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Il est probable que c'est pour remédier à cet inconvénient qu'au cours des discussions sur le projet de revision M. Wallon proposait au Sénat, dans la séance du 24 juillet 1884 (1), de procéder au dédoublement du pouvoir constituant. C'était en quelque sorte revenir aux dispositions contenues au sénatus-consulte du 16 thermidor de l'an X, que nous aurons l'occasion d'étudier plus tard. Comme le sénatus-consulte, M. Wallon distinguait dans la Constitution deux parties bien distinctes: l'une comprenant les bases essentielles, et l'autre ne portant que sur des points secondaires. et de moindre importance, M. Wallon conservait le congrès tel qu'il existe aujourd'hui pour les revisions portant sur des points secondaires, c'est-à-dire pour toutes les revisions partielles. Au contraire, pour les revisions totales portant sur les bases essentielles, mettant en cause soit la forme politique du gouvernement, soit l'existence des pouvoirs publics, il rejetait l'institution existante et attribuait compétence, à l'exclusion du Congrès, à une assemblée constituante, nommée à l'effet de procéder à la revision des lois constitutionnelles.

Du reste, les revisions partielles du 21 juin 1879 et du 14 août 1884 ont fait subir au pouvoir constituant un déplacement notable, et ont diminué d'autant le rôle du congrès, en attribuant une plus large part aux pouvoirs constitués dans la fonction constituante. Désormais, le Parlement c'est-à-dire les deux Chambres législatives délibérant et votant séparément, ont l'exercice de la fonction constituante en ce qui concerne la fixation du siège du Gouvernement, et la matière si importante des élections politiques, tandis (1) Sénat, Officiel, 27 juillet 1884, pages 1329 et s.

qu'auparavant ces diverses questions étaient de la compétence du Congrès et ne pouvaient être résolues que par lui.

Une innovation plus considérable encore a été adoptée aussi bien en 1879 qu'en 1884. On a, à ces deux époques, imaginé un procédé pratique de revision constitutionnelle dont le résultat final est d'attribuer aux deux Chambres législatives la plénitude du pouvoir constituant. Pour assurer le vote du projet de revision en calmant les appréhensions du Sénat, le Gouvernement, d'accord avec la majorité des deux Chambres, a soutenu le principe de la limitation des pouvoirs du Congrès par la formule identique de revision votée séparément par les deux Chambres. Ce système a été adopté malgré les vives protestations de la minorité qui y voyait à bon droit une violation flagrante de l'article 8 de la loi du 25 février 1875. Désormais, toute question étrangère à la formule de revision votée par les deux Chambres doit être, au Congrès, écartée sans débat par la question préalable. Cette doctrine nouvelle a complètement déplacé l'exercice du pouvoir constituant. En fait, nous avons imité les Anglais, et la constitution par deux fois différentes a été revisée par les Chambres législatives.

Par cette innovation le Congrès est paralysé. Tout acte, spontané et dû à son initiative propre lui est interdit; nous retournons simplement au système de 1814 et de 1830, à la théorie anglaise qui confie la fonction constituante aux pouvoirs constitués; aussi les partisans de ce dernier système ne désespèrent pas de voir un jour ou l'autre l'Assemblée nationale disparaître complètement en tant que pouvoir constituant. Si cette éventualité vient à se produire, disent-ils, ce sera sans secousse apparente, sans bruit,

et sans abrogation directe de l'article 8 qui, dans leur pensée, tomberait ainsi en désuétude et serait remplacé par une sorte de loi coutumière.

