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CHAPITRE III

DE LA GUERRE

SECTION PREMIÈRE

CARACTÈRES DE LA GUERRE SUIVANT LE DROIT FÉTIAL

Les États, dit Montesquieu, ont le droit de faire la guerre pour leur propre conservation (1). » Il est bien probable que si Rome n'avait usé de ce droit que pour se défendre quand elle fut menacée, elle n'aurait pas étendu sa puissance aussi loin et soumis tous les peuples alors connus. Néanmoins, dans les luttes aussi longues que nombreuses qu'elle eut à soutenir durant les premiers siècles de son existence, elle ne se départit jamais d'une ligne de conduite invariable dictée par cet esprit de justice et d'équité si cher aux Romains des premiers âges. C'est qu'en effet Rome, tout en multipliant ses conquêtes, n'oublia jamais la vieille maxime du droit fétial: << Nullum bellum nisi justum. » Les Romains ne devaient entreprendre aucune guerre injuste. C'est là une des règles les plus anciennes et les plus rigoureusement appliquées du droit fétial.

Toutefois, on est loin d'être d'accord sur le sens à don(1) Montesquieu, Esprit des lois, X, 2.

ner au mot justum et sur la portée qu'il faut attribuer à l'expression justum bellum.

Le mot justum (juste), tel que l'entendaient les Romains dans leur langue juridique, n'évoque aucune idée de justice ou d'équité; il est synonyme de conforme à la loi, à l'usage; il indique les rites et les formalités qui devaient précéder ou accompagner certaines cérémonies. C'est un terme générique employé pour qualifier certains actes de la vie civile et religieuse et pour mieux faire comprendre que les solennités requises ont été scrupuleusement observées. Dans ce sens, on peut dire qu'il est l'équivalent de légal, de légitime, de conforme à la loi. Des textes nombreux attestent cette signification donnée au mot justum par les jurisconsultes romains: « Justa causa tradenti (1) ; justa causa (2); justum initium; justus titulus (3), justæ nuptiæ (4). Cette signification est tellement évidente que, pour le mariage, l'expression 'justa uxor (épouse légitime) désigne la femme mariée suivant les règles du droit civil romain, tandis que celle qui est mariée en dehors de ces règles porte le nom d'uxor injusta (épouse non légitime); « sive justa uxor fuit, sive injusta (5). » Des auteurs, prenant à la lettre le mot justum tel que l'entendaient les jurisconsultes romains, ont conclu que l'expression justum bellum indiquait seulement l'accomplissement des rites et solennités qui devaient présider à toute déclaration de guerre. De ce nombre est M. Laurent, qui apprécie en ces termes la valeur du mot justum': « C'était la règle, dit-il,

(1) Digeste, 41, 1, 31, Paul.
(2) Digeste, 41,1, 30, Paul.
(3) Digeste, 41, 9, 1, Ulpien.

(4) Digeste, 50, 16; 19, % 5.
(5) Ulpien, Règles, titre V, § 1.

qu'une guerre ne peut être juste si elle n'a été précédée d'une demande en réparation et si elle n'est régulièrement déclarée (1). En apparence, les Romains ne se sont jamais écartés de ces principes; ils fondaient sur la justice de leur cause l'espérance de leur succès et la grandeur de leur patrie (2). Une guerre est juste, quand les cérémonies ont été exactement pratiquées par les Fétiaux; la guerre serait-elle la plus inique du monde, si le Fétial a prononcé la formule consacrée, elle est juste; mais il y a loin de celte observation des formalités au droit et à l'équité (3). » Pour justifier son assertion, M. Laurent s'appuie sur un texte bien connu de Cicéron et que ne manquent jamais de citer les détracteurs du droit fétial : α Neque ullum bellum justum estimarunt (Romani), nisi quod aut rebus repetetis gereretur, aut denuntiatum ante esset et indictum; les Romains pensèrent qu'une guerre ne peut être juste, si elle n'a été précédée d'une demande en réparation, ou si elle n'a pas été déclarée régulièrement et signifiée à l'ennemi (4). » Au dire de M. Weiss, ce texte a subi une légère altération; il faut y remplacer la disjonctive aul par la conjonctive et, laissant ainsi à entendre que les deux conditions signalées par Cicéron étaient à la fois nécessaires pour que la guerre pùt être considérée comme juste (5). A notre avis, cette altération, si toutefois elle existe, est de peu d'importance; d'ailleurs, ce n'est pas dans ce texte qu'il faut rechercher les idées de Cicéron sur la matière. Comment ceux qui veulent à tout prix

(1) Cicéron, de Officiis, I, 11.

