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philosophie des idées, que quand nous voyons les créatures en Dieu ce n'est pas Dieu que nous voyons, mais seulement les créatures; qu'il faut dire absolument tout le contraire, que quand nous voyons les créatures en Dieu, c'est Dieu uniquement que nous voyons et nullement les créatures. Car, si celui qui voit le soleil en Dieu ne voyait pas Dieu, mais le soleil que Dieu a créé, ce serait le soleil matériel qu'il verrait, puisque c'est le soleil matériel que Dieu a créé. Or, selon cet auteur, celui qui regarde le soleil ne voit point le soleil matériel, mais seulement le soleil intelligible; il ne voit donc que Dieu et non pas le soleil que Dieu a créé.

CHAPITRE XVIII.

De trois préjugés qui pourraient empêcher qu'on ne se rende si facilement à ce qui a été dit contre la nouvelle philosophie des idées, dont le premier est l'estime que l'on fait de celui qui en est l'auteur.

Je me persuade que l'on verra maintenant que j'ai eu raison de ne me pas amuser à répondre aux preuves dont cet auteur si ingénieux et si subtil a cru avoir bien appuyé le sentiment qu'il a que nous voyons toutes choses en Dieu. Cela aurait été nécessaire si on n'avait eu à lui opposer que des raisons vraisemblables, car on ne peut juger alors qui sont celles qui le sont le plus qu'en les comparant les unes aux autres. Mais cette comparaison est inutile quand on peut faire voir démonstrativement la fausseté d'une opinion que l'on combat, et je ne crois point me tromper quand j'ose espérer que toutes les personnes trouveront que je l'ai fait ici.

Je veux bien néanmoins éclaircir trois choses, qui sont les seules, ce me semble, qui pourront empêcher que l'on ne se rende si facilement à ce qui a été dit jusques ici contre cette nou velle philosophie des idées.

La première est un préjugé que je prévois qui pourra embarrasser plusieurs personnes. L'auteur de la Recherche de la Vérité s'est acquis une si grande réputation dans le monde, et avec raison (car il y a dans ce livre un grand nombre de très-belles choses), qu'il y aura bien des gens qui auront de la peine à croire qu'un si grand esprit et si pénétrant, puisse être repris avec justice d'avoir avancé tant de choses si peu raisonnables; et c'est ce qui pourra leur faire avoir pour suspectes les preuves que j'en apporte.

Je pourrais me contenter d'opposer à ce préjugé l'infirmité commune de la nature humaine, qui fait que les plus grands hommes peuvent quelquefois tomber en de fort grandes erreurs; car cela suffit pour nous empêcher de mettre jamais en balance l'autorité d'un homme purement homme contre l'évidence de la vérité. Qu'on examine donc avec tout le soin possible si je ne me suis point trompé en prenant de simples vraisemblances pour des démonstrations; mais qu'on l'examine indépendamment de l'estime que l'on fait, et que je fais aussi, de l'auteur que je réfute, puisque cela ne peut rien contribuer à la faiblesse ou à la force de mes preuves.

J'ajouterai seulement qu'il n'y a pas un si grand sujet de s'étonner que l'on pourrait croire, que j'aie pu trouver tant de choses qui paraissent peu raisonnables dans sa philosophie des idées; car sa plus grande faute en cela est d'voir supposé pour incontestable un principe qui ne lui est pas particulier, mais qu'il a pris de la philosophie commune. C'est ce qui l'a entraîné, par une suite presque inévitable, dans tous les paradoxes qu'il en a tirés, par des conséquences assez justes, et qu'il a embrassés avec d'autant moins de précaution qu'ils lui ont paru établir d'une manière admirable la dépendance qu'ont nos esprits de Dieu, et leur union avec la raison souveraine, qui est le Verbe divin; de sorte qu'on peut dire de lui en cette rencontre, ce que dit saint Ambroise de la mère des enfants de Zébédée : Et si error est, pietatis tamen error est.

Ce principe est que notre âme ne saurait voir que ce qui lui est intimement uni. Il a regardé cela comme incontestable, et il ne s'est jamais mis en peine de le prouver, parce qu'il n'a pas cru qu'on en pût douter. Or, dès qu'un principe nous a paru clair et évident, ce nous est une espèce de nécessité d'en admettre toutes les suites, et nous ne pouvons les regarder comme fausses tant que nous les considérerons comme ayant une liaison nécessaire avec ce principe. Il ne faut donc pas s'étonner si, s'étant laissé prévenir de cette maxime commune que rien n'est en état de pouvoir être vu par notre âme que ce qui lui est présent, c'est-à-dire intimement uni, il a conclu de là tout ce qui suit:

Donc, les choses matérielles ne pouvant être unies intimement à notre âme, n'en peuvent être apercues par elles→→ mêmes.

