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faite. Dieu m'a fait pour tendre toujours vers lui par toutes les forces de mon intelligence, de mon amour et de ma volonté, et pour rester toujours infiniment au-dessous de lui. Le premier mot de la philosophie doit être de proclamer qu'il existe, et le second d'avouer qu'il est incompréhensible. Nous savons de lui tout ce qu'il faut pour l'aimer et pour l'adorer.

L'esprit humain a de la peine à se résigner à l'impuissance. I aspire à comprendre Dieu, et il n'aboutit qu'à l'abaisser, pour se faire illusion. Il lui donne nos sentiments, nos passions, nos besoins; et, pour comble, il lui assigne une puissance analogue à la puissance humaine, c'est-à-dire, une simple puissance de transformation. Ce Dieu humain ne peut plus créer; il n'est plus que la substance du monde : telle est l'origine du panthéisme. Le bon sens repousse cette conclusion comme il a repoussé le principe; il ne croit ni à un Dieu analogue à l'homme, ni à un Dieu identique au monde. Le panthéisme n'est que la forme savante de l'athéisme. Le monde divinisé est le monde sans Dieu. L'idéal de l'humanité n'est pas cette substance inconnue d'où sort à la fois, par une nécessité aveugle, tout ce qui est bien et tout ce qui est mal. Il est contre la raison de prétendre que le mal est l'expression nécessaire de la perfection.

Le panthéisme nous ôte Dieu en le confondant avec le monde; une autre doctrine nous l'ôte en le rendant étranger au monde. Il est sans doute difficile de comprendre que celui qui est la perfection par essence, et qui se suffit à lui-même, daigne s'abaisser jusqu'à penser à nous; mais nous savons qu'il a pensé à nous, puisqu'il nous a créés : la création nous répond de la Providence. Pourquoi Dieu se détournerait-il de son œuvre? Il ne peut renoncer à ses desseins, ni s'arrêter dans leur accomplissement, comme un ouvrier malhabile. Cette séparation, qu'on voudrait

établir entre l'action de créer le monde et l'action de le gouverner, tient à la constante illusion par laquelle nous rabaissons Dieu aux conditions de notre existence. Dieu est éternel; il ne dure pas, il ne forme pas un dessein après un autre ; il embrasse dans la même volonté la création et le gouvernement du monde. Nous sommes forcés de distinguer ce qui se confond en lui, parce que notre faible esprit, dont l'horizon est borné et les idées successives, ne peut penser et parler que par le secours de l'analyse.

Ainsi, il y a au-dessus de nous un Dieu qui nous a créés et qui nous gouverne. Quelle place a-t-il faite à l'homme dans la création? Pour le savoir, nous n'avons qu'à nous regarder, car Dieu ne fait rien en vain, et il proportionne exactement les moyens au but qu'il se propose. Tous les autres êtres ne sont que des parties d'un tout; l'homme seul est un centre; il se connaît, il connaît sa force et il en dispose librement. Cela seul est déjà une garantie d'immortalité, car la vie que Dieu me donne n'a rien de commun avec l'existence de ces créatures ignorantes d'ellesmêmes, qui n'ont plus de raison de subsister dès qu'elles ont rempli leur tâche d'un jour, ou fait place à un autre individu de leur espèce. Pour moi, je sais que ma durée ne saurait être indifférente à Dieu, puisqu'elle ne m'est pas indifférente à moi-même. Mon esprit est évidemment fait pour penser à ce qui est durable, permanent, éternel, mon cœur est enivré et comme possédé par l'amour de l'infini. Je suis libre sous une loi ; cette loi, quand je la considère, a tous les caractères de l'infaillibilité et de l'éternité. Elle appartient à un autre monde, et elle m'y rattache. Elle m'impose presque toujours des sacrifices, ce qui prouve qu'elle n'a pas été faite en vue de la terre, et que mon existence actuelle n'est qu'une épreuve. Une fois en possession de cette pensée que nous avons été placés ici-bas

et

pour la lutte, et que nous sommes attendus ailleurs pour la récompense, je dédaigne la douleur et je supporte l'injustice sans me plaindre, parce que je crois à l'immortalité, comme au devoir et à la Providence. Il y a entre ces trois grands dogmes une telle solidarité que je ne puis en accepter un, sans accepter aussi les deux autres. Je crois donc, par les seules lumières de ma raison, que Dieu est mon créateur; je crois que, pendant cette vie, je remplis sous ses yeux la tâche qu'il m'a donnée, et je crois qu'il m'attend au terme de la vie pour me récompenser ou me punir. Voilà ma foi. Rempli de cette pensée, je ne puis connaître la solitude, ni le désespoir. Dieu me voit, Dieu m'attend. Je vois le monde invisible par les yeux de mon entendement. Ce monde-ci peut m'écraser; ce n'est qu'une douleur d'un jour, dont je serai payé au centuple. Je sais que la carrière de la vertu est pénible, que le vice et quelquefois le crime sont des éléments de succès. Je ne demande rien au monde que l'occasion de lutter et de mériter. Mon repos, ma patrie, mon Dieu sont ailleurs.

Mais comment puis-je mériter? En obéissant à la loi, en faisant le bien. Ma loi est de conserver et de développer mes facultés, d'aimer et de servir mes compagnons d'épreuve, d'aimer et d'adorer l'auteur de mon être. C'est une douce loi, à quelque sacrifice qu'elle me condamne, car l'amour est dans tous ses préceptes. On demande comment je puis adorer Dieu? N'ai-je pas le devoir? Faire le bien, c'est adorer. Aimer, travailler, se dévouer, c'est adorer, c'est prier. Je puis aussi élever ma pensée et mon cœur vers Dieu, le remercier de ses bienfaits, et lui demander la seule grâce qui importe, la grâce de marcher toujours dans la voie droite, et de n'être pas un citoyen inutile de ce monde.

Telle est la religion naturelle, et tel est le culte naturel. C'est bien peu; c'est tout pour qui saurait s'en pénétrer. J'aurais voulu exposer cette doctrine, dans ce

livre, avec simplicité, et pourtant avec force; résumer les plus solides arguments qui prouvent la Providence et l'immortalité de l'âme, et montrer comment nous pouvons nous rendre maîtres de notre avenir par le bon usage de la liberté; répondre aux objections sérieuses, e dédaigner les sophismes; rendre, à force de clarté, la science même accessible au sens commun, dont elle ne diffère souvent que par une forme plus abstraite. J'aurais voulu aussi marquer d'une main ferme la limite qui sépare ce que nous pouvons connaître de ce que nous ne saurions comprendre; car, le plus souvent, c'est pour nous être trompés, par orgueil, sur la portée de notre intelligence, que nous nous perdons dans des problèmes insolubles. Mais j'aurais voulu, par-dessus tout, inspirer à certaines âmes attristées et désolées le sentiment religieux, sans lequel il n'y aura jamais ni douce loi, ni société fraternelle, ni vertu vraiment solide. Si je pouvais ranimer une espérance, relever un courage, raffermir une conscience ébranlée, consoler, pacifier un cœur souffrant, je croirais que ces humbles pages n'ont pas été entièrement perdues.

PREMIÈRE PARTIE

LA NATURE DE DIEU

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