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pour savoir si un homme y est allé d'un mouvement vite ou d'un mouvement lent; il faut outre cela savoir combien il a employé de temps pour en faire le chemin. J'accorde donc que l'on sache au vrai la longueur de ce chemin; mais je nie absolument qu'on puisse connaitre exactement par la vue, ni même de quelqu'autre manière que ce soit, le temps qu'on a mis à le faire et la véritable grandeur de la durée.

Cela paraît assez de ce qu'en certains temps une seule heure nous paraît aussi longue que quatre; et au contraire en d'autres temps quatre heures s'écoulent insensiblement. Quand, par exemple, on est comblé de joie, les heures ne durent qu'un moment, parce qu'alors le temps passe sans qu'on y pense. Mais quand on est abattu de tristesse ou que l'on souffre quelque douleur, les jours durent beaucoup plus long-temps. La raison de ceci est qu'alors l'esprit s'ennuie de sa durée, parce qu'elle lui est pénible. Comme il s'y applique davantage, il la reconnaît mieux; et ainsi il la trouve plus longue que durant la joie ou quelque occupation agréable qui le fait sortir comme hors de lui pour l'attacher à l'objet de sa joie ou de son occupation. Car de même qu'une personne trouve un tableau d'autant plus grand qu'elle s'arrête à considérer avec plus d'attention les moindres choses qui y sont représentées; ou de même qu'on trouve la tête d'une mouche fort grande quand on en distingue toutes les parties avec un microscope, ainsi l'esprit trouve sa durée d'autant plus grande qu'il la considère avec plus d'attention et qu'il en sent toutes les parties.

De sorte que je ne doute point que Dieu ne puisse appliquer de telle sorte notre esprit aux parties de la durée, en nous faisant avoir un très-grand nombre de sensations dans très-peu de temps, qu'une seule heure nous paraisse plusieurs siècles. Car enfin il n'y a point d'instant dans la durée, comme il n'y a point d'atomes dans les corps; et de même que la plus petite partie de la matière se peut diviser à l'infini, on peut aussi donner des parties de durée plus petites et plus petites à l'infini, comme il est facile de le démontrer. Si donc l'esprit était attentif à ces petites parties de sa durée par des sensations qui laissassent quelques traces dans le cerveau, desquelles il se pût ressouvenir, il la trouverait sans doute beaucoup plus longue qu'elle ne lui parait.

Mais enfin l'usage des montres prouve assez qu'on ne connaît point exactement la durée, et cela me suffit. Car puisque l'on ne peut connaître la grandeur du mouvement en lui-même qu'on ne connaisse auparavant celle de la durée, comme nous l'avons montré, il s'ensuit que si l'on ne peut exactement connaître la gran

deur absolue de la durée, on ne peut aussi connaître exactement la grandeur absolue du mouvement.

Mais parce que l'on peut connaître quelques rapports des durées ou des temps les uns avec les autres, on peut aussi connaître quelques rapports des mouvements les uns avec les autres. Car de mème qu'on peut savoir que l'année du soleil est plus longue que celle de la lune, on peut aussi savoir qu'un boulet de canon a plus de mouvement qu'une tortue. De sorte que si nos yeux ne nous font point voir la grandeur absolue du mouvement, ils ne laissent pas de nous aider à en connaître à peu près la grandeur relative; c'està-dire le rapport qu'un mouvement a avec un autre; et c'est cela seul qu'il est nécessaire de savoir pour la conservation de notre corps.

III. Il y a bien des rencontres dans lesquelles on reconnaît clairement que notre vue nous trompe touchant le mouvement des corps. Il arrive même assez souvent que les choses qui nous paraissent se mouvoir ne sont point mues, et qu'au contraire celles qui nous paraissent comme en repos ne laissent pas d'être en mouvement. Lors, par exemple, qu'on est assis sur le bord d'un vaisseau qui va fort vite et d'un mouvement fort égal, on voit que les terres et les villes s'éloignent; elles paraissent en mouvement, et le vaisseau paraît en repos.

