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CHAPITRE III.

EXAMEN DES OBJECTIONS TIRÉES DE L'IMMUTABILITÉ

DIVINE.

« Je crois que Dieu est immuable. Il me paraît évident que c'est une perfection que de n'être point sujet au changement. Cela me suffit. Quand même je ne pourrais pas accorder l'immutabilité de Dieu avec sa liberté, je crois qu'il possède ces attributs, puisqu'il est infiniment parfait. » — Malebranche, Huitième entretien sur la métaphysique, § 2.

Jusqu'ici nous avons considéré la Providence par son côté le plus accessible, et, en quelque sorte, le plus familier. Nous avons cherché dans le monde les traces de la sagesse et de la bonté divines; et l'objection que nous avons discutée est celle qui se présente la première, et qui frappe les esprits les moins attentifs, l'objection du mal.

Nous n'avions pas besoin de regarder le monde pour savoir que Dieu le dirige. Nous savons que Dieu existe, et quoique nous ne puissions comprendre sa nature, nous savons qu'il est parfait, et qu'à ce titre, il est bon, intelligent, puissant. Or, il est impossible qu'un être essentiellement bon aime le désordre, ou qu'un être essentiellement intelligent produise une œuvre sans la disposer suivant un plan, ou enfin qu'un être tout puissant ne réalise point le plan conçu par son intelligence. Ainsi les données que nous avons déjà sur la nature de Dieu nous suffisent pour affirmer qu'il y a de l'ordre

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dans le monde. Et qu'on ne dise pas que nous nous sommes servis de cet ordre pour établir l'existence de Dieu; car nous n'avons pas besoin d'autre chose pour croire à un Dieu parfait, que de ce que nous trouvons dans notre pensée et dans notre cœur. Nous acceptons, comme par surcroît, les arguments que le monde nous. fournit.

Mais, soit que nous arrivions directement, par l'idée de la perfection divine, à affirmer la Providence, ou que nous suivions la route plus longue et plus accessible de la contemplation des merveilles de la nature, n'y a-t-il pas une contradiction entre l'idée de Providence et l'immutabilité absolue que nous sommes contraints d'attribuer à Dieu ?

Notre pensée est si faible quand elle s'applique à ces matières, qu'elle se contredit même dans les développements qu'elle donne à l'idée de perfection. Car tantôt elle ne veut voir dans la perfection que l'unité immobile, et tantôt elle y veut voir tous les attributs de la Providence, la bonté, la prévoyance, la sollicitude, l'action incessante. Il en résulte en quelque sorte deux philosophies opposées, entre lesquelles nous devons chercher une conciliation, puisqu'elles paraissent vraies et nécessaires l'une et l'autre. Pénétrons-nous bien d'abord de la nature de la difficulté, avant de tenter de la résoudre.

Il est incontestable que quand nous pensons à Dieu en partant de l'idée de la perfection absolue que nous trouvons au fond de notre raison, et quand nous nous élevons à lui à l'aide de l'idée de cause, en prenant dans le monde notre point de départ, nous arrivons à des spéculations d'une nature très-différente, et qui ont cha

cune leur inconvénient. La première méthode nous conduit à un Dieu immuable, dans lequel il n'y a place pour aucune imperfection et pour aucune limite; et la seconde, à un Dieu plus accessible et plus humain, dont la majesté attire notre amour sans effrayer notre intelligence, et dont nous croyons sentir en quelque sorte au-dessus de nous la main paternelle. La difficulté est égale dans les deux systèmes : là pour descendre jusqu'à la création; ici pour monter jusqu'à l'unité. Le Dieu immuable de la métaphysique ne peut penser qu'à luimême, il ne peut aimer que lui-même, son action se termine en lui-même. S'il pense au monde, s'il l'aime, s'il le produit, s'il le gouverne, le temps, l'espace, et par conséquent l'imperfection pénètrent en lui: il dégénère de son unité absolue. Pour qu'une action soit grande, il ne suffit pas qu'elle soit produite par une pleine puissance; il faut que l'effet en soit grand de sorte que la petitesse du monde abaisse Dieu et l'amoindrit. Au contraire, le Dieu-cause de la philosophie du sens commun aime le monde, s'en occupe, le gouverne; il répond par des bienfaits à nos prières; il peut donc être touché, nous avons dans notre bassesse quelque action sur cette grandeur infinie. Ainsi son immutabilité n'est pas entière; son éternité, que le monde traverse, n'est pas indivisible; il ne se suffit pas à lui-même, puisqu'il lui faut un témoin et une preuve de sa gloire. Que résoudre dans un tel antagonisme? Faut-il renoncer à la notion de la perfection, qui entraîne inévitablement l'immutabilité, ou à la notion de la Providence, qui semble rendre l'immutabilité impossible?

