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» Quel talent de perfuader, dit l'orateur, » foit qu'il emploie ou la force comique, ou » les couleurs de la poéfie, ou les foudres » de l'éloquence!.. Oui, la poéfie respire » dans le ftyle de Montaigne, lui donne le » mouvement, l'élévation, la vigueur, ces » tours libres, ces expreffions hardies, ce » langage animé qui vit de figures & d'images... Montaigne parle en poëte, de la » poéfie. Si on l'en croit, elle ne pratique pas

notre jugement; elle le ravit & le ravage. » C'est la nature entiere qu'il appelle au » fecours de la pensée; inestimable ref"fource dont il faudroit lui reprocher l'a » bus, fi l'on pouvoit lui reprocher de » plaire".

Il n'eft pas étonnant que Montaigne, à qui la langue Romaine étoit fi familiere, ait fenti plier la nôtre fous le poids de fes penfées, qu'il ait écrit qu'elle fuccombe à une puiffante conception, qu'elle languit fous vous, & fléchit fi vous allez tendu, &c. Que le Grammairien fe taife, dit M. Talbert, lorsque le génie parle; c'eft à celui-ci à fe composer fon idiôme. Montaigne s'en fit un. Tantôt il étend la langue par l'analogie, en lui reftituant des membres qui doivent lui appartenir. Tantôt il la rend plus précife par l'union des mots; quelquefois, femblable au cultivateur, qui tranfplante, incorpore les germes, confond les feves, & donne à un feul fruit le mérite de plufieurs, il tranfporte l'expreffion à un autre fens, ou la na

turalife, fi elle eft étrangere. C'est ainsi que l'artifte fupérieur, qui, pour rendre fon travail plus fini, a besoin d'un inftrument nouveau, l'invente quelquefois, & le fabrique lui-même.

Ce que nous venons de citer du difcours de M. Talbert, & ce que nous en citerons encore, prouve certainement qu'on ne peut avoir ni mieux étudié, ni mieux peint Montaigne; mais on le trouve moins heureux, lorfqu'en parlant de l'obfcurité qu'on remarque quelquefois dans les Effais, il dit que fon obf curité eft celle d'un abyme: cette image n'excufe affurément point ce défaut que quelques gens ont reproché à Montaigne : l'obfcurité d'un abyme eft effrayante, & d'ailleurs nous ne connoiffons aucun endroit des Effais affez obfcur pour faire naître cette idée. Ses obfcurités font celles d'un écrivain concis & ferré. Telles font celles de Tacite, ou de tout auteur qui facrifie par goût le luxe & la fuperfluité des mots, à la fubftance de la penfée. M. l'abbé Talbert après avoir montré dans Montaigne le grand Ecrivain, l'offre dans la feconde partie de fon Eloge, comme un Philofophe, & c'eft à ce titre furtout, dit-il, que Montaigne a mérité l'hommage de la postérité.

Seconde Partie. L'Orateur commence par définir ce qu'il entend par philofophe; car la critique qui, de notre tems, a fait de ce mot un épouvantail, n'en a dû profcrire, dit-il, que la profanation & l'abus: le por

trait du vrai Philofophe, que nous allons tranfcrire ici, doit faire à M. Talbert le plus ⚫ grand honneur, & du côté de la raifon & du côté du ftyle.