De même, si un homme était placé sur la planète de Mars, il jugerait à la vue que le soleil, la terre et les autres planètes avec toutes les étoiles fixes feraient leur circonvolution environ en 24 ou 25 heures, qui est le temps que Mars emploie à faire son tour sur son axe. Cependant la terre, le soleil et les étoiles ne tournent point autour de cette planète; de sorte que cet homme verrait des choses en mouvement qui sont en repos, et se croirait en repos quoiqu'il fut en mouvement.

Je ne m'arrête point à expliquer d'où vient que celui qui serait sur le bord d'un vaisseau corrigerait facilement l'erreur de ses yeux, et que celui qui serait sur la planète de Mars demeurerait obstinément attaché à son erreur. Il est trop facile d'en connaître la raison; et on la trouvera encore avec plus de facilité si l'on fait réflexion sur ce qui arriverait à un homme dormant dans un vaisseau qui se réveillerait en sursaut et ne verrait à son réveil que le haut du mât de quelque autre vaisseau qui s'approcherait de lui. Car supposé qu'il ne vit point de voiles enflées de vent, ni de matelots en besogne, et qu'il ne sentit point l'agitation et les secousses de son vaisseau ni autre chose semblable: il demeurerait absolument dans le doute, sans savoir lequel des deux vaisseaux serait

en mouvement; ni ses yeux, ni même sa propre raison ne lui en pourraient rien découvrir.

CHAPITRE IX.

Continuation du même sujet. I. Preuve générale des erreurs de notre vue touchant le mouvement. II. Qu'il est nécessaire de connaître la distance des objets pour juger de la grandeur de leur mouvement. III. Examen des moyens pour reconnaître les distances.

I. Voici une preuve générale de toutes les erreurs dans lesquelles notre vue nous fait tomber touchant le mouvement.

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A soit l'œil du spectateur; C l'objet que je suppose assez éloigné d'A. Je dis que quoique l'objet demeure immobile en C, on peut le croire s'éloigner jusqu'a D ou s'approcher jusqu'à B. Que quoique l'objet s'éloigne vers D, on peut le croire immobile en C et même s'approcher vers B; et au contraire, quoiqu'il s'approche vers B, on peut le croire immobile en C et même s'éloigner vers D. Que quoique l'objet se soit avancé depuis C jusqu'en E ou en H, ou jusqu'en G, ou en K, on peut croire qu'il ne s'est mu que depuis C jusqu'à F ou I; et au contraire, que bien que l'objet se soit mu depuis C jusqu'à F ou I, on peut croire qu'il s'est mu jusqu'à E, ou H, ou bien jusqu'à G ou K. Que si l'objet se meut par une ligne également distante du spectateur, c'est-à-dire par une circonférence dont le spectateur soit le centre: encore que cet objet se

meuve de C en P, on peut croire qu'il ne se meut que de B en 0; et au contraire, bien qu'il ne se meuve que de B en O, on le peut croire se mouvoir de C en P.

Si par delà l'objet C il se trouve un autre objet M, que l'on croie immobile, et qui cependant se meuve vers N; quoique l'objet C demeure immobile, ou se meuve beaucoup plus lentement vers F, que M. vers N, paraîtra se mouvoir vers Y, et au contraire,

si,

etc.

II. Il est évident que la preuve de toutes ces propositions, hormis de la dernière, où il n'y a point de difficultés, ne dépend que d'une chose, qui est, que nous ne pouvons d'ordinaire juger avec assurance de la distance des objets. Car s'il est vrai que nous n'en saurions juger avec certitude, il s'ensuit que nous ne pouvons savoir si C s'est avancé vers D, ou s'il s'est approché vers B, et ainsi des autres propositions.

Or pour voir si les jugements que nous formons de la distance des objets sont assurés, il n'y a qu'à examiner les moyens dont nous nous servons pour en juger; et si ces moyens sont incertains, il ne se peut pas faire que les jugements soient infaillibles. Il y en a plusieurs et il les faut expliquer.

