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est infini, n'est ni dans le temps ni dans l'espace : il est en dehors, il est au-dessus. Donc il nous est incompréhensible.

Pour nous en convaincre analytiquement, après avoir prouvé que Dieu n'est ni dans le temps ni dans l'espace, prenons quelques-uns de ses attributs, et examinons s'ils peuvent avoir de l'analogie avec les facultés humaines. Choisissons, pour exemple, l’intelligence.

Dieu est-il intelligent? Nous avons vu qu'il l'est, et nous nous sommes permis de dire qu'il y avait en lui quelque perfection que nous désignerions par ce mot. Il ne se peut pas qu'il ne connaisse pas le monde, puisqu'il l'a fait et qu'il le gouverne; et il ne se peut pas qu'il soit privé d'intelligence, puisqu'il vaut mieux connaître que de ne pas connaître. Du moment qu'il connaît, il connaît d'une façon parfaite; et cela suffit pour que nous, intelligences imparfaites, et limitées, nous n'ayons pas la compréhension de l'intelligence divine. Mais, en outre, il suit de notre imperfection, que nous sommes mobiles, c'est-à-dire soumis aux conditions du temps et de l'espace; et il suit de la perfection de Dieu qu'il est immuable, ou infini, c'est-à-dire au-dessus du temps et de l'espace. Or, comment une intelligence nécessairement mobile comprendrait-elle l'intelligence nécessairement immuable?

N'est-il pas vrai que notre esprit passe incessam

ment d'une idée à l'autre? « Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d'un bout vers l'autre. Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte1. » Un esprit brillant est celui qui passe rapidement à des idées inattendues et éloignées; un esprit solide est celui qui retrouve au besoin les idées qu'il a antérieurement conçues; un esprit vaste est celui qui embrasse plusieurs idées à la fois; mais, s'il y a du plus ou du moins sous ce triple rapport entre les intelligences humaines, il n'en est pas qui conserve présentes toutes ces idées, qui les embrasse simultanément, ou qui saisisse du même coup d'œil un grand nombre d'idées nouvelles. Nous sentons, pour ainsi dire, notre faiblesse dans notre puissance; car, si nous voulons acquérir une idée, nous ne le pouvons qu'à la condition d'en perdre une autre. Nous appelons cela concentrer nos forces. Cette opération est précisément la même que fait un général d'armée, quand il dégarnit les ailes pour fortifier le centre de bataille. Qui n'a pas ce pouvoir de concentration est un faible esprit, et cependant, se concentrer ainsi, n'est-ce pas s'amoindrir; se préparer par des sacrifices à une lutte inégale? Tout effort pour accélérer, fortifier ou étendre l'action de la pensée, nous impose une fatigue; redoublons l'effort, la fatigue devient intolérable; à un certain degré, nous

1. Pascal, Pensées, édit. Havet, p. 13.

sentons la nécessité de nous arrêter, d'aller plus lentement. Il semble que nous luttions moins contre la difficulté que contre le temps; les idées que nous voulons acquérir, nous pouvons y atteindre avec le temps; mettons-y le temps nécessaire. Cette intelli– gence, qui va vite, a parcouru le champ en un jour; cette autre, qui va lentement, a besoin de deux jours et peut-être d'une année. Non-seulement il y a des différences naturelles, mais il y en a d'artificielles. Parce que j'ai étudié et parce que je connais les méthodes, j'arriverai plus vite que vous au résultat. N'en est-il pas de même dans le monde physique? II a toujours été possible à l'homme d'aller de Paris à Saint-Pétersbourg : il fallait pour cela plusieurs mois, il ne faut plus que quelques jours; voilà le progrès. C'est une victoire sur le temps.

Ce qui me condamne ainsi à ne connaître que successivement, c'est que je suis moi-même dans la durée. Or la durée étant divisible, chaque réalité n'a qu'un instant indivisible suivi d'une série indéfinie de nouveaux instants indivisibles. Cet instant indivisible s'appelle le présent. Pendant que j'écris ce mot, je ne suis déjà plus l'homme que j'étais en commençant de l'écrire; je me rappelle que je l'ai été : je suis autre. Au fond de ma conscience, quelque chose m'atteste invinciblement mon identité; mais tout mon être n'est que de passer et de se souvenir. Le moment qui vient n'est pas encore; le moment qui était n'est plus. Je suis comme suspendu

entre ces deux néants, et chaque heure, chaque minute, chaque seconde m'emporte avec la rapidité du torrent. J'ai la mémoire et quelques facultés de prévoyance; avec cela je m'efforce de suivre la trame de ma vie; mais ma conscience seule est nette; la mémoire, l'imagination, l'induction, ne servent trop souvent qu'à me rendre mes ténèbres visibles. Ainsi je sens partout en moi le mouvement, et du même coup, la défaillance.

Regardons plus attentivement une faculté très-importante de l'homme, qu'on appelle le raisonnement. Le raisonnement nous donne le pouvoir d'atteindre, au moyen de deux idées, une troisième idée qui, sans le secours de ce procédé, serait hors de notre portée. Comme on sait, il est rare qu'un raisonnement, partant de deux idées communes, arrive à une troisième idée inattendue, extraordinaire. Les choses ne vont pas si vite. De l'humble état où nous sommes quand nous commençons à raisonner, nous arrivons par degré, successivement et lentement, à l'état de savants; c'est-à-dire que nous faisons, non un raisonnement, mais une longue série de raisonnements appuyés l'ún sur l'autre. Mais quand plusieurs raisonnements sont appuyés l'un sur l'autre, n'est-ce pas comme un seul raisonnement, dont le principe est le principe du premier raisonnement, et la conclusion celle du dernier raisonnement? Or, qui marque le nombre de raisonnements intermédiaires par lesquels un esprit doit passer pour aller de ce premier

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point à ce dernier point? Cela est relatif à la force ou à la faiblesse de l'esprit qui raisonne question de temps. Votre esprit est puissant? Vous irez bien sans intermédiaire de ce principe à cette conséquence. Il est faible? Divisons; au lieu d'un raisonnement, faisons en quatre. Il n'y a pas de maître qui ne puisse constater cela dans sa pratique. Je fais une démonstration, et je vois que je ne suis pas compris : souvent je me borne à répéter, pour faire appel à une attention plus concentrée ou plus longue; mais presque toujours, je développe, c'est-à-dire je vais à plus petits pas, et par de plus petits raisonnements. C'est encore ici comme dans le monde physique; car la tortue aussi arrive au but. Se connaître, se juger, se mesurer, c'est savoir de combien de temps on a besoin. On a dit que le génie est une longue patience; en d'autres termes : le génie est une grande victoire sur le temps; et cette victoire peut être remportée d'emblée par les esprits prompts, ou à la longue par les esprits persévérants. Montesquieu a dit avec profondeur: « Le succès de la plupart des choses dépend de savoir combien il faut de temps pour réussir. » Descartes, à la fin du Discours de la Méthode, ne se plaint pas de la faiblesse de l'esprit humain, mais de la brièveté de la vie humaine.

Ce n'est pas tout que d'acquérir des idées; il importe de les conserver. La nature y a pourvu; et tout en imposant des limites à notre pouvoir d'acquérir et de conserver des idées, elle nous a donné des res

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