Nous retrouvons ici par un autre chemin l'éternel et peut-être l'unique problème de la philosophie: la con

ciliation de l'un et du multiple. C'est, au fond, le problème de la création; mais nous le voyons ici plus manifeste en quelque sorte, puisqu'il paraît au premier abord que le gouvernement assidu et persévérant du monde implique plus de mobilité et plus de diversité que l'acte unique de la création. Nous regardons ce problème comme insoluble. L'effort de la philosophie doit tendre à en bien poser les termes pour éviter toute équivoque, et à montrer nettement jusqu'où va notre science, où commence pour nous l'incompréhensible. Loin de nuire à la raison en lui retranchant ainsi ce qui la surpasse, on fortifie son autorité dans les matières qui tombent légitimement sous sa juridiction. En toutes choses l'ignorance même est préférable à la fausse science 1.

L'histoire nous offre quelques essais de conciliation entre l'unité de Dieu et sa providence. Nous ne reviendrons pas sur la doctrine des panthéistes, déjà réfutée. Aristote avait proposé un système ingénieux, qui a servi de type à toutes les écoles dont la théologie repose sur l'hypothèse d'un Dieu indifférent. Selon lui, Dieu est et demeure immuable; rien ne vient troubler son immutabilité, aucune volonté, aucune pensée. Il ne pense qu'à lui; il n'aime, il ne désire, il ne veut rien en dehors de lui. Voilà bien le Dieu spéculatif de la métaphysique. Ce Dieu, qui dédaigne de connaître le monde, et par conséquent de le gouverner, est pourtant la cause de

1. « Je suis plus sage que cet homme; car il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir quoiqu'il ne sache rien, et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. » Platon, Apologie de Socrate, trad. de M. Cousin, t. I, p. 73.

tout l'ordre que nous y voyons. C'est que le monde est un être éternel, ou, pour parler comme Aristote, un animal dont la nature est d'aimer le beau et le bien, et de tendre vers lui; de sorte que Dieu le gouverne en lui servant d'étoile, sans sortir de son immutabilité1. La première difficulté de ce système, c'est qu'il suppose l'éternité de la matière, et de la matière organisée; la seconde, c'est que ce Dieu immuable et indifférent, dont on veut faire l'unique objet de l'amour, n'a plus rien dans sa nature qui nous le fasse aimer.

Les alexandrins ont une solution beaucoup plus profonde dans la théorie des hypostases. Ils supposent un seul Dieu en trois hypostases, dont la première est l'unité immuable de la métaphysique, la troisième est le père du monde, et la seconde leur sert de lien.

Cette hypothèse expliquerait tout, si elle pouvait ellemême être expliquée, et surtout si elle pouvait être prouvée.

On comprend qu'elle se rencontre dans la doctrine panthéiste de l'école d'Alexandrie; des panthéistes seuls pouvaient l'admettre.

Nous avons vu que la principale objection des panthéistes contre le dogme de la création, c'est que Dieu étant l'unité absolue, il ne peut produire le monde, qui est multiple; et qu'après avoir développé cette objection, et insisté sur la perfection de l'unité divine qui ne peut produire le monde sans déchoir, quand ils viennent à proposer leur solution, ils n'ont pas autre chose

1. « Voici comment meut ce moteur immuable: le désirable et l'intelligible meuvent sans être mus.... Le premier moteur meut en tant qu'aimé. » Métaphysique, liv. XII, chap. VII.

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