III. Le premier, le plus universel, et quelquefois le plus sûr moyen que nous ayons pour juger de la distance des objets, est l'angle que font les rayons de nos yeux duquel l'objet en est le sommet, c'est-à-dire, duquel l'objet est le point où ces rayons se、 rencontrent. Lorsque cet angle est fort grand, nous voyons l'objet fort proche, et au contraire quand il est fort petit, nous le voyons fort éloigné. Et le changement qui arrive dans la situation de nos yeux selon les changements de cet angle, est le moyen dont notre âme se sert pour juger de l'éloignement ou de la proximité des objets. Car de même qu'un aveugle qui aurait dans ses mains deux bâtons droits desquels il ne saurait pas la longueur, pourrait, par une espèce de géométrie naturelle, juger à peu près de la distance de quelque corps en le touchant du bout de ces deux bâtons, à cause de la disposition et de l'éloignement où ses mains se trouveraient ; ainsi on peut dire que l'âme juge de la distance d'un objet par la disposition de ses yeux qui n'est pas la même quand l'angle par lequel elle le voit est grand que quand il est petit, c'est-à-dire quand l'objet est proche que quand il est éloigné 1.

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On se persuadera facilement de ce que je dis, si l'on prend la

1. L'âme ne fait point tous les jugements que je lui attribuc, ces jugements naturels ne sont que des sensations; et je ne parle ainsi, qu'afin de mieux expliquer les choses. Voy. l'art. 4 du ch. 7.

peine de faire cette expérience qui est fort facile. Que l'on suspende au bout d'un filet une bague dont l'ouverture ne nous regarde pas, ou bien qu'on enfonce un bâton dans la terre, et qu'on en prenne un autre à la main qui soit courbé par le bout; que l'on se retire à trois ou quatre pas de la bague ou du bâton; que l'on ferme un œil d'une main et que de l'autre on tâche d'enfiler la bague, ou de toucher de travers et à la hauteur environ de ses yeux le bâton avec celui que l'on tient à sa main; et on sera surpris de ne pouvoir peut-être faire en cent fois ce que l'on croyait très-facile. Si l'on quitte même le bâton et qu'on veuille encore enfiler de travers la bague avec quelqu'un de ses doigts, on y trouvera quelque difficulté, quoique l'on en soit tout proche.

Mais il faut bien remarquer que j'ai dit qu'on tâchât d'enfiler la bague ou de toucher le bâton de travers, et non point par une ligne droite de notre œil à la bague; car alors il n'y aurait aucune difficulté, et même il serait encore plus facile d'en venir à bout avec un œil fermé que les deux yeux ouverts, parce que cela nous réglerait.

Or l'on peut dire que la difficulté qu'on trouve à enfiler une bague de travers n'ayant qu'un œil ouvert, vient de ce que l'autre étant fermé, l'angle dont je viens de parler n'est point connu. Car il ne suffit pas pour connaître la grandeur d'un angle, de savoir celle de la base et celle d'un angle que fait un de ses côtés sur cette base; ce qui est connu par l'expérience précédente. Mais il est encore nécessaire de connaître l'autre angle que fait l'autre côté sur la base, ou la longueur d'un des côtés, ce qui ne se peut exactement savoir qu'en ouvrant l'autre œil. Ainsi l'âme ne se peut servir de sa géométrie naturelle pour juger de la distance de la bague.

La disposition des yeux qui accompagne l'angle formé des rayons visuels qui se coupent et se rencontrent dans l'objet, est donc un des meilleurs et des plus universels moyens dont l'âme se serve pour juger de la distance des choses. Si donc cet angle ne change point sensiblement, quand l'objet est un peu éloigné, soit qu'il s'approche ou qu'il se recule de nous, il s'ensuivra que ce moyen sera faux, et que l'âme ne s'en pourra servir pour juger de la distance de cet objet.

Or il est très-facile de reconnaître que cet angle change notablement, quand un objet qui est à un pied de notre vue est transporté à quatre mais s'il est seulement transporté de quatre à huit, le changement est beaucoup moins sensible; si de huit à douze encore moins; si de mille à cent mille, presque plus; enfin ce changement ne sera plus sensible, quand même on le porterait jusq

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