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les êtres ne puissent être présents à notre esprit que parce que Dieu lui est présent, c'est-à-dire celui qui renferme toutes choses dans la simplicité de son être.

Il semble même que l'esprit ne serait pas capable de se représenter des idéas universelles de genre, d'espèce, etc., s'il ne voyait tous les êtres renfermés en un. Car toute créature étant un être particulier, on ne peut pas dire qu'on voie quelque chose de créé lorsqu'on voit, par exemple, un triangle en général. Enfin je ne crois pas qu'on puisse bien rendre raison de la manière dont l'esprit connaît plusieurs vérités abstraites et générales, que par la présence de celui qui peut éclairer l'esprit en une infinité de façons diffé

rentes.

Enfin la preuve de l'existence de Dieu la plus belle 1, la plus relevée, la plus solide et la première, ou celle qui suppose le moins de choses, c'est l'idée que nous avons de l'infini. Car il est constant que l'esprit aperçoit l'infini, quoiqu'il ne le comprenne pas; et qu'il a une idée très-distincte de Dieu, qu'il ne peut avoir que par l'union qu'il a avec lui; puisqu'on ne peut pas concevoir que l'idée d'un être infiniment parfait, qui est celle que nous avons de Dieu, soit quelque chose de créé.

Mais non-seulement l'esprit a l'idée de l'infini, il l'a même avant celle du fini. Car nous concevons l'être infini, de cela seul que nous concevons l'être, sans penser s'il est fini ou infini. Mais afin que nous concevions un être fini, il faut nécessairement retrancher quelque chose de cette notion générale de l'être, laquelle par conséquent doit précéder. Ainsi l'esprit n'aperçoit aucune chose que dans l'idée qu'il a de l'infini: et tant s'en faut que cette idée soit formée de l'assemblage confus de toutes les idées des êtres particuliers comme le pensent les philosophes, qu'au contraire toutes ces idées particulières ne sont que des participations de l'idée générale de l'infini, de même que Dieu ne tient pas son être des créatures, mais toutes les créatures ne sont que des participations imparfaites de l'ètre divin.

Voici une preuve qui sera peut-être une démonstration pour ceux qui sont accoutumés aux raisonnements abstraits. Il est certain que les idées sont efficaces, puisqu'elles agissent dans l'esprit, et qu'elles l'éclairent, puisqu'elles le rendent heureux ou malheureux par les perceptions agréables ou désagréables dont elles l'affectent. Or rien ne peut agir immédiatement dans l'esprit s'il ne lui est supérieur, rien ne le peut que Dieu seul; car il n'y a que l'auteur de notre être qui en puisse changer les modifications. Donc il est 1. On trouvera cette preuve expliquée au long dans le liv. suiv., ch. 11.

nécessaire que toutes nos idées se trouvent dans la substance efficace de la divinité, qui seule n'est intelligible ou capable de nous éclairer que parce qu'elle seule peut affecter les intelligences. Insinuavit nobis Christus, dit saint Augustin 1, animam humanam et mentem rationalem non vegetari, non beatificari, NON ILLUMINARI,

NISI AB IPSA SUBSTANTIA DEI.

Enfin il n'est pas possible que Dieu ait d'autre fin principale de ses actions que lui-même ; c'est une notion commune à tout homme capable de quelque réflexion, et l'Écriture sainte ne nous permet pas de douter que Dieu n'ait fait toute chose pour lui. Il est donc nécessaire que non-seulement notre amour naturel, je veux dire le mouvement qu'il produit dans notre esprit, tende vers lui, mais encore que la connaissance et que la lumière qu'il lui donne nous fasse connaître quelque chose qui soit en lui; car tout ce qui vient de Dieu ne peut être que pour Dieu. Si Dieu faisait un esprit et lui donnait pour idée, ou pour l'objet immédiat de sa connaissance le soleil, Dieu ferait, ce semble, cet esprit, et l'idée de cet esprit pour le soleil et non pas pour lui.

Dieu ne peut donc faire un esprit pour connaître ses ouvrages, si ce n'est que cet esprit voie en quelque façon Dieu en voyant ses ouvrages. De sorte que l'on peut dire que si nous ne voyions Dieu en quelque manière, nous ne verrions aucune chose 2; de même que si nous n'aimions Dieu, je veux dire si Dieu n'imprimait sans cesse en nous, l'amour du bien en général, nous n'aimerions aucune chose. Car cet amour étant notre volonté, nous ne pouvons rien aimer ni rien vouloir sans lui, puisque nous ne pouvons aimer des biens particuliers qu'en déterminant vers ces biens le mouvement d'amour que Dieu nous donne pour lui. Ainsi comme nous n'aimons aucune chose que par l'amour nécessaire que nous avons pour Dieu, nous ne voyons aucune chose que par la connaissance naturelle que nous avons de Dieu; et toutes les idées particulières que nous avons des créatures ne sont que des limitations de l'idée du créateur, comme tous les mouvements de la volonté pour les créatures ne sont que des déterminations du mouvement pour le créateur.

