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et le temps seront les attributs; et il faudra faire combattre ensemble la substance et le phénomène, l'être et la vie, la nature naturante et la nature naturée '. Il semble que l'on assiste à ce supplice rêvé par Dante, de deux âmes luttant dans un même corps.

Enfin, comment s'expliquer que les panthéistes fassent de l'imperfection physique et morale du monde un obstacle à la création ? Nous avouons bien la difficulté d'expliquer le mal. Il est vrai : le mal est trop grand. Tous les systèmes philosophiques, tous les optimismes, ne réussissent pas même à le pallier, Le triomphe de la philosophie, sa vraie grandeur, est de nous apprendre la résignation. Nous arrivons à vaincre la souffrance par la résignation: cela prouve combien est amère la saveur de la vie. Eh! quand même la souffrance aurait une moindre part, nous la reprocherions encore à Dieu dans notre faiblesse, car nous passons notre vie à souffrir, et à ne pas apprendre à souffrir. Cependant, nous qui croyons à la création, et qui faisons de l'homme un être distinct et séparé de l'ensemble des êtres, si nous n'arrivons pas

1. « Par nature naturante, on doit entendre ce qui est en soi et est conçu par soi, ou bien les attributs de la substance, qui expriment une essence éternelle et infinie, c'est-à-dire Dieu, en tant qu'on le considère comme cause libre. .

« J'entends au contraire par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu. » Spinoza, Éthique, partie I, prop. 19, scol., traduction de M. Émile Saisset, t. II, p. 31.

à amnistier la souffrance, nous arrivons du moins à la comprendre. Nous comprenons la lutte constante, rude, opiniâtre, de cet atome pensant contre les forces immenses et insensibles de la nature, contre les flots humains que la destinée commune entraîne, et qui foulent, en passant, les individus, avec l'impassibilité des forces brutales. Nous goûtons un âpre plaisir dans la lutte; et persuadés de notre immortalité, parce que nous sommes persuadés de notre individualité, nous sentons qu'étant seuls immortels, au milieu de ce monde, notre victoire est infaillible, quoique trop chèrement achetée. Ainsi nous traversons la mêlée en portant au dedans de nous ce qui est tout à la fois la résignation, la consolation et le courage, c'est-à-dire une espérance indéfectible. Que nous donnent les panthéistes à la place de cette immortalité, de cette identité? Ils laissent la lutte, et ils ôtent la récompense. Ils sondent la blessure, mais ils arrachent l'appareil. Ils étalent nos plaies, et, pour toute consolation, ils nous apprennent que nous, malades et difformes, nous sommes l'infime partie d'un tout plein de santé et d'harmonie. L'homme peut gémir et souffrir, pourvu que la sérénité du tout ne soit pas altérée. Il meurt; mais en mourant il sait qu'il ne diminue pas la masse de l'être. Son être dissous va s'unir à d'autres atomes, pour produire d'autres phénomènes dans le sein commun de la nature : immortalité sourde, insignifiante, dont mon cœur ne veut pas, dont ma con

science a horreur, et qui est l'anéantissement de la personne, si elle n'est pas l'anéantissement de l'être 1. Dans ce système, quand la mort m'atteint, ce qui reste de moi n'intéresse plus mon moi, et n'appartient qu'au tout, entrevu par ma raison, ignoré de ma conscience. Ainsi mon immortalité même me devient indifférente, puisque ma mémoire, mon identité, ma personne ne subsistent pas. Mon âme est absorbée par l'âme universelle, comme les atomes de mon corps par le mouvement qui forme sans cesse, et dissout sans cesse les corps. Est-ce que je me soucie de ces parties inertes de ma nature corporelle, qui vont, après ma dissolution, engraisser la terre? Est-ce je puise une consolation, une force, dans cette théorie physique, que pas une molécule ne périt dans le monde des corps ? Et quelle différence y a-t-il entre la destinée de mon cadavre et celle que le panthéisme promet à mon âme? Ainsi, je mourrai entier, car l'avenir de ma substance n'est pas mon avenir. Il n'y a que ma souffrance qui soit à moi; celle-là m'appartient en propre, sans compensation. Et vous parlez de la justice de Dieu ? Et vous nous reprochez à nous de ne pas la respecter assez, quand nous avons le dogme de la vie future, quand nous proclamons la personnalité humaine, la persistance

1. « L'existence présente de l'âme et sa puissance d'imaginer sont détruites aussitôt que l'âme cesse d'affirmer l'existence présente du corps. » Spinoza, Éthique, partie II, scolie de la prop. 11. Cf. partie V, prop. 23, et scolie de la prop. 34.

de la personne, les punitions et les récompenses? N'est-il pas évident que si le mal est pour nous un embarras, il est pour vous une impossibilité ?

Que sera-ce encore si, au lieu de la souffrance, nous parlons de la faute ? Il est pour nous-mêmes difficile d'expliquer la faute. Nous l'attribuons à notre liberté; mais nous reconnaissons que la passion est bien forte contre la liberté, que la raison est bien chancelante, que les victoires sont rares, difficiles, pénibles. Nous avons peine à retenir la plainte sur nos lèvres, quand nous nous rappelons que Dieu pouvait augmenter nos lumières, et nos forces, et nos tendances vers le bien. Mais au moins, dans le système de la création, le principe de nos fautes est en nous où est-il suivant les panthéistes? Il est en Dieu! Car pourquoi parler de la personne humaine et la distinguer de la nature divine, là où il n'y a pour Dieu et pour l'homme qu'une substance, une vie, une histoire 1? Les panthéistes peuvent essayer de répondre quelque réponse qu'ils fassent, il est impossible que leurs arguments ne prouvent pas plus pour nous que pour eux.

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Nous touchons ici à ce qu'il est permis d'appeler

1. « Tout ce que je puis dire à ceux qui croient qu'ils peuvent parler, se taire, en un mot agir, en vertu d'une libre décision de l'âme, c'est qu'ils rêvent les yeux ouverts. » Spinoza, Éthique, partie III, prop. 2, et son scolie.

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le lieu commun de la réfutation du panthéisme. Le panthéisme, pour le vulgaire, est tout entier dans ce mot identité de Dieu et du monde; et la réfutation du panthéisme, tout entière dans celui-ci attribution à Dieu des imperfections du monde. C'est à coup sûr un raisonnement simple et concluant que celui-ci, et de ceux que le bon sens public adopte : Votre doctrine consiste à dire que le monde est en Dieu; or, le monde est mauvais, ou, tout au moins, il y a du mal dans le monde; il y a donc aussi du mal dans la nature de Dieu, ce qui est une impiété.

Nous voyons en effet qu'à toutes les époques le panthéisme a été traité d'impiété par toutes les écoles contemporaines, et c'est à peine si l'on s'élève contre l'athéisme avec autant d'indignation. Il y a trois grands noms dans l'histoire du panthéisme: Parménide, Plotin, Spinoza. Ces trois noms nous rappellent des civilisations bien différentes : Parménide, le monde païen, et les premiers âges de la philosophie et des lettres; Plotin, les derniers défenseurs de l'antique civilisation aux prises avec les premiers fondateurs du christianisme; et Spinoza, le triomphe absolu du christianisme, son autorité entière et universelle. Cependant Parménide, Plotin et Spinoza ont été combattus par les mêmes armes. En plein xvII° siècle, Bayle, Malebranche, Fénelon, ces esprits si éclairés, si subtils, si capables d'aller au fond des choses, n'ont pas dédaigné d'emprunter les arguments vulgaires pour combattre Spinoza. Ils ont montré la

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