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vivre en homme, que de dompter la douleur en la méprisant, et d'ôter ainsi son aiguillon au monde du dehors'. En nous donnant la liberté, Dieu nous a tout donné; car il dépend de nous d'être vertueux, et tout le reste ne mérite pas qu'on y prenne garde. Voilà, au hasard, quelques formules de l'insurrection stoïcienne contre le mal. Ces grands sentiments sont pleins de vérité et de force; mais c'est une parure qui ne va pas à toutes les tailles. Pour n'avoir pas besoin d'une autre réponse, il faudrait être Épictète ou Caton. Peut-on admettre que l'humanité s'en contente jamais, et que, fortement résolue à changer plutôt ses désirs que la fortune, elle arrive à la sublime folie des stoïciens, qui niaient la douleur à force de la mépriser? Oson's dire, sans manquer de respect à une secte qui fut les délices du genre humain, qu'il y a des douleurs dont il n'est pas bon de triompher. Nous admirons sans réserve la jambe cassée d'Épictète; mais, devant la sentence de Brutus, nous hésitons entre l'horreur et l'admiration, et nous sommes bien près de dire avec Bossuet que cette philosophie croit être forte parce qu'elle est dure'. On peut, on doit savoir mépriser la faim et la soif, le froid, toutes les douleurs physiques; mais entendre son enfant demander du pain, le voir languir et mourir dans les tortures de la faim; errer

1. << Non quid, sed quemadmodum feras, interest. » Senec., de Provid., cap. II.

2. Bossuet, Sermon sur la Providence.

avec lui sans abri, sans asile; le laisser, en mourant, à la garde de Dieu; baiser cette chère tête, et sentir que la mort va vous laisser un cadavre entre les bras; ou peut-être, douleur encore plus atroce, lutter en vain contre les envahissements du vice, et assister impuissant à la ruine d'une âme pour laquelle on donnerait mille fois sa vie ce sont là des supplices que toutes les sentences du stoïcisme ne sauraient atténuer ni guérir, et dont l'existence seule entraîne infailliblement une de ces deux conséquences: ou il n'y a pas de Dieu, ou il y a une autre vie.

Cette inégalité dans la répartition des biens et des maux devient un argument bien autrement pressant, quand on voit tous les biens de ce monde être la proie du crime, et tous les maux accabler le juste. Sans doute, il n'est pas vrai de dire que la loi morale serait impuissante sans les peines et les récompenses qui lui servent de sanction; il y a un caractère dans la vertu qui la rend toute-puissante sur les âmes droites; et on aime à se persuader qu'on l'embrasserait encore, avec la perspective d'un malheur éternel, plutôt que d'acheter le bonheur au prix d'une flétrissure. Mais si la vertu, sans le bonheur, suffit à quelques âmes d'élite, suffit-elle, dans ces conditions, à l'humanité? Suffit-elle à la justice de Dieu?

Ne remontons même pas jusqu'à Dieu, et regardons la justice en elle-même plutôt que dans sa source. Nous portons en nous une force qui, en même

temps qu'elle nous dirige vers le bien, nous contraint, par une heureuse nécessité, à reconnaître l'existence de la vie future; c'est la conscience. On peut disputer sur l'origine et la nature de cette force; les rationalistes pensent qu'elle existe en nous par la seule volonté du Créateur, et s'y développe spontanément, chaque fois que nous prenons une détermination morale, ou que nous assistons au développement de la liberté morale dans un de nos semblables. Mais, pour ne pas introduire ici la question des idées innées et la théorie de la raison, et nous en tenir à ce qui n'est pas même controversé, tout le monde convient que nous concevons l'idée de la justice; et, soit qu'elle nous vienne de l'éducation ou de la nature, cette idée dans un esprit formé a une telle puissance, qu'on ne peut ni la rejeter en théorie, ni en méconnaître l'ascendant dans la pratique. S'agit-il de nos propres actes? Elle engendre, suivant les cas, le remords ou une sorte d'orgueil doux et légitime. Ne sommes-nous que spectateurs? L'approbation ou la désapprobation ne se produit pas avec moins de sûreté. Qu'un fils frappe son père en ma présence, se peut-il que je regarde cette action comme indifférente? Si je la juge criminelle, est-ce après réflexion, ou spontanément? Mon esprit a-t-il besoin, pour porter ce jugement, de considérer les suites possibles pour la société de la décroissance du respect filial? Puis-je concevoir une loi écrite, dont le but serait de déclarer illusoire le respect du fils pour son père?