Je ne crois pas qu'il y ait deux théologiens qui ne tombent d'accord que les impies aiment Dieu de cet amour naturel dont je parle ; et saint Augustin et quelques autres Pères assurent comme une chose indubitable que les impies voient dans Dieu les règles des mœurs et les vérités éternelles. De sorte que l'opinion que j'explique ne

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doit faire peine à personne 1. Voici comme parle saint Augustin Ab illa incommutabilis luce veritatis, eliam impius, dum ab ea avertitur, quodammodo tangitur: hinc est quod etiam impii cogitant æternitatem, et multa recte reprehendunt recteque laudant in hominum moribus. Quibus ea tandem regulis judicant, nisi in quibus vident, quemadmodum quisque vivere debeat, etiam si nec ipsi eodem modo vivant? Ubi autem eas vident? Neque enim in sua natura. Nam cum procul dubio mente ista videantur, eorumque mentes constet esse mutabiles, has vero regulas immutabiles videat quisquis in eis et hoc videre potuerit...... ubinam ergo sunt istæ regulæ scriptæ, nisi in libro lucis illius quæ veritas dicitur, unde lex omnis justa describitur..... in qua videt quid operandum sit etiam qui operatur injustitiam; et ipse est qui ab illa luce avertitur, a qua tamen tangitur?

Il y a dans saint Augustin une infinité de passages semblables à celui-ci, par lesquels il prouve que nous voyons Dieu dès cette vie par la connaissance que nous avons des vérités éternelles. La vérité est incréée, immuable, immense, éternelle, au-dessus de toutes choses. Elle est vraie par elle-même; elle ne tient sa perfection d'aucune chose; elle rend les créatures plus parfaites, et tous les esprits cherchent naturellement à la connaître. Il n'y a rien qui puisse avoir toutes ces perfections que Dieu. Donc la vérité est Dieu. Nous voyons de ces vérités immuables et éternelles. Donc nous voyons Dieu. Ce sont là les raisons de saint Augustin, les nôtres en sont peu différentes, et nous ne voulons point nous servir injustement de l'autorité d'un si grand homme pour appuyer notre sentiment.

Nous pensons donc que les vérités, même celles qui sont éternelles, comme que deux fois deux font-quatre, ne sont pas seulement des êtres absolus, tant s'en faut que nous croyions qu'elles soient Dieu même. Car il est visible que cette vérité ne consiste que dans un rapport d'égalité qui est entre deux fois deux et quatre. Ainsi nous ne disons pas que nous voyons Dieu en voyant les vérités, comme le dit saint Augustin, mais en voyant les idées de ces vérités; car les idées sont réelles; mais l'égalité entre les idées, qui est la vérité, n'est rien de réel. Quand, par exemple, on dit que le drap que l'on mesure a trois aunes, le drap et les aunes sont récls. Mais l'égalité entre trois aunes et le drap n'est point un être réel, ce n'est qu'un rapport qui se trouve entre les trois aunes et le drap.

1. Voy. la préface des Entr. sur la Mét. et la Rép. aux vraies et fausses idées, ch. 7 et 21.

2. Liv. 13, de Trin., ch. 15.

Lorsqu'on dit que deux fois deux font quatre, les idées des nombres sont réelles, mais l'égalité qui est entre eux n'est qu'un rapport. Ainsi selon notre sentiment, nous voyons Dieu lorsque nous voyons des vérités éternelles : non que ces vérités soient Dieu, mais parce que les idées dont ces vérités dépendent sont en Dieu; peut-être même que saint Augustin l'a entendu ainsi. Nous croyons aussi que l'on connaît en Dieu les choses changeantes et corruptibles, quoique saint Augustin ne parle que des choses immuables et incorruptibles, parce qu'il n'est pas nécessaire pour cela de mettre quelque imperfection en Dieu; puisqu'il suffit, comme nous avons déjà dit, que Dieu nous fasse voir ce qu'il y a dans lui qui a rapport à ces choses.