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La ratification dont nous avons déjà parlé peut être expresse ou tacite : expresse, si le peuple est appelé à se prononcer directement sur la constitution nouvellement élaborée, comme cela eut lieu en 1793 et pour les différentes constitutions impériales; tacite, si la nation se prononce indirectement en faveur de la constitution nouvelle par des élections législatives. C'est ainsi que les constitutions de 1848 et de 1875 ont été implicitement ratifiées par les élections qui les ont suivies. La ratification expresse, dont nous avons à nous occuper, n'est autre chose que le plébiscite qui porte sur les principes mêmes de la constitution. Celle-ci est soumise à l'approbation de tous les citoyens indistinctement qui répondent par oui ou par non. Ce système fut généralement appliqué dans l'antiquité, par suite de l'exiguïté des États anciens. Dans les États modernes, cette participation directe de tous les citoyens à l'exercice du pouvoir constituant est plus difficile; mais elle n'est cependant pas impossible; il est même très naturel d'admettre que le peuple tout entier doive être appelé à statuer en dernier ressort sur les lois fondamentales qui doivent désormais lui servir de guide et de garantie. Pour qu'une constitution soit légitime, disent les partisans de ce système, illui faut la consécration du peuple tout entier. Sans cette formalité, toute constitution est illégitime et non obli

gatoire; elle commet une usurpation et viole le droit public de la France. Les électeurs, ajoutent-ils, en donnant à des représentants le droit qui leur appartient essentiellement de faire ou de réformer une constitution, n'entendent pas s'engager d'une façon irrévocable: ils réservent toujours à leur profit un droit de contrôle et de surveillance. Le mandant peut toujours demander au mandataire compte de la mission qu'il lui a confiée ; c'est par le plébiscite, c'est par le vote de tous les citoyens, que la nation demandera compte à ses représentants du mandat qu'elle leur a donné. C'est ordinairement après une période troublée que le besoin se fait sentir de remanier la constitution, peut-être alors y aura-t-il des mécontents, des vainqueurs et des vaincus; le vote populaire loyalement pratiqué réalisera l'entente entre tous les citoyens; « ce sera le moyen de réaliser l'accord de tous les bons esprits en les unissant dans une grande manifestation nationale (1) ».

Les adversaires de ce système, et ils sont nombreux, tant parmi les partisans de la Constituante que parmi les défenseurs du système anglais, lui reprochent surtout de faire donner une approbation obscure et incompétente à des principes constitutionnels que la majorité des électeurs ne comprennent pas. « Ce qui est voté, disent-ils, sera toujours plus important que le nombre et la qualité des votants (2). » Quoi qu'il en soit, nous avons déjà vu que ce système avait été appliqué plusieurs fois au cours de ce siècle. Il ne peut y avoir de constitution valable que celle qui est acceptée par le peuple, disait la Convention

(1) Proposition Cunéo d'Ornano et Raoul Duval. Chambre des députés, Off., 1 juillet 1834, pp. 1313 et s. Assemblée nationale, Officiel, 12 août, pp. 91 et s.

(2) St-Girons, Droit constitutionnel, p. 622.

nationale dans l'acte du 21 septembre 1792. Les constitutions de 1793 et de l'an III furent soumises à l'approbation populaire. Il en fut de même des différentes constitutions impériales. A ce propos, disons que, sous ces diverses constitutions impériales, le pouvoir constituant s'exerce de deux façons bien distinctes: il y a deux parties. à distinguer dans le pouvoir constituant et dans la constitution : la première partie comprend les bases essentielles, fondamentales, de la constitution qui doivent être soumises à la ratification du peuple; la deuxième comprend les points non essentiels et d'ordre secondaire. C'est au Sénat conservateur qu'est confié le soin de reviser définitivement ces points moins importants. « Cette distinction est sage et utile, dit un auteur, qui paraît avoir des sympathies pour ce dédoublement du pouvoir constituant; la nation ne peut en effet être utilement consultée que sur les bases essentielles (1). » En résumé, ce système imaginé par le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802) laisse au peuple directement consulté la plus grande part dans l'exercice du pouvoir constituant, et attribue l'autre part au Sénat conservateur. C'est un système à peu près analogue que proposait M. Wallon en 1884.

Depuis 1875, les lois constitutionnelles ne sont plus soumises à la ratification populaire. Un amendement présenté par M. Raoul Duval, dans la séance du 23 février 1875, demandant que la constitution alors en discussion fût soumise à la ratification du peuple, ne fut pas pris en considération. Une proposition du même genre faite au Congrès d'août 1884 fut écartée par la question préalable.

(1) Hélie, Constitutions de la France, page 698.

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