Et toutes les écoles, sans distinction d'origine, ne conviennent-elles pas qu'il y a une éternelle justice, indépendante de la justice humaine, et dont la justice -humaine dépend? Essayons même de supposer que cette loi de la justice, admise par tous les hommes, résulte uniquement de leur condition, et que, si l'humanité était différente, la justice cesserait d'être la justice nous ne le pouvons. Je suis certain, de la même certitude, que la justice oblige le fils à respecter son père, et qu'un effet ne peut exister sans une cause. Il faut que je croie cela, ou que je renonce à me servir de ma raison. Si je circonscris la portée de cet axiome; si je dis : « La justice est vraie pour l'homme et ne le serait pas pour un être d'une nature différente, » il faut du même coup que je retranche, à tous les autres axiomes dont je me sers pour penser, ce que je retranche à celui-là et que je ne regarde plus ma raison que comme une autorité relative. Il faut que je dise, par exemple : « Il est vrai, pour l'homme que le tout est plus grand que sa partie; mais cela pourrait ne pas être vrai pour un être d'une nature différente. » Ce serait en réalité embrasser le scepticisme; car entre la vérité relative et le doute il n'y a pas l'épaisseur d'un cheveu.

Ainsi la justice existe et elle a une force absolue. Elle n'est pas seulement pour l'homme, ou pour le monde; elle est, sans aucune condition. C'est ce que pense tout homme qui n'est pas aveuglé par une théorie. Il suit de là que la justice doit être remplie;

car il ne se peut qu'elle soit, et qu'elle soit violée; de même qu'il est impossible, si cet axiome : Il n'y a pas d'effet sans cause, est vrai, qu'il y ait des effets sans cause. Donc, si le monde me présente une injustice évidente, et si la mort y met le sceau, de telle sorte qu'il n'y ait plus à espérer en ce monde, une réparation, il faut qu'il y ait un autre monde. Cette conclusion a précisément la même force que ma croyance au principe de la justice. Ou il faut dire qu'il n'y a pas de justice, ou il faut dire que la vertu est toujours récompensée; si elle n'est pas récompensée sur cette terre, elle l'est infailliblement et incontestablement dans l'autre vie1.

Dès que cette pensée a pris possession de notre âme, elle nous donne plus de force que toutes les maximes stoïciennes pour supporter la vie, car elle nous en montre à la fois le néant et les pro

1. « Aussi vrai que j'existe, je veux obéir à ma conscience dans tout ce qu'elle me prescrira. Que cette détermination soit désormais inébranlable dans mon esprit; que d'elle dépende toute détermination, et qu'elle-même ne dépende d'aucune autre; qu'elle soit le principe, le mobile de toutes mes actions. Je sais, il est vrai, en ma qualité d'être doué de raison, que je ne puis agir qu'à la condition de me proposer un but, d'attendre un résultat; je sais aussi, car cela m'a été démontré, que cette obéissance à ma conscience demeure stérile sur la terre. Mais qu'à cela ne tienne. Plutôt que de renoncer à la pratiquer, j'aime mieux supposer qu'au delà de cette terre se trouve un lieu où cette obéissance portera nécessairement ses fruits.... Le brouillard se dissipe: un monde nouveau se manifeste à moi, en même temps que je me découvre un nouvel organe pour le saisir. » Fichte, Destination de l'homme, p. 303 et suiv.

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