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vait de son temps la Providence la plupart de ces merveilles sont des erreurs qu'une science plus haute a fait disparaître. N'allons pas si loin; prenons un livre qui nous a tous charmés dans notre enfance : sans être devenus bien savants, nous ne pouvons plus lire le Spectacle de la nature de l'abbé Pluche. Nous sentons trop combien sa science est incertaine. Nous mesurons avec effroi la tâche qu'il s'est donnée de démontrer que tout est bien dans le monde. Buckland lui-même, le dernier venu, le plus savant parmi ces ennemis du mal, trébuche à chaque pas. Sa science a trente ans : elle a bien vieilli! Et lui-même, dans sa ferveur, il est bien près quelquefois de nous faire sourire. On lui objecte que le loup mange les moutons. L'objection est plus grave qu'elle n'en a l'air; elle est fort générale, et nous nous mangeons tous un peu les uns les autres dans ce monde. Or, que répond l'excellent homme? Ils les mangent sans doute, dit-il, «< et c'est en cela qu'éclate la bonté de la Providence ; » car les moutons sont presque toujours mangés lorsqu'ils sont encore gras, jeunes et bien portants. Ils échappent ainsi à la maladie et à la vieillesse. Si les moutons étaient raisonnables et qu'ils connussent l'avenir, ils béniraient en mourant leurs bienfaiteurs carnivores.

Pendant que les apologistes tournent à la déclamation ou se repaissent de puérilités, d'autres esprits, dans des buts très-divers, s'épuisent en efforts pour faire ressortir tout ce qu'il y a d'imparfait, d'ina

chevé, de contradictoire dans le monde. Ils n'ont pas moins de bonne foi dans leurs plaintes, que Pluche ou Buckland dans leurs apologies. Ces deux sortes d'esprits forment pour ainsi dire deux courants opposés de la littérature: ici les Idylles de Gessner, là les Nuits d'Young. On est plus heureux, plus consolé quand on lit les premiers, mais il est difficile de ne voir dans les seconds que des sophistes. On se surprend soi-même dans les contradictions les plus flagrantes, tantôt dans l'optimisme le plus prononcé, tantôt dans un dénigrement universel. Il est étrange que ces deux séries d'arguments nous soient aussi familières l'une que l'autre, et que, suivant la disposition du moment, nous choisissions celle à laquelle il nous plaît de croire, sauf à l'abandonner quand nos impressions seront différentes. On serait tenté de conclure au premier abord qu'il n'y a dans tout cela que du sentiment et de la poésie, mais rien de véritablement scientifique.

Ces objections sont considérables; et pourtant, quelle qu'en soit la force, personne ne peut nier que l'étude approfondie de la nature ne produise un sentiment d'admiration pour le Créateur. Il y a là comme une évidence de fait, qui triomphe de tous les raisonnements. Il ne faut pas, après tout, tant de science pour admirer. Dieu a voulu que la beauté de son œuvre fût manifeste, même pour les ignorants et les simples. Il suffit d'ouvrir les yeux. Une science plus

haute, en rectifiant et en étendant nos idées, nous découvre de nouvelles analogies, de nouvelles splendeurs; elle ajoute à notre foi loin d'y retrancher. On ne doit pas dire: «Ne nous hâtons pas d'admirer, car notre science est trop incomplète; » mais bien : « Nous admirons le monde que nous connaissons si peu; quelle serait notre admiration si nous le connaissions davantage! » Toute la faute des optimistes est dans leur excès. C'est à force de vouloir tout prouver, que trop souvent ils ne prouvent rien. Pourquoi prendre tant de souci? Au lieu d'avoir la prétention d'expliquer tout le mal et de le transformer en bien, qu'on se borne à soutenir que le bien, c'est-à-dire l'ordre, car dans le monde le bien et l'ordre ne font qu'un, l'emporte sur le désordre et le mal, et qu'il l'emporte, non d'une façon contestable, mais dans une proportion presque infinie: aussitôt les preuves abondent, l'observation la plus vulgaire, la plus superficielle, fournit de très-solides et très-nombreux arguments, et toutes les sciences viennent concourir à achever la démonstration. Et en effet, quel est le but suprême de la science? N'est-ce pas d'expliquer, de coordonner? N'est-ce pas de remplacer la variété des effets par l'unité des lois? N'est-ce pas de détruire les obstacles qui s'opposaient à la puissance humaine, et de les transformer en secours? Le monde expliqué par la science, compris dans son fond, ramené à ses lois suprêmes, amélioré, fécondé, dompté, discipliné, devient le royaume de l'homme, après avoir

été sa prison; et là où l'ignorant croyait avoir le droit de gémir et de se plaindre, le vrai savant ne peut plus qu'admirer et bénir. L'existence d'un plan magnifique et la présence d'un ouvrier tout-puissant lui deviennent manifestes. Il voit le mal sans effroi, parce qu'il ne demande pas à la créature une perfection qui ne saurait appartenir qu'au Créateur.

Après avoir ainsi rapproché le but de nos efforts, pour le rendre plus accessible, nous demanderons d'abord la preuve de la Providence à la nature inanimée.

L'existence de la science prouve à elle seule, sans entrer dans les détails, que le monde est régulier et bien organisé. Qu'est-ce que la science? C'est la connaissance des lois générales. S'il n'y a pas de lois, it n'y a pas de science. Ainsi on doit admettre que, du moment que la science existe, tout est dans l'ordre.

Si l'on objecte que ces lois sont fatales, nous répondrons d'abord que cette nécessité ne leur vient pas d'elles-mêmes, car l'infini seul est nécessaire en vertu de sa définition; et ensuite, qu'il y a des lois à la fois réelles, immuables, et non nécessaires. Que tout ce qui commence d'exister ait une cause, cette loi est nécessaire. Que tous les corps gravitent vers le centre de la terre, cette loi n'est pas nécessaire; elle n'en est pas moins une loi. Cette seconde loi, qui pourrait ne pas être, a été établie avec volonté et intelligence par le créateur du monde.

N'y a-t-il de lois, c'est-à-dire d'ordre, que pour un certain nombre de cas et pour un certain nombre d'êtres? La question même est absurde. Il y a des lois que nous ignorons, mais tout a une loi. Ce que nous appelons désordre est proprement une dérogation à des lois connues, qui a lieu en vertu d'une loi inconnue. Au début d'une science, on dit : « Je vais chercher la loi de ces phénomènes; » on ne dit pas: « Je vais chercher si ces phénomènes ont une loi. >> Puisque tout dans la nature dépend d'une loi, puisque tout est régulier, il s'ensuit invinciblement qu'il y a plus de bien que de mal dans la nature. Nous voyons clairement le bien; rien ne nous prouve que le mal soit réel. Il se peut que nous appelions mal ce qui nous paraîtrait bien si notre science était plus étendue. Non-seulement cela se peut, mais cela est probable. Si nous ne disons pas que cela est certain, c'est afin de n'affirmer que ce qui est d'une évidence immédiate.

Il faut encore remarquer que tout ce qui a une loi a un but; car si la loi ne servait pas à quelque chose, elle serait une pure généralisation, sans aucune réalité. Ainsi, par exemple, si je ne connais pas la loi des phénomènes que je veux retenir, je puis créer un principe arbitraire de classification pour aider ma mémoire : ce procédé artificiel me soulage en effet, il est quelque chose pour mon esprit, puisqu'il est une méthode; il n'est rien pour les objets que j'ai classés; il n'en fait pas partie, il ne les modifie pas.

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