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de leur polémique, et voudraient tout ramener à une simplicité que la science ne comporte pas. J'essayerai de montrer en quoi consiste leur erreur, et je ferai voir, en remontant un peu haut, par quelle suite de malentendus la philosophie spiritualiste se trouve à l'heure qu'il est traitée en ennemie par les partis les plus opposés de la presse militante.

Si je prononce le nom de la querelle de la raison et de la foi, personne ne croira que je veuille en faire l'histoire dans une courte préface. Cette querelle est presque aussi vieille que le monde; elle est très-antérieure à la naissance du christianisme. On ne peut guère espérer de la voir jamais terminée, car il y aura toujours, selon l'expression de Malebranche, des esprits qui veulent voir évidemment, et d'autres qui veulent croire aveuglément, et tant que la nature humaine subsistera, les hommes ne cesseront de vouloir imposer aux autres ou leur foi ou leur scepticisme.

Cette querelle de la raison et de la foi est envisagée, selon la nature des esprits, de trois différentes manières.

Un certain nombre de philosophes chrétiens pensent que la philosophie et la religion sont également solides, également vraies, qu'elles doivent s'accorder sur tous les points lorsqu'elles sont bien entendues l'une et l'autre, et qu'il n'y a de lutte réelle qu'entre une fausse religion et une fausse philosophie.

Cette opinion a une conséquence qu'il ne faut pas perdre de vue. Être chrétien, ce n'est pas seulement accepter pour aujourd'hui les vérités fondamentales du

christianisme; c'est promettre de les accepter toujours. Or, la philosophie repose sur le libre examen; elle est donc tout au moins susceptible de changement, car elle s'avance peu à peu vers la vérité, et ne la découvre pas tout entière du premier coup. Orthodoxe aujourd'hui, elle peut cesser de l'être demain. Un philosophe qui veut rester réellement chrétien, doit se tenir prêt à renoncer à la raison, le jour où la raison lui paraîtra s'écarter de l'orthodoxie. Cette déclaration de conformité a donc pour corollaire indispensable la subordination de la raison à la foi; en d'autres termes, un chrétien peut être philosophe, pourvu que, suivant la formule consacrée, il considère la philosophie comme la servante de la théologie.

Parlons maintenant des philosophes qui ne reconnaissent d'autre autorité que celle de la raison. Ceux-là se divisent encore en deux classes. Les uns, parmi lesquels je me range, croient la forme religieuse et la forme philosophique destinées à être toujours séparées, et à subsister toujours indépendantes l'une de l'autre, parce qu'elles répondent à deux besoins différents, mais réels de la nature humaine 1; et les autres, regardant le principe d'autorité et le principe de liberté, non comme différents, mais comme ennemis, n'admettent ni conciliation ni coexistence, et font reposer tout l'espoir de l'humanité sur la suppression totale, sur l'extinction absolue du principe qu'ils repoussent.

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1. Il y aura toujours des pélagiens et toujours des catholiques; et toujours combat. Pensées de Pascal, art. XXIV, 12. Ed. Havet, p. 301.

Des trois opinions contraires que je viens de résumer, la première représente la paix, et la troisième la guerre. La seconde ne comporte tout au plus qu'une controverse. Or, ce n'est ni de la paix, ni de la simple controverse que je veux parler ici, mais de la guerre.

Elle est assez vive en ce moment. On doit se rappeler l'origine de cette dernière campagne. La révolution de juillet avait amené une trêve; le principe de la religion d'État était aboli, la liberté des cultes reconnue. La raison se tenait donc pour satisfaite. Les églises de leur côté, non-seulement tolérées, mais respectées et favorisées, demeuraient en paix ; et l'on se bornait de part et d'autre à des controverses sans violence et sans aigreur.

La querelle recommença sur la question de l'enseignement.

L'État, sous la Restauration et le gouvernement de juillet, avait conservé des institutions impériales les priviléges universitaires. Il en est de l'Université comme de tous les rouages de la centralisation; c'est un excellent auxiliaire pour ceux qui s'en servent, et un terrible obstacle pour ceux qui en souffrent. Une portion du clergé se mit à réclamer la liberté d'enseignement; mais au lieu de se borner à la demander comme un droit civil, et comme une conséquence des institutions libérales que possédait alors le pays, on recourut à un moyen peut-être plus habile, mais à coup sûr moins honorable: on combattit l'Université par la calomnie.

Elle se défendit d'abord assez peu. Ses chefs décla

rèrent hautement qu'ils n'approuvaient pas qu'elle prît la parole dans sa propre cause. Elle fut soutenue dans les journaux et à la tribune, mais comme institution politique, et par des hommes étrangers pour la plupart à son esprit et à son enseignement.

Il planait d'ailleurs sur cette question une équivoque très-fâcheuse, et qui n'était pas imputable au clergé. Le clergé, par la nature de son institution, représente le principe d'autorité; l'État, tel qu'il était alors constitué, l'Université par conséquent, et les philosophes qui défendaient l'Université, devaient représenter le principe de liberté. Ce fut le contraire qui eut lieu. On vit les ultramontains réclamer les droits de la liberté, et les philosophes en démontrer les périls. On ne rechercha pas dans le public si le clergé était dans son droit en se montrant libéral, ni s'il avait eu souci de la liberté d'enseignement lorsque sous la Restauration l'Université lui appartenait. On n'écouta pas les philosophes disant que le clergé ne voulait la liberté que pour lui, et qu'avec ses immenses ressources il écraserait facilement la concurrence laïque, ou même l'empêcherait de naître. Ce grand nom de liberté, qui avait alors toute sa puissance, conquit de nombreux partisans à ceux qui l'invoquaient, et il fut bientôt évident que l'Université, soutenue par le gouvernement, avait le dessous dans l'opinion.

La solution, pour le dire en passant, était très-simple. Il fallait donner la liberté parce qu'elle est de droit, et maintenir à côté d'elle l'Université, pour que la liberté

ne devint pas un monopole entre les mains de la seule grande association qui subsiste en France. Mais tout cela est aujourd'hui une vieille histoire. Peut-être s'y intéressera-t-on de nouveau demain. Restreints par l'Assemblée constituante, les priviléges de l'Université ont été rétablis et fortifiés quelques années après, sans que personne parmi les plus ardents défenseurs de la liberté d'enseignement ait daigné y faire attention. C'est qu'après plus de dix ans de luttes acharnées la question d'écoles n'était plus de part et d'autre qu'un prétexte. Les ultramontains en étaient à combattre la raison, le droit d'examen, la liberté de conscience; et leurs adversaires, après avoir attaqué les jésuites et repris peu à peu les allures de l'Encyclopédie, mouraient d'envie d'attaquer le christianisme.

Ces adversaires, qui sont-ils? Ce ne sont plus les universitaires, qui (bien malgré eux) ont complétement disparu avant l'Université elle-même; mais les voltairiens, les matérialistes, les athées, ou, comme ils s'appellent, un peu jésuitiquement peut-être, les sceptiques. De même que du côté du clergé, ce sont les ultramontains qui parlent le plus haut, ce sont aussi de l'autre. côté les voltairiens qui font le plus de bruit, et qui vont les premiers au feu. Ce sont eux qui, dès l'origine du débat, ont fait une diversion si favorable aux intérêts du clergé en se mettant à attaquer de concert avec lui la philosophie universitaire qu'ils qualifiaient de philosophie officielle. Ils étaient conduits alors, car il ne nous en coûte rien d'être justes, par un sentiment honnête

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