintelligible; le Bisclavret, qui nous prouve que la croyance à la lycanthropie était répandue chez les Celtes comme ailleurs; Lanval, le plus gracieux, le plus poétique et le plus celtique de ces contes, dont le lai de Graelent, sans doute plus ancien que ceux de Marie, nous offre une autre forme, et où nous voyons figurer une de ces fées, habitantes du pays merveilleux du bonheur éternel, qui se retrouvent dans toute la mythologie des Celtes; Yonec, très semblable dans la donnée générale, comme on l'a remarqué dès longtemps, au conte de l'Oiseau bleu, et où nous retrouvons un trait fort répandu aussi dans les contes celtiques, celui de la métamorphose facultative des hommes en animaux. Il est intéressant de constater que tous ces récits circulaient en grande et en petite Bretagne dès le XIIe siècle.

La forme sous laquelle Marie nous les a conservés est malheureusement bien loin d'être la forme primitive. Déjà transmis oralement chez les Bretons, puis, suivant toute vraisemblance, chez les Anglais et les Normands, et de plus en plus altérés à chaque étape nouvelle, ils sont arrivés aux mains de notre poétesse dans un état souvent tout à fait fruste et fragmentaire. J'ai déjà fait une remarque qui le prouve pour Guigemar; on pourrait en dire autant de plus d'un trait dans Yonec, dans Milun et d'autres. Marie elle-même les a sans doute redits tels qu'ils lui avaient été racontés, ou au moins tels qu'elle se les rappelait. Elle les croyait absolument vrais (Les contes que jo sai verais), et elle n'a pas dû les modifier consciemment. Mais elle ne les comprenait pas toujours bien ellemême, et naturellement la clarté de son exposition s'en ressent. Il nous est à peu près impossible de restaurer aujourd'hui ces récits bretons tels qu'ils ont dû exister avant les divers accidents qui les ont défigurés; nous pouvons au moins nous les représenter débarrassés des additions évidentes qu'ils ont reçues en

passant dans des milieux si différents de celui où ils avaient pris leur forme. Tel est par exemple le rôle considérable donné aux tournois, la vie des châteauxforts, et en général tout le costume chevaleresque dont ils ont été affublés en pénétrant dans la société française du XIIe siècle. Quelques-uns d'entre eux paraissent avoir subi moins de changements que d'autres, et nous retrouvons dans le récit élégant et simple, mais un peu sec, de Marie, quelque chose de la grâce mélancolique et du doux parfum qu'ont dû avoir à l'origine les récits dont les chanteurs bretons accompagnaient ces mélodies qui avaient pour nos pères un charme si pénétrant. Les meilleurs de ces contes, dans la collection publiée par Roquefort et M. Warnke, sont: Fraisne, Lanval, Yonec, le Laustic, et surtout Eliduc, où, dans la composition de l'ensemble comme dans l'attrait des détails, la poétesse française me paraît s'être dépassée elle-même.

M. Reinhold Köhler a joint à l'édition de M. Warnke des Remarques comparatives » qui n'occupent pas moins de cinquante pages et qui ajoutent un grand prix à ce volume. On y retrouve, comme dans tout ce que nous donne le célèbre mythographe, la science la plus riche jointe à ce tact délicat que l'érudition ne confère pas, et qui permet de démêler les rapports les plus cachés aussi bien que de rejeter des ressemblances purement apparentes. Je signalerai surtout la belle étude sur la légende de Frêne et notamment sur ce qui en fait l'introduction dans le lai de Marie, la réprobation attachée en tant de lieux à la femme qui met au monde plus d'un enfant à la fois; la monographie, esquissée jadis par l'auteur et complétée ici, de ce thème si fréquent dans toutes les épopées du combat du père contre le fils (le lai de Milon); les notices réunies & propos d'Eliduc sur la croyance d'après laquelle la mer ne peut supporter un navigateur coupable d'un crime. Je n'ajouterai que deux notes aux savantes remarques de M. Köhler. Le thème de Fraisne est devenu le sujet du charmant roman de Galeran de Bretaigne, dont l'édition, commencée par Boucherie, va paraître incessamment par les soins de M. Chabaneau. De même la seconde partie d'Eliduc a une visible analogie avec la seconde partie du roman d'Ille et Galeron, dont on peut voir une analyse dans le t. XXII de l'Histoire littéraire de la France, et ces histoires sont apparentées à celle du mari à deux femmes, dont on connaît diverses formes allemandes et françaises. Ces rapports des lais aux romans postérieurs, qu'on remarque encore ailleurs, sont très intéressants à noter, et jettent du jour sur l'histoire de la littérature romanesque.

En somme, nous possédons maintenant une édition satisfaisante des lais de Marie de France; il est à craindre, d'après les dernières déclarations de M. Mall, que nous n'attendions longtemps encore celle des fables.

G. P.

Zur Kritik der Bertasage. Habilitationsschrift von Alfred FEIST, Dr. phil., Marburg, 1885, in-8, 31 p. (Ausg. u. Abh. aus dem Gebiete der romanischen Philologie). M. Feist a comparé les nombreuses versions de l'histoire de Berthe au grand pied et tenté d'en établir une classification généalogique. A la fin de son mémoire il indique sommairement, en guise de résumé et de conclusion, la façon dont il se représente le développement de cette belle légende dans la littérature.

Négligeant les origines historiques de nos récits, il a voulu en faire ressortir les éléments mythiques et signale dans un texte mythologique islandais, la Huldasaga, un passage qui rappelle l'épisode de la chasse du roi Pépin et de sa réunion avec Berthe. Cette ressemblance n'est peut-être pas fortuite, si Hulda est identique à Perahta, comme l'admet J. Grimm. Néanmoins M. F. eût été plus prudent en ne faisant pour sa classification aucun usage de la saga. A coup sûr, la tradition qui fait de Pépin un nain, parfois même un nain difforme, peut se passer d'une explication mythologique; pourquoi ne serait-elle pas tout bonnement historique ?

M. F. publiera dans un appendice divers textes inédits. Les plus importants seront des extraits du ms. 130 de la Bibliothèque de Berlin, contenant l'Histoire de la reyne Berte et du roy Pepin en prose, dont on ne possède qu'une analyse donnée par V. Schmidt et que M. F. a fait copier entièrement. M. Stengel lui a indiqué un très curieux passage d'Anseïs de Metz 1, d'après lequel la femme épousée par Pépin à la mort de Blanchefleur se serait appelée d'abord Batheheut et n'aurait pris le nom de Berte qu'en recevant le baptême, peu de temps avant son mariage. Mais Batheheut n'est pas une païenne, comme le dit à tort M. F.; elle est du pays « de Grifonnie» et son christianisme est expressément affirmé par le poète, qui se fait une idée très vague du schisme des Grecs et sait tout au plus qu'ils ne reconnaissent pas l'autorité du pape. L'auteur d'Anseïs se rattache donc à la tradition assez répandue au moyen âge qui faisait de Berthe une fille ou une descendante de l'empereur Héraclius. Cependant le nom de Batheheut représente une tradition différente et originale. M. F. le rapproche de celui de Baqueheut donné par le poème d'Aquin à une autre Berthe, la mère de Roland, et dérivé par M. Nyrop de Baldehilt.

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1. Mss. B. Nat. fr. 4988, fo 291 b et c, et fr. 24377, fo 174 a et b, Arsenal 3143,

f" 187 e et f.

Romania, XIV.

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