Mais quoique je dise que nous voyons en Dieu les choses matérielles et sensibles, il faut bien prendre garde que je ne dis pas que nous en ayons en Dieu les sentiments, mais seulement que c'est de Dieu qui agit en nous; car Dieu connaît bien les choses sensibles, mais il ne les sent pas. Lorsque nous apercevons quelque chose de sensible, il se trouve dans notre perception, sentiment et idée pure. Le sentiment est une modification de notre âme, et c'est Dieu qui la cause en nous; et il la peut causer quoiqu'il ne l'ait pas, parce qu'il voit, dans l'idée qu'il a de notre âme, qu'elle en est capable. Pour l'idée qui se trouve jointe avec le sentiment, elle est en Dieu, et nous la voyons, parce qu'il lui plaît de nous la découvrir, et Dieu joint la sensation à l'idée lorsque les objets sont présents, afin que nous le croyions ainsi et que nous entrions dans les sentiments et dans les passions que nous devons avoir par rapport à eux.

Nous croyons enfin que tous les esprits voient les lois éternelles aussi bien que les autres choses en Dieu, mais avec quelque différence. Ils connaissent l'ordre et les vérités éternelles, et même les êtres que Dieu a faits selon ses vérités ou selon l'ordre, par l'union que ces esprits ont nécessairement avec le Verbe, ou la sagesse de Dieu qui les éclaire, comme on vient de l'expliquer. Mais c'est par l'impression qu'ils reçoivent sans cesse de la volonté de Dieu, lequel les porte vérs lui, et tâche, pour ainsi dire, de rendre leur volonté entièrement semblable à la sienne, qu'ils connaissent que l'ordre immuable est leur loi indispensable; ordre qui comprend ainsi toutes les lois éternelles, comme qu'il faut aimer le bien et fuir le mal; qu'il faut aimer la justice plus que toutes les richesses; qu'il vaut mieux obéir à Dieu que de commander aux hommes, et une infinité d'autres lois naturelles. Car la connaissance de toutes ces lois ou de l'obligation qu'ils ont de se conformer à l'ordre immuable n'est pas différente de la connaissance de cette impression,

qu'ils sentent toujours en eux-mêmes, quoiqu'ils ne la suivent pas toujours par le choix libre de leur volonté ; et qu'ils savent être commune à tous les esprits, quoiqu'elle ne soit pas également forte dans tous les esprits.

C'est par cette dépendance, par ce rapport, par cette union de notre esprit au Verbe de Dieu, et de notre volonté à son amour, que nous sommes faits à l'image et à la ressemblance de Dieu; et quoique cette image soit beaucoup effacée par le péché, cependant il est nécessaire qu'elle subsiste autant que nous. Mais, si nous portons l'image du Verbe humilié sur la terre, et si nous suivons les mouvements du Saint Esprit, cette image primitive de notre première création, cette union de notre esprit au Verbe du Père et à l'amour du Père et du Fils sera rétablie et rendue ineffaçable. Nous serons semblables à Dieu, si nous sommes semblables à l'hommeDieu. Enfin Dieu sera tout en nous et nous tout en Dieu d'une manière bien plus parfaite que celle par laquelle il est nécessaire afin que nous subsistions, que nous soyons en lui et qu'il soit en nous 1.

Voilà quelques raisons qui peuvent faire croire que les esprits aperçoivent toutes choses par la présence intime de celui qui comprend tout dans la simplicité de son être. Chacun en jugera selon la conviction intérieure qu'il en recevra après y avoir sérieusement pensé. Mais on croit qu'il n'y a aucune vraisemblance dans toutes les autres manières d'expliquer ces choses, et que cette dernière paraîtra plus que vraisemblable; ainsi nos âmes dépendent de Dieu en toutes façons. Car de même que c'est lui qui leur fait sentir la douleur, le plaisir et toutes les autres sensations, par l'union naturelle qu'il a mise entre elles et notre corps, qui n'est autre que son décret et sa volonté générale; ainsi c'est lui qui, par l'union naturelle qu'il a mise aussi entre la volonté de l'homme et la représentation des idées que renferme l'immensité de l'être divin, leur fait connaître tout ce qu'elles connaissent, et cette union naturelle n'est aussi que sa volonté générale. De sorte qu'il n'y a que lui qui nous puisse éclairer en nous représentant toutes choses; de même qu'il n'y a que lui qui nous puisse rendre heureux en nous faisant goûter toutes sortes de plaisirs.

Demeurons donc dans ce sentiment, que Dieu est le monde intelligible ou le lieu des esprits, de même que le monde matériel est le lieu des corps; que c'est de sa puissance qu'ils reçoivent toutes leurs modifications; que c'est dans sa sagesse qu'ils trou

1. Voy. les Éclairc.; la Réponse au livre Des vraies et des fausses idées; la première Lettre contre la défense opposée à cette Réponse; les deux premiers Entr. sur la Mét.; la Réponse M. Régis, etc. Vous trouverez peut-être là mon sentiment plus clairement démontré.

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