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Cette réponse a du vrai; elle est plausible; elle atténue le mal, sans le détruire. Si la loi de la justice est absolue, et elle l'est, la vertu constitue un droit imprescriptible, et Dieu est, si on ose le dire, le débiteur de l'homme juste. Le juste peut attendre, mais il faut que Dieu ait son heure.

Ainsi la difficulté est invincible; ou plutôt elle le serait sans l'immortalité. La philosophie triomphe de tout, hormis de cela. Le mal physique n'est rien, la douleur est méprisable : l'injustice seule, quand elle persiste, est une objection invincible contre la justice de Dieu. Qu'on cherche à l'expliquer, à la pallier : on ne trouvera que des faux-fuyants. Car l'injustice est un mal absolu, le plus grand des maux, le seul mal'; quiconque permet et sanctionne l'injustice est impuissant ou méchant. Il suffit d'une injustice consommée et irréparable, pour qu'il n'y ait pas de Dieu.

Nous ne parlons pas ici de l'homme vertueux; nous ne disons pas que la récompense lui est nécessaire. La vertu peut se passer de récompense, mais Dieu ne peut se passer de récompenser la vertu. Toi, tu mourras pour la justice, sans proférer une plainte; mais nous, en présence de cette mort, nous serions réduits à accuser la Providence, si cette tragédie était une

1. « Ce qui est mauvais en soi sera toujours mauvais.... Je parle dans l'ordre moral; car dans l'ordre physique, il n'y a rien d'absolument mauvais. Le tout est bien. » J. J. Rousseau, Lettre à M. d'Alembert, etc., éd. Lahure, t. I, p. 251.

consommation, et n'était pas, au contraire, une transition et une preuve1.

Voilà le fruit délicieux que porte la souffrance, et c'est d'elle qu'on peut dire qu'elle est pleine d'immortalité. Bénissons Dieu d'avoir permis que la loi du devoir soit si évidente, et souvent si austère, et que chaque journée nous apporte l'occasion ou le spectacle d'un martyre. Ce renversement du vrai et du juste signifie que la vie n'est qu'un commencement, une épreuve, une heure avant l'éternité.

Qu'importent les autres démonstrations? Ceci est tout. Non-seulement je me console de l'injustice que je vois, mais je trouve une douceur dans l'injustice que je souffre. Je suis juste, et je suis persécuté : donc Dieu m'attend2.

<«< Il semble aux murmures des impatients mortels que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons premièrement, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail3. »

1. « Bonum virum (Deus) in deliciis non habet: experitur, indu« rat, sibi illum præparat. » Senec., de Provid., cap. I.

2. « Celui qui ne veut pas porter sa croix et me suivre n'est pas digne de moi. » Év. selon S. Matth., chap. x, vers. 38.

3. J. J. Rousseau, Emile, Profession de foi du vicaire savoyard.

CHAPITRE III.

EXAMEN DES OBJECTIONS TIRÉES DE L'IMMUTABILITÉ DIVINE.

« Je crois que Dieu est immuable. Il me paraît évident que c'est une perfection que de n'être point sujet au changement. Cela me suffit. Quand même je ne pourrais pas accorder l'immutabilité de Dieu avec sa liberté, je crois qu'il possède ces attributs, puisqu'il est infiniment parfait. » — Malebranche, Huitième entretien sur la métaphysique, § 2.

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Jusqu'ici nous avons considéré la Providence par son côté le plus accessible, et, en quelque sorte, le plus familier. Nous avons cherché dans le monde les traces de la sagesse et de la bonté divines; et l'objection que nous avons discutée est celle qui se présente la première, et qui frappe les esprits les moins attentifs, l'objection du mal.

Nous n'avions pas besoin de regarder le monde pour savoir que Dieu le dirige. Nous savons que Dieu existe, et quoique nous ne puissions comprendre sa nature, nous savons qu'il est parfait, et qu'à ce titre, il est bon, intelligent, puissant. Or, il est impossible qu'un être essentiellement bon aime le désordre, ou qu'un être essentiellement intelligent produise une

œuvre sans la disposer suivant un plan, ou enfin qu'un être tout puissant ne réalise point le plan conçu par son intelligence. Ainsi les données que nous avons déjà sur la nature de Dieu nous suffisent pour affirmer qu'il y a de l'ordre dans le monde. Et qu'on ne dise pas que nous nous sommes servis de cet ordre pour établir l'existence de Dieu; car nous n'avons pas besoin d'autre chose pour croire à un Dieu parfait, que de ce que nous trouvons dans notre pensée et dans notre cœur. Nous acceptons, comme par surcroît, les arguments que le monde nous fournit.

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Mais, soit que nous arrivions directement, par dée de la perfection divine, à affirmer la Providence, ou que nous suivions la route plus longue et plus accessible de la contemplation des merveilles de la nature, n'y a-t-il pas une contradiction entre l'idée de Providence et l'immutabilité absolue que nous sommes contraints d'attribuer à Dieu ?

Notre pensée est si faible quand elle s'applique à ces matières, qu'elle se contredit même dans les développements qu'elle donne à l'idée de perfection. Car tantôt elle ne veut voir dans la perfection que l'unité immobile, et tantôt elle y veut voir tous les attributs de la Providence, la bonté, la prévoyance, la sollicitude, l'action incessante. Il en résulte en quelque sorte deux philosophies opposées, entre lesquelles nous devons chercher une conciliation, puis

qu'elles paraissent vraies et nécessaires l'une et l'autre. Pénétrons-nous bien d'abord de la nature de la difficulté, avant de tenter de la résoudre.

Il est incontestable que quand nous pensons à Dieu en partant de l'idée de la perfection absolue que nous trouvons au fond de notre raison, et quand nous nous élevons à lui à l'aide de l'idée de cause, en prenant dans le monde notre point de départ, nous arrivons à des spéculations d'une nature très-différente, et qui ont chacune leur inconvénient. La première méthode nous conduit à un Dieu immuable, dans lequel il n'y a place pour aucune imperfection et pour aucune limite; et la seconde, à un Dieu plus accessible et plus humain, dont la majesté attire notre amour sans effrayer notre intelligence, et dont nous croyons sentir en quelque sorte au-dessus de nous la main paternelle. La difficulté est égale dans les deux systèmes,

pour descendre jusqu'à la création; ici pour monter jusqu'à l'unité. Le Dieu immuable de la métaphysique ne peut penser qu'à lui-même; il ne peut aimer que lui-même, son action se termine en lui-même. S'il

pense au monde, s'il l'aime, s'il le produit, s'il le gouverne, le temps, l'espace, et par conséquent l'imperfection pénètrent en lui: il dégénère de son unité absolue. Pour qu'une action soit grande, il ne suffit pas qu'elle soit produite par une pleine puissance; il faut que l'effet en soit grand : de sorte que la petitesse du monde abaisse Dieu et l'amoindrit. Au contraire, le Dieu-cause de la philosophie du sens commun aime

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