(2) Tite-Live, XLX, 20.

(3) Laurent, optimo citato, tome III, page 15.

(4) Cicéron, de Officiis. I, 11.

(5) Weiss, France judiciaire, page 478.

s'en tenir au sens formaliste du mot justum font-ils pour mettre ce dernier texte de Cicéron d'accord avec le suivant, qui est pourtant du même auteur: « Belli oratores, fetiales judices duo sunto, bella disceptando; pour la guerre, que deux Fétiaux soient porteurs de paroles et juges; qu'ils discutent la guerre (1). » Ces deux textes du grand orateur ne nous paraissent point contradictoires, à nous qui donnons au mot justum une signification toute différente. Si, dans le premier texte, Cicéron exige des réclamations préalables et une déclaration en règle, il nous apprend non moins clairement, dans le second, que les Fétiaux avaient à se prononcer sur la guerre elle-même et à juger de sa légitimité; ils sont juges de la guerre, dit-il, ils doivent, en conséquence, apprécier les griefs allégués par le peuple romain. Nous dirons que pour être juste la guerre devait être précédée des solennités requises, mais en ayant soin d'ajouter qu'au nombre de ces formalités se trouvait précisément l'appréciation des causes de la guerre par le collège des Fétiaux. Libres de toutes attaches vis-à-vis du pouvoir civil, les Fétiaux faisaient preuve, dans cet examen, d'une grande indépendance : « ils appréciaient les motifs de la guerre projetée; s'ils la jugeaient inopportune ou inique, les Romains devaient y renoncer. Les dieux étaient censés avoir inspiré les paroles des Fétiaux, et les premiers Romains auraient craint, en ne tenant pas compte de leurs avis, de courir à une défaite certaine (2). » Outre cet examen des motifs de la guerre, les Fétiaux avaient encore d'autres règles à imposer: ils s'opposaient, par exemple, à ce que les Romains prissent les armes à cer

(1) Cicéron, de Legibus, II, 9.

(2) Weiss, France judiciaire, page 478.

tains moments, et notamment pendant certains jours durant lesquels les dieux étaient réputés retirer leur protection aux Romains, ce qui leur avait valu le surnom de jours néfastes. Il en était de même durant les Saturnales ou fêtes de Saturne. En l'honneur de ce dieu,considéré comme le père de la paix, il était interdit de prendre les armes pendant la célébration de ces fêtes. Si parfois les Romains, emportés par leur humeur belliqueuse, étaient tentés d'oublier ces prescriptions, les Fétiaux étaient chargés de les leur rappeler.

Ce caractère de justice et d'équité, commun à toutes les décisions des Fétiaux, nous est attesté par des textes aussi nombreux que dignes de foi: Les Romains, dit Varron, n'entreprenaient de guerre que lentement et avec discernement, car ils pensaient qu'il ne faut faire aucune guerre qui ne soit légitime (1). » Le pium qu'emploie Varron pour désigner la légitimité de la guerre se rencontre chez beaucoup d'auteurs avec la même signification. « Presque partout, dit à ce propos M. Weiss, les guerres entreprises par le peuple romain sont qualifiées de pia, et le plus souvent ce mot est joint au mot justa, comme pour montrer, par une opposition évidente, que si les guerres romaines devaient, à l'origine, être conformes au droit formaliste (justa), elles devaient aussi satisfaire aux lois de l'équité (pia) (2).

Il est facile de s'en convaincre en jetant un coup d'œil sur quelques textes anciens. Tite-Live, IX, 5 : « Quominus justum piumque de integro ineatur bellum; à moins que de nouveau une guerre juste et légitime ne soit entre

(1) Varron, de Vita populi romani, II, 13. (2) Weiss, France judiciaire, page 479.

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