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le monde, s'en occupe, le gouverne; il répond par des bienfaits à nos prières; il peut donc être touché; nous avons dans notre bassesse quelque action sur cette grandeur infinie. Ainsi son immutabilité n'est pas entière; son éternité, que le monde traverse, n'est pas indivisible; il ne se suffit pas à lui-même, puisqu'il lui faut un témoin et une preuve de sa gloire. Que résoudre dans un tel antagonisme? Faut-il renoncer à la notion de la perfection, qui entraîne inévitablement l'immutabilité? Ou à la notion de la Providence, qui semble rendre l'immutabilité impossible?

Nous retrouvons ici par un autre chemin l'éternel et peut-être l'unique problème de la philosophie: la conciliation de l'un et du multiple. C'est, au fond, le problème de la création; mais nous le voyons ici plus manifeste en quelque sorte, puisqu'il paraît au premier abord que le gouvernement assidu et persévérant du monde implique plus de mobilité et plus de diversité que l'acte unique de la création. Nous regardons ce problème comme insoluble. L'effort de la philosophie doit tendre à en bien poser les termes pour éviter toute équivoque, et à montrer nettement jusqu'où va notre science, où commence pour nous l'incompréhensible. Loin de nuire à la raison en lui retranchant ainsi ce qui la surpasse, on fortifie son autorité dans les matières qui tombent légitimement sous sa juridiction. En

toutes choses l'ignorance même est préférable à la fausse science1.

L'histoire nous offre quelques essais de conciliation entre l'unité de Dieu et sa providence. Nous ne reviendrons pas sur la doctrine des panthéistes déjà réfutée. Aristote avait proposé un système ingénieux, qui a servi de type à toutes les écoles dont la théologie repose sur l'hypothèse d'un Dieu indifférent. Selon lui, Dieu est et demeure immuable; rien ne vient troubler son immutabilité, aucune volonté, aucune pensée. Il ne pense qu'à lui; il n'aime, il ne désire, il ne veut rien en dehors de lui. Voilà bien le Dieu spéculatif de la métaphysique. Ce Dieu, qui dédaigne de connaître le monde, et par conséquent de le gouverner, est pourtant la cause de tout l'ordre que nous y voyons. C'est que le monde est un être éternel, ou, pour parler comme Aristote, un animal dont la nature est d'aimer le beau et le bien, et de tendre vers lui; de sorte que Dieu le gouverne en lui servant d'étoile, sans sortir de son immutabilité2. La première difficulté de ce système, c'est qu'il suppose

1. « Je suis plus sage que cet homme; car il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir quoiqu'il ne sache rien, et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. » Platon, Apologie de Socrate, trad. de M. Cousin, t. I, p. 73.

2. « Voici comment meut ce moteur immuable: le désirable et l'intelligible meuvent sans être mus.... Le premier moteur meut en tant qu'aimé. » Métaphysique, liv. XII, chap. VII.

l'éternité de la matière, et de la matière organisée; la seconde, c'est que ce Dieu immuable et indifférent, dont on veut faire l'unique objet de l'amour, n'a plus rien dans sa nature qui nous le fasse aimer.

Les alexandrins ont une solution beaucoup plus profonde dans la théorie des hypostases. Ils supposent un seul Dieu en trois hypostases, dont la première est l'unité immuable de la métaphysique, la troisième est le père du monde, et la seconde leur sert de lien.

Cette hypothèse expliquerait tout, şi elle pouvait elle-même être expliquée, et surtout si elle pouvait être prouvée.

On comprend qu'elle se rencontre dans la doctrine panthéiste de l'école d'Alexandrie; des panthéistes seuls pouvaient l'admettre.

Nous avons vu que la principale objection des panthéistes contre le dogme de la création, c'est que Dieu étant l'unité absolue, il ne peut produire le monde qui est multiple; et qu'après avoir développé cette objection, et insisté sur la perfection de l'unité divine qui ne peut produire le monde sans déchoir, quand ils viennent à proposer leur solution, ils n'ont pas autre chose à nous offrir que l'identité de cette unité et de ce multiple. Tout aussitôt, nous retournons contre eux, avec bien plus de force, leurs propres arguments contre la création; car, s'il est difficile que l'un engendre le multiple, il est tout simplement impossible que l'un et le multiple ne

soient qu'un. Or, la théorie des hypostases consacre en Dieu la même identité de l'un et du multiple, qui fait le fond de la doctrine panthéiste. Elle peut donc être admise par les panthéistes en raison de leurs principes; mais elle doit être rejetée par les partisans de la création. En effet lorsque, après avoir rejeté le panthéisme comme absurde et contradictoire, et admis la création quoique incompréhensible, on se trouve en présence d'un Dieu, immuable de par la raison, et pourtant créateur de par l'évidence, si, pour concilier cette immobilité et cette action, on suppose en lui la coexistence de l'action et de l'immobilité, n'est-il pas évident qu'on n'est pas meilleur logicien que les panthéistes, et qu'on n'a fait, comme eux, que transporter ailleurs la difficulté sans la résoudre?

Ce qui prouve d'ailleurs la fausseté de cette solution, ce qui montre qu'elle ne repose que sur une idée vague et mal définie, c'est que ceux qui l'admettent ne savent comment l'exprimer. Ils disent bien, ce qui est déjà énorme, qu'il y a en Dieu une certaine dualité; mais dualité de quoi? Là leur embarras se manifeste. Est-ce dualité d'êtres? alors il y a deux dieux; ou de nature? cela ne différerait guère; ce serait presque remplacer un mot par un autre; mais quand même on admettrait comme une proposition claire et intelligible qu'il peut y avoir deux natures dans un même être, personne n'a osé dire ouvertement qu'il y a deux natures en Dieu. Que faire

donc? Pour une idée qui n'en est pas une on a inventé un mot, et l'on a dit qu'il y avait en Dieu plusieurs hypostases. Cela ressemble à de la puérilité; et les alexandrins, inventeurs de ce mot et de cette doctrine, une fois en possession de ce moyen facile d'échapper aux difficultés, ont multiplié tellement les hypostases, que leur pensée y a perdu toute précision.

Une troisième objection non moins solide contre la théorie des hypostases est celle-ci. Puisque l'immobilité, caractère de la perfection, n'appartient qu'à cette première hypostase, la première hypostase de Dieu est seule parfaite; et il faut dire : ou qu'elle seule est Dieu, ce qui est contre l'hypothèse, ou que Dieu est imparfait. Et puisque la création est l'attribut de la troisième hypostase, et d'elle seule, il n'y a plus entre les trois hypostases qu'un rapport de coexistence, et elles sont étrangères l'une à l'autre dans la même substance, ce qui est absurde.

Ce que nous disons ici des alexandrins et de tous ceux qui ont voulu introduire en Dieu une pluralité quelconque, ne saurait s'appliquer au christianisme. Le christianisme admet un seul Dieu en trois personnes, et les alexandrins un seul Dieu en trois hypostases, voilà la ressemblance. Il n'y a pas même différence de mots, puisque personne est la traduction du mot latin persona qui lui-même est l'équivalent du mot grec hypostase, et que ce dernier

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