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Pour certains hommes, expliquer, c'est tout uniment décrire; pour d'autres plus savants, c'est généraliser; pour d'autres enfin, les plus intelligents, c'est rattacher l'effet à la cause. Mais tout cela n'est pas comprendre, et personne ne comprendra jamais pourquoi une cause produit un effet; c'est beaucoup de savoir qu'elle le produit.

On peut se donner le spectacle de l'ignorance humaine dans la science humaine'. Un physicien qui voit tomber des corps se croira avec raison très-supérieur au vulgaire, parce qu'il sait le rapport de la vitesse à la masse. Qu'est-ce que ce rapport? C'est une généralisation, et conséquemment un fait; ce n'est pas une explication. Pour expliquer la chute des corps, après l'avoir mesurée et décrite, on a recours à l'hypothèse de la gravitation et de l'attraction. La découverte de cette hypothèse est un trait de génie, mais enfin l'attraction n'est encore qu'un fait, auquel se rattachent d'autres faits. Pourquoi cette attraction? qu'est-elle ? nous l'ignorons. Nous la devinons, nous l'affirmons, mais nous ne saurions la comprendre.

Il en est de même en chimie. Retrouver les corps

1. « Les religions positives imposent la croyance au mystère. C'est qu'en effet, l'incompréhensibilité d'un dogme n'est pas une raison suffisante pour le rejeter; ne pas comprendre un dogme, c'est tout simplement ne pas apercevoir la possibilité de son objet. Personne ne comprend la reproduction de la matière organique, et personne ne refuse d'y croire. » Kant, De la religion dans les limites de la raison, III partie, ad finem.

simples dans les corps complexes et composer des corps complexes à l'aide des corps simples, telle est, dans sa double forme, l'œuvre admirable de la chimie. Le monde croyait autrefois qu'il n'y avait que quatre éléments; la chimie a découvert les corps simples sous ces éléments prétendus; mais qu'est-ce qu'un corps simple? Voilà ce qu'elle ne sait pas. Elle peut les définir et les décrire, mais non les comprendre, car elle ne sait pas ce que c'est qu'une substance, une qualité et un mouvement. Quand les philosophes veulent raisonner au delà des phénomènes visibles de la composition et de la décomposition, parler des atomes, des forces simples, des qualités premières et secondes, des attributs inséparables, ils mêlent beaucoup d'idées ingénieuses à beaucoup d'idées bizarres, et n'arrivent qu'à démontrer que nous vivons au milieu des corps sans savoir ce que c'est qu'un corps.

Nous aurions ici bien plus beau jeu encore, si nous prenions l'homme même pour prouver à l'homme qu'il ne comprend aucun des êtres auxquels il croit, avec lesquels il vit, dont il fait chaque jour la description et l'histoire'. Quand je veux expliquer

1. « Certainement l'âme n'a point d'idée claire de sa substance. Elle ne peut découvrir en se considérant si elle est capable de telle ou telle modification qu'elle n'a jamais eue. Elle sent véritablement sa douleur, mais elle ne la connaît point; elle ne sait point comment sa substance doit être modifiée pour en souffrir, et pour souffrir une douleur plutôt qu'une autre. » Malebranche, Recherche de la vérité, liv. IV, chap. II, § 2.

le mouvement de mon doigt, je suis le mouvement du muscle jusqu'à un certain centre matériel où le mouvement a commencé. Puis-je comprendre cette transmission du mouvement? Je ne puis pas plus la comprendre que je ne puis la nier. Admettons que, pour l'expliquer, je trouve des analogies entre cette succession de mouvements et quelques lois de la mécanique : j'aurai fait une généralisation et une comparaison, voilà tout. N'est-il pas étrange de croire que nous comprenons une chose, parce que nous avons découvert qu'elle est analogue à une autre chose que nous ne comprenons pas? Le phénomène tout matériel de la transmission du mouvement est donc pour nous un mystère. Mais qu'est-ce que ce mystère auprès de celui-ci : Non-seulement le mouvement se propage dans toute la longueur de mon muscle, mais il y a, dans ce muscle, un premier point qui se meut sans avoir été mû? Ce n'est pas, à la vérité, un effet sans cause; non, c'est un mouvement matériel produit par une volonté immatérielle : c'est une action directement exercée par l'âme sur le corps. Qui comprend cela et qui peut espérer qu'on arrive jamais à le comprendre'? De grands esprits se sont amusés à expliquer l'action de l'âme sur le corps par la plaisante théorie des esprits animaux. L'absurdité de cette hypothèse n'a pas fait reculer

1. « Modus quo corporibus adhæret spiritus, comprehendi ab ho<<< minibus non potest; et hoc tamen homo est. » D. Augustinus, de Civitate Dei, lib. XXI, cap. x.

Descartes. Tel est le sort de la science humaine, quand elle veut sortir des limites que Dieu lui a tracées.

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Il est tout aussi difficile d'expliquer l'action du corps sur l'âme. On analysera parfaitement notre œil; on analysera le nerf optique et le cerveau; on découvrira les lois de la perspective; on suivra l'image, on en expliquera tous les caractères; c'est à merveille et après cela, qu'est-ce que c'est que voir? Quel rapport y a-t-il entre cette image et la vision? Hélas! et qu'est-ce que la couleur? Qu'est-ce que la forme? Le feu me brûle qu'y a-t-il dans le feu qui ressemble à ma brûlure? Je ne comprends ni les êtres qui m'entourent, ni les phénomènes par lesquels ils se manifestent, ni ma substance propre, ni mes facultés. Je vois, et je ne sais ce que c'est que voir. Je touche, mais je ne sais ce que c'est que toucher. Je souffre, sans comprendre la cause de ma douleur. Ma vie se passe au fond des abîmes, au milieu des mystères. Je ne suis entouré que d'inconnus; et je suis moi-même à jamais inconnu à mon propre esprit. Avec tout cela, je vis en paix, je parle en termes pompeux de la science, et quand je suis arrivé à démontrer l'existence de Dieu, et qu'on m'avertit qu'il est incompréhensible, je me récrie, et je me déclare offensé dans ma dignité d'être raisonnable et de phisosophe!

Il est vrai que l'incompréhensibilité divine a un

caractère qui lui est propre c'est d'être une incompréhensibilité plus incompréhensible que les autres. Ce n'est pas une raison pour la nier. Les autres êtres qui nous sont incompréhensibles ont entre eux des analogies; ils cessent de nous paraître étranges, à force de nous paraître ordinaires ; nous connaissons à fond leur puissance, nous savons ce qu'elle produit, en quel temps, suivant quelles lois; nous les comparons et nous les classons, ce qui nous empêche presque de songer à les comprendre. Dieu, au contraire, est seul. Il n'a point d'analogues, il ne rentre pas dans une classe, il ne peut être défini1. Il faudrait pour parler de lui une langue dont les mots ne fussent pas applicables aux créatures. Les principes mêmes paraissent changer de nature, quand on les rapporte à lui; car il est ce qui fonde les principes, dont tous les êtres placés hors de lui dépendent.

Non-seulement il n'y a rien dans le dogme de l'incompréhensibilité divine qui répugne à la raison humaine; mais, en y réfléchissant, n'y a-t-il pas quelque chose d'insensé dans la prétention contraire? Dans la vie, il y a des choses que nous comprenons de plain-pied; d'autres qui demandent, pour être comprises, de longues et persévérantes études; d'autres

1. « Summum Magnum, ex defectione æmuli, solitudinem quam<< dam de singularitate præstantiæ suæ possidens, unicum est. » Tertullian., adv. Marcion., lib. I, n° 4.

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