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même lorsqu'il est vide, qu'il est grand ou petit. Mais, si l'on y prend garde, toute appréciation de la grandeur d'un espace suppose une comparaison actuelle ou antérieure avec la grandeur d'un corps. C'est parce que nous avons l'idée d'une différence de dimension entre les corps que nous nous faisons par abstraction l'idée d'une différence de dimension dans l'espace.

Voici un bâton d'un mètre de longueur. On demande s'il est long ou petit: question absurde. Il est long, si on le compare à un bâton d'un décimètre; il est petit, si on le compare à un bâton de deux mètres. Une grandeur, ou, ce qui est la même chose, un espace, ou, ce qui est la même chose, un rapport, n'est et ne peut être que le résultat d'une comparaison. Changez les termes de la comparaison, le rapport change. Supprimez un des termes, le rapport est nul. S'il n'y avait au monde qu'un seul corps, ce corps ne serait ni grand ni petit. C'est pourquoi on ne sait ce qu'on veut dire quand on demande pour quelle raison Dieu n'a pas fait le monde plus grand; car du moment qu'il n'y a qu'un seul monde, il n'est ni grand ni petit. Mais, dans ce monde, il y a de grandes parties et de petites, parce qu'il y a plusieurs parties et qu'elles peuvent être comparées.

Aucun homme n'a trois mètres de hauteur. Supposons que Dieu, par sa volonté souveraine, donne à un homme une taille de trois mètres, tout le reste

demeurant ce qu'il est : cet homme est un géant, un monstre. Supposons que Dieu augmente à la fois tous les hommes dans la même proportion, sans rien changer aux autres êtres : l'harmonie de la nature est troublée. Mais si du même coup, par le même acte, il augmente proportionnellement tous les êtres, qu'y aura-t-il de changé? Rien absolument, pas même la dimension des êtres. Si aucun rapport n'est changé, aucune grandeur n'est changée. Ainsi, encore une fois, la grandeur, et l'espace qui est une grandeur abstraite, ne sont que des relations. Nous connaissons les dimensions de deux façons,

par la vue et par le tact. L'expérience nous apprend à établir une relation entre la dimension aperçue et la dimension touchée, et à juger de l'une par l'autre. Si aujourd'hui Dieu disposait notre œil de manière à nous faire voir toutes les dimensions doubles, nous nous apercevrions du changement par le souvenir; mais s'il eût fait cette disposition dans notre œil dès la première fois que nous avons vu, toutes nos impressions, malgré cette différence, seraient les mêmes qu'elles sont aujourd'hui. En un mot, en fait de grandeur, il n'y a, il ne peut y avoir de vrai que la proportion.

Les mêmes réflexions s'appliqueraient au temps. Le temps est l'ordre de succession, comme l'espace est l'ordre de contiguïté.

S'il n'y avait pas de grandeur, il n'y de grandeur, il n'y aurait pas

d'espace. S'il n'y avait qu'une grandeur, il n'y aurait pas encore d'espace. S'il naît une seconde grandeur, la comparaison est possible, et aussitôt naît l'idée d'espace, et pour ainsi dire l'espace lui-même.

Si tout était immobile, il n'y aurait pas de temps. Si tout se mouvait à la fois, dans le même ordre, il n'y aurait pas encore de temps; mais qu'une seule chose se meuve, une autre restant immobile, alors le temps existe.

Et même nous nous exprimons mal en supposant une seule grandeur, un seul mouvement uniforme. Sans comparaison, et par conséquent sans dualité, il n'y a ni grandeur, ni mouvement, ni temps, ni espace.

L'habitude, plus commune qu'on ne pense, de réaliser les abstractions, fait que l'on suppose un temps et un espace indépendants de la dualité. On dit : « Avant qu'il y ait une étendue, ou une dualité, il faut un espace capable de la contenir; et avant qu'il se produise un changement, il faut un temps capable de le contenir. » Mais c'est une double erreur. Ce temps et cet espace vides seraient tout simplement le néant. Ni l'espace ni le temps ne sont des contenants réels. C'est dans notre pensée que nous leur faisons jouer ce rôle de contenants, parce que nous concevons des espaces fictifs et des durées fictives, mesurés par d'autres étendues et d'autres mouvements. Et si l'espace manque au développement d'un

corps, ou le temps à son histoire, ce n'est pas en réalité que le temps ou l'espace fassent défaut, car ils ne sont rien; c'est que quelque autre corps vient restreindre l'expansion du premier. Nous parlons mal, et par suite nous pensons mal. Nous nous créons deux fantômes, dont nous sommes ensuite accompagnés à toute heure. La philosophie devrait nous apprendre à avoir horreur du vide, comme on le disait autrefois de la nature. Le temps et l'espace, considérés indépendamment des corps, ne sont que les deux formes du vide; ou, disons mieux, c'est un pur néant.

Le temps et l'espace ont une parenté étroite. Ils diffèrent entre eux comme la longueur et l'épaisseur; ce sont les deux dimensions d'une même idée. Ce qui engendre l'espace, c'est l'étendue; ce qui engendre le temps, c'est le mouvement. Donc l'un et l'autre sont engendrés par la dualité; car l'étendue et le mouvemeut sont compris dans ce terme commun : la dualité, ou la forme la plus simple de la multiplicité.

Ainsi, point d'idée de temps et d'espace, sans l'idée de dualité; et point de temps ni d'espace, sans dualité. Tout ce qui tombe dans le temps et dans l'espace implique dualité, mobilité, divisibilité, différence. La langue de la métaphysique, chez les Grecs, ne distinguait pas entre ces mots : la matière, le multiple, le mobile, l'indéfini, l'imparfait; et dans sa précision pleine de sens, elle appelait la matière, l'autre ou le divers par excellence. Platon, Aristote

disaient le même et l'autre, ou bien l'immuable et le mobile; comme nous dirions aujourd'hui: Dieu et le monde.

Le temps et l'espace n'étant, comme nous l'avons vu, que des relations, il n'est pas étonnant qu'on se trouble et qu'on se perde dans ses pensées quand on veut raisonner sur leur nature, comme s'ils étaient des êtres réels, des contenants. On trouve en eux trois difficultés principales : l'une en les divisant, parce qu'ils s'amoindrissent jusqu'à l'infiniment petit; l'autre en les multipliant, parce qu'ils croissent jusqu'à l'infiniment grand; et la troisième en les isolant, parce qu'une fois qu'on les considère en faisant abstraction du monde, on est tenté de les déclarer infinis par l'absence nécessaire de limites. Examinons à ce triple point de vue la doctrine étrange de la réalité métaphysique du temps et de l'espace.

L'hypothèse de la divisibilité à l'infini a rempli de sophismes célèbres l'histoire de la philosophie. Si l'étendue est divisible à l'infini, toutes les dimensions sont égales, dit-on, car elles ont toutes le même nombre de parties; ou plutôt les parties contenues dans une grande étendue, et les parties contenues dans une petite étendue, sont également incommensurables.

Si l'on inscrit un carré dans un cercle, il n'y a aucune raison de soutenir que le cercle contient plus de parties que le carré.

Les parties de l'étendue divisible étant elles-mêmes

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