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messes'. C'est une fausse morale, qui attache les félicités du monde à la vertu. Il n'en est rien ni la vertu, ni peut-être le génie n'enchaînent le succès. La vertu est si loin d'être profitable, qu'on ne se la représente guère que souffrante et opprimée. Le vice a toutes les chances. C'est la vertu de Caton, et non César, qui triomphe de Caton. Les hommes admirent la réussite, rien de plus ; et les plus pauvres moyens, quand les circonstances leur donnent raison, deviennent des traces du génie pour nos esprits imbéciles. Rien ne nous accable comme le nombre et le fait accompli, cette double incarnation de la force. Notre raison a beau protester; nous finissons presque tous par courber la tête. C'est à peine si on se souvient de Caton dans le triomphe de César. Lorsque ce grand ambitieux, qui était encore honnête, se préparait à marcher contre le sénat de Rome, et par conséquent contre la République et la liberté, li se tenait sur les bords du Rubicon, partagé peut-être entre l'ambition et le devoir. Il n'y avait que la largeur du fleuve entre le crime et lui; et il n'y avait aussi que cette largeur entre lui et la gloire. Une fois qu'il l'a traversée, le monde et l'histoire lui appartiennent. Des flatteurs lui décernent le titre de Père de la patrie, que la multitude ne tarde pas à consacrer par ses acclamations. Il a des millions pour son luxe

1. « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux. » Év. selon S. Matthieu, chap. v, vers. 10.

2.

« Le crime heureux fut juste, et cessa d'être crime. >>
Boileau, satire XI, éd. Lahure, p. 114.

et ses faciles bienfaits. Cet argent qui n'est pas à lui et qu'il répand sans s'appauvrir fait porter aux nues sa libéralité. Il fait régner une police exacte pour avoir un empire soumis. Il encourage les poëtes, qui donnent la renommée. Il fait d'utiles lois, parce qu'au pouvoir absolu rien n'est difficile. Si une révolte s'élève, il l'écrase sans quitter son palais; et la postérité, comme les contemporains, ajoute cela à sa gloire. Ainsi s'écoule sa vie, dans la puissance et la paix. Un trait de clémence, célébré par Cicéron en termes emphatiques, fait oublier les proscriptions.

L'histoire est pleine d'exemples qu'on ne saurait comment expliquer, si toute injustice consommée et irréparable n'était la preuve d'une vie future. Encore ne connaissons-nous que les grands drames; car il faut, pour qu'une cause devienne historique, qu'elle intéresse la multitude ou les hommes puissants. Une injustice obscure se consomme sans laisser de traces. Une hache tombe, un valet de bourreau efface les gouttes de sang, et la foule bruyante et affairée passe sur la place encore tiède sans songer ni à l'échafaud ni à la victime, sans demander si celui qui vient de mourir s'appelle Malesherbes ou Carrier. C'est alors qu'une fausse philosophie ramasse toutes ces iniquités et toutes ces douleurs pour en écraser la Providence. Mais nous qui avons la foi, et qui ne pouvons cesser de croire en Dieu, nous nous sentons forcés et contraints, en présence d'une injustice irréparable, de croire à l'immortalité de l'âme.

CHAPITRE II.

DE LA DESTINÉE DE L'AME APRÈS LA MORT.

<< Qu'il prenne donc confiance pour son âme, celui qui pendant sa vie a rejeté les plaisirs et les biens du corps comme lui étant étrangers et portant au mal, et celui qui a aimé les plaisirs de la science; qui a orné son âme, non d'une parure étrangère, mais de celle qui lui est propre, comme la tempérance, la justice, la force, la liberté, la vérité; celui-là doit attendre tranquillement l'heure de son départ pour l'autre monde, comme étant prêt au voyage quand la destinée l'appellera. » Platon, le Phédon, traduction de M. Cousin, t. I, p. 314.

Quand on a démontré l'immortalité de l'âme, il reste une tâche à remplir : c'est de rechercher quelle est la destinée qui nous attend au delà du tombeau. Ne pouvons-nous rien savoir de cet avenir si prochain; et l'espérance qui doit nous consoler et nous soutenir ici-bas a-t-elle pour objet une abstraction?

Les preuves mêmes dont on se sert pour établir la nécessité d'une autre vie, nous donnent le droit d'affirmer qu'après l'épreuve de cette vie terrestre, les méchants seront punis et les bons récompensés. Une punition, une récompense, ces mots ne suffisent pas à la curiosité humaine; ils suffisent à peine pour agir

sur notre sensibilité, et pour intervenir efficacement dans nos délibérations. C'est un des griefs du vulgaire contre la philosophie. On compte pour rien d'avoir démontré l'immortalité de l'âme, si l'on ne peut décrire de point en point ces terres inconnues vers lesquelles le temps nous entraîne.

C'est pour répondre à ce besoin de précision que, dès l'origine de la philosophie, et l'on pourrait presque dire avant l'origine de la philosophie, a été inventé le dogme de la métempsycose. Ce dogme est destiné à résoudre deux problèmes à la fois : celui de l'inégalité en ce monde, et celui des peines et des récompenses futures.

Lorsque les ressorts de la vie sont usés et que notre corps tombe en défaillance, l'âme qui s'en échappe passe dans un autre corps, et recommence sur la terre une nouvelle vie. Tel est le dogme de la métempsycose sous sa forme la plus simple. Si dans une première épreuve cette âme a bien usé de sa liberté, elle obtient en partage, pour une seconde vie, un corps mieux organisé, une vie plus heureuse; si au contraire elle a abusé des dons de la Providence, sa condition s'en ressent dans l'épreuve suivante, et elle descend quelques échelons de la hiérarchie. Ainsi nous faisons notre sort tout entier; et ce qui paraît tenir au hasard de la naissance est déjà une récompense ou une punition.

Cette doctrine a joué un grand rôle dans l'histoire. Il suffit de dire qu'on la retrouve en Grèce dans

l'école de Pythagore, en Égypte, dans l'Inde, dans la Chine, et qu'elle a été renouvelée de nos jours, à diverses reprises, par des philosophes que l'on pourrait en même temps, pour l'éclat de leur style et la richesse de leur imagination, appeler des poëtes.

Avant eux, la métempsycose ne pouvait guère passer que pour une légende, puisque, en plaçant icibas le théâtre de nos métamorphoses, elle nous faisait revivre dans des corps différents, au milieu de nos parents et de nos amis. Platon, dans sa République, a parlé de cette doctrine, mais avec le sourire sur les lèvres, comme un sage qui se joue et non comme un philosophe qui enseigne. Il nous conduit dans une vaste plaine où les âmes des morts sont appelées à choisir une condition nouvelle. Le choix reste libre; mais chacun apporte dans cette grande affaire ses goûts, ses passions ou son inexpérience. Platon nous montre Atalante changée en athlète, Épée, fils de Panopée, en femme industrieuse, Agamemnon en aigle, Ajax en lion, Thersite exilé dans le corps d'un singe. Une fois le partage fait, les juges des âmes les conduisent vers le Léthé, où elles perdent le souvenir de leur condition antérieure1. C'est la règle commune de ⚫ toutes les théories analogues; mais si par là l'hypothèse est rendue possible, elle devient en même temps inutile. Quand l'âme, en changeant de corps, a perdu tout

1. Platon, la République, liv. X, trad. de M. Cousin, t. X, p. 292;

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