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CHAPITRE DEUXIÈME

SOURCE DU POUVOIR CONSTITUANT

Le pouvoir constituant réside essentiellement dans la nation qui seule a le droit de choisir et d'organiser son régime politique. « Il n'y a de lois fondamentales pour un peuple que celles qu'il fait et qu'il accepte; par conséquent il a le droit de les défaire et de les refuser (1). » Ce pouvoir est l'expression complète et directe de la souveraineté nationale (2), dont le principe, inscrit en tête de la Déclara tion des Droits de l'homme et du citoyen, a inspiré toutes nos constitutions, une seule exceptée la Charte de 1814 octroyée par le roi. A part cette anomalie, l'idée de pouvoir constituant résidant dans la nation tout entière est indépendante de toutes les formes de gouvernement : royauté, empire ou république. Personne ne songe à contester aujourd'hui cette vérité que le pouvoir constituant émane du peuple et du peuple seul. Du reste, cette vérité a été reconnue et proclamée à différentes époques de notre histoire.

L'Assemblée nationale de 1791 déclare que la nation a le droit imprescriptible de changer sa constitution (art. 1, titre VII de la constitution). L'Assemblée législative, qui vint ensuite, ne fit aucune difficulté pour admettre ce

(1) Laboulaye, Questions constitutionnelles, page 230.
(2) Ducrocq, Droit administratif, tome I, page 9, n. 20.

même principe, et c'est en le proclamant hautement qu'après le dix août 1792, se voyant dans l'impossibilité de gouverner, elle fit un appel au peuple pour nommer immédiatement une Convention nationale. Le premier acte de celle-ci fut d'abolir la constitution de 1791. Sans discussion et à l'unanimité, elle rendit le décret suivant : « la Convention nationale déclare qu'il ne peut y avoir de constitution que lorsqu'elle est adoptée par le peuple (1). »

Le projet de constitution girondine élaboré par Condorcet porte qu'un peuple a toujours le droit de revoir, de reformer et de changer sa constitution (2).

L'acte constitutionnel du 14 juin 1793 reproduit textuellement sur ce point le projet de Condorcet, et ajoute qu'une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures (3).

En l'an III, le même principe est formellement reconnu par l'article 346 de la constitution, qui soumet toute revision à l'approbation populaire.

Les différentes constitutions impériales reconnaissent également que le pouvoir constituant émane de l'universalité des citoyens.

La constitution républicaine de 1848, en proclamant que le peuple est seul souverain (4), a suffisamment reconnu qu'il a toujours le droit de toucher à la constitution et de la modifier quand il lui plait.

La constitution de 1875, qui confie le pouvoir constituant aux pouvoirs constitués, reconnaît elle aussi le droit souverain du peuple, puisqu'elle attribue la fonction cons

(1) Moniteur, tome IV, page 8.

(2) Moniteur, tome XV, page 485.

(3) Art. 28, de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, du 24 juin 1793.

tituante à des corps qui émanent directement du peuple et qui ne sont que ses représentants.

La grande faute de ces assemblées et de ces diverses constitutions a été d'accorder aux représentants de la nation une trop grande place dans l'exercice du pouvoir constituant et de leur attribuer en réalité ce même pouvoir sans souci de la nation, que l'on a eu le tort d'identifier avec ses mandataires. Ainsi, dans toutes ces constitutions, tout en proclamant le droit de revision imprescriptible, le législateur s'est efforcé de multiplier à l'infini les formalités relatives à l'exercice de ce droit et à l'entourer de précautions qui le rendent souvent difficile; et tout cela parce que le législateur s'est lui-même proclamé souverain, oubliant qu'au-dessus de lui il doit y avoir et il y a réellement un pouvoir plus puissant qui seul a le droit de commander et d'être obéi. Le peuple est souverain, disent ces constitutions, mais aussitôt il résulte des textes de ces mêmes constitutions que les mandataires du peuple ont le droit de le lier, en excédant leur mandat, en statuant pour une époque où leur pouvoir aura cessé depuis longtemps, et en lui interdisant de toucher à la constitution autrement que dans une certaine forme et en imposant à sos futurs délégués de ne pouvoir reviser que certaines parties de la constitution désignées par une assemblée législative, qui n'a jamais eu le pouvoir constituant.

Ainsi, et malgré les abus commis par certaines assemblées qui ont eu le tort de se proclamer souveraines sans réserver les droits supérieurs du peuple, il résulte de nos différentes constitutions que le peuple seul a le droit d'organiser son régime politique.

CHAPITRE TROISIÈME

EXERCICE DU POUVOIR CONSTITUANT

Le pouvoir constituant a donc son origine dans la souveraineté nationale, mais comment celle-ci va-t-elle procé der pour établir ce pouvoir, pour le mettre en œuvre d'une façon efficace ? Dans les petites républiques de l'antiquité, où le nombre des citoyens était fort restreint, ceux-ci se rendaient soit à l'agora soit au forum et exprimaient directementleur volonté dans des votes publics. Dans les États modernes, plus peuplés et plus étendus, cette participation directe de l'universalité des citoyens à chaque acte du gouvernement est impossible. La souveraineté nationale doit procéder autrement, la nation, pour exercer son pouvoir constituant, manifeste sa volonté par voie de délégation ou de ratification, et parfois à l'aide de ces deux procédés cumulativement employés.

Dans la délégation, le peuple confie les pouvoirs qui lui appartiennent soit à des députés qui formeront une assemblée nombreuse, soit à quelques individus seulement qui formeront un simple comité ou commission, soit même à un seul individu. Ces délégués ainsi nommés par le peuple agiront en son nom et la constitution élaborée par eux sera considérée comme l'oeuvre du peuple luimême. Ici le peuple est mandant, les délégués sont mandataires.

Par voie de ratification, la nation procède tout autrement. Une assemblée, un comité de quelques membres, un homme, les uns et les autres sans mandat exprès de la nation, élaborent une constitution, puis, au moment de la mettre à exécution, consultent le peuple pour obtenir son approbation.

Un troisième système tient à la fois de la délégation et de la ratification. Des représentants nommés par le peu

ple procèdent à la confection ou à la réforme des lois constitutionnelles, puis celles-ci sont soumises à l'approbation du peuple qui est appelé à se prononcer d'une manière définitive sur la nouvelle loi fondamentale. Ce procédé mixte, moins expéditif et plus compliqué, il est vrai, que les précédents, a du moins des avantages fort appréciables.

D'abord, il supprime l'un des inconvénients les plus graves de la délégation pure et simple, en empêchant que la souveraineté nationale ne soit confisquée au profit d'une assemblée omnipotente; en effet, dans le système de la délégation, les représentants, élus du peuple, sont toutpuissants, et ont tout pouvoir pour changer à leur guise la forme politique du gouvernement et les institutions du pays. Avec le système mixte, la ratification donnée à la coustitution est une preuve irrécusable que la loi nouvelle est en conformité d'idées avec la majorité des citoyens et en harmonie avec les besoins et les aspirations du pays. D'un autre côté, ce système mixte permet également d'éviter les inconvénients qui peuvent résulter de la ratification seule. En général, quand une constitution est faite soit par une assemblée, soit par un homme seul, sans que la nation leur en ait donné l'ordre exprès et formel, c'est que

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