» Brifer le joug du préjugé pour ne penfer » qu'avec foi, & comme fi perfonne n'avoit » encore penfé, voir les chofes en elles» mêmes, & non dans les opinions, c'est-à» dire, les connoitre, & non les croire; » réduire la vérité à fes premiers élémens » pour féparer ce qui eft de l'homme de ce » qui émane de la nature; révendiquer l'in» dépendance de nos ames, qu'aucune puif» fance n'a droit d'affujettir; fe rendre le » juge, & non l'efclave des idées d'autrui; »fe défendre également de la crédulité & » du pyrrhonisme, de la fervitude & de la » révolte; ne point imaginer que tout foir » erreur, ni que tout foit vérité... laiffer » aux hommes les erreurs qui concourent à » leur félicité, placer le fouverain bien dans » la vertu, la connoitre, l'enseigner & la » fuivre... C'est d'après ces notions qu'il faut » avouer que le philofophe est un être pré» cieux au monde; que fon caractere eft fa » cré, que fon titre eft fublime". L'Orateur obferve que Montaigne fut un philosophe tel qu'il vient de le peindre, dans un fiecle fuperftitieux où l'on croyoit à l'Aftrologie, à la Magie, à la Divination. » Partout, dit-il » ingénieufement, la Littérature a donné fes » parfums avant que la philofophie vint of » frir fes récoltes; les écrits de Montaigne

» n'étoient donc pas des fruits qu'on dût at» tendre d'un parnaffe naiffant; mais il eft » des tiges dont la feve active a la vertu de » dévancer les tems. Deux fois le même fie». cle fut témoin de cette merveille; & tan» dis que la France fe glorifioit de pof» féder Montaigne, l'Angleterre produifit » Bacon ".

» Alors la fcience même étoit une guerre » où Ariftote combattoit pour tous les partis: » Monarque & Dieu de la Science moderne, il » faifoit révérer fa doctrine avec autant de

religion qu'on révéroit les loix de Lycurgue » à Sparte; elle étoit devenue notre loi ma» giftrale: ce fut au-deffus de cet abus de la » philofophie que s'éleva Montaigne, & qu'il » brava ces théatres fcholaftiques où elle est » indécemment jouée; & la rappellant à ses » fonctions véritables, il l'invita à s'emparer » du régime des mœurs, comme avoit fait » Socrate; mais il n'eut point le faftueux » projet de fonder la nature divine, de faifir » le mécanisme de l'univers. Le vrai champ » de l'impofture, dit-il, font les chofes inconnues. "Enfeigner le bonheur, l'art de jouir & de "fouffrir, de goûter la vie & d'y renoncer; » tel eft le plan des travaux de Montaigne, » & l'abrégé de fes leçons. Le cœur humain. » fut fon spectacle; il démêla l'homme na» turel d'avec l'homme défiguré par nos inf>>titutions".

M. Talbert nous montre enfuite ce que Montaigne penfa fur les connoiffances hu

maines; il voudroit, dit-il, » que toute » fcience ftérile fût privée des honneurs de » ce nom, qu'il y eût même une coërction des » Loix, contre tout Ecrivain impie & inutile : » il voit avec regret, que la plupart des fcien» ces en usage font hors de notre ufage. Glaive » dangereux dans toute autre main que celle » du fage, elles lui paroiffent dommageables » à celui qui n'a pas la fcience de bonté. Il » osa voir le premier, que fi les lettres hu» manifent les mœurs, elles peuvent énerver » les ames, & que Rome éclairée fut moins » courageufe que Rome ancienne; que la » manie d'écrire femble être quelque fymp» tôme d'un fiecle débordé... Mais ces ré» flexions, fi fort exagérées de nos jours. » Montaigne les réduifit à de juftes bornes ».

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» Montaigne égayant fes pinceaux pour » décréditer la fauffe fcience, déclara la » guerre au pédantisme : c'est le triomphe de » l'ironie, furtout lorfque, démafquant les » difciples d'Hippocrate, & jouant leur docte

jargon, il prélude véritablement à Moliere». La légiflation, l'ordre public & focial, Montaigne éclaira tout. C'est à fes principes fur les délits & les peines, que l'Europe a applaudi dans des ouvrages modernes qu'il femble avoir dictés... Les fauvages qui fe repaiffent des membres de leur ennemi mort, l'offenfent bien moins que ceux qui tourmentent & perfécutent les hommes vivans. Il s'éleva avèc force contre la barbarie des tortures, qu'il appelle des épreuves de patience plutôt que de vérité;

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