Donc, le soleil, par exemple, n'est point visible et intelligible par lui-même.

Donc, notre esprit a besoin, pour voir le soleil, d'un être représentatif du soleil qui soit intimemnt uni à notre âme, ce qui s'appelle autrement le soleil intelligible.

Donc, quand nous regardons le soleil, c'est-à-dire que nous tournons nos yeux vers lui, c'est le soleil matériel que nous regardons, mais celui que nous voyons est le soleil intelligible.

Donc, il faut chercher d'où nous pourrons avoir, et comment, cet être représentatif du soleil, qui doit être intimement uni à notre àme. Or, de toutes les manières dont on peut s'imaginer que cela se fait, il n'y en a point où se trouve moins de difficulté, et qui soit plus vraisemblable que de dire que cet être représentatif est Dieu même, étant aisé de concevoir que l'esprit peut voir ce qu'il y a dans Dieu, qui représente les étres créés, puisque cela est très-spirituel, très-intelligible et très-présent à l'esprit.

Donc, rien n'est plus conforme à la raison que de penser que nous voyons toutes choses en Dieu.

Mais, en voulant expliquer comment cela se faisait, il s'est trouvé plus embarrassé qu'il n'avait cru. Car, ayant d'abord prétendu que nous voyons chaque chose dans l'idée particulière qu'elle a en Dieu, le soleil matériel dans le soleil intelligible, il s'est trouvé empêché de rendre raison pourquoi donc le soleil, étant toujours de même grandeur, selon cette idée particulière de Dieu, nous le voyons plus grand quand il est à l'horizon que quand il est au midi, et il s'est trouvé réduit à dire que nous voyons toutes choses dans une étendue intelligible infinie, dont toutes les parties étant de mème nature, chacune était propre à devenir à notre égard le soleil intelligible.

Il n'y a que ce dernier qui soit fort étrange; mais pour tout le reste, on n'a pas lieu de se tant étonner qu'il l'ait regardé comme vrai, puisqu'un esprit si vif et si pénétrant ne pouvait guère aller moins loin, en suivant le chemin que lui faisait faire ce qu'il a pris pour un principe indubitable, sur lequel on devait juger de ce que notre esprit pouvait voir ou de ce qu'il ne pouvait pas voir, tant est vrai ce que dit M. Descartes dans sa Méthode : « Que c'est vérita<< blement donner des batailles que de tâcher à vaincre tou«tes les difficultés et les erreurs qui nous empêchent de « parvenir à la connaissance de la vérité, mais que c'est en «< perdre une que de recevoir quelque fausse opinion tou«< chant une matière un peu générale et importante, » parce qu'il n'est pas presque possible que cela ne nous conduise dans de grands égarements.

Il semble donc aussi qu'on fait le même plaisir à un homme à qui ce malheur est arrivé, en lui découvrant la fausseté du principe qui l'aurait engagé en beaucoup d'erreurs, que l'on ferait à un voyageur égaré en le remettant dans le bon chemin, qu'il n'aurait abandonné qu'en suivant les pas de beaucoup de gens qui s'y seraient trompés avant lui.

C'est pourquoi j'ai lieu d'espérer que notre ami me saura

bon gré de lui avoir voulu rendre ce service, quand mème je n'y aurais pas réussi. Mais s'il se trouve dans l'impuissance de répondre à ce que je crois avoir démontré, je prie Dieu de tout mon cœur qu'il lui fasse la grâce de donner à notre siècle un exemple d'humilité, qui devrait être bien commun parmi les chrétiens, et qui l'est si peu, en reconnaissant de bonne foi que, pour avoir embrassé trop facilement un faux principe, il s'est engagé mal à propos en des erreurs insoutenables, touchant la nature des idées, et qu'il n'a point dû proposer avec tant de confiance cette nouvelle opinion: « Que nous voyons toutes choses en Dieu, » puisqu'il voit bien maintenant qu'elle n'a rien de solide.

CHAPITRE XIX.

Du deuxième préjugé, qui est que cette nouvelle philosophie des idées fait mieux voir qu'aucune autre combien les esprits sont dépendants de Dieu, et combien ils lui doivent être unis.

Une des raisons que cet auteur fait le plus valoir, pour confirmer cette mystérieuse pensée que c'est en Dieu que nous voyons toutes choses, est que « ce sentiment lui a paru <«< si conforme à la religion, qu'il s'est cru indispensable<«<ment obligé de l'expliquer et de le soutenir autant qu'il <«<lui serait possible. » Ce sont ses propres termes dans un éclaircissement sur ce sujet, qui a pour titre : Éclaircissement sur la nature des idées, dans lequel il explique comment on voit en Dieu toutes choses, les vérités et les lois éternelles. Et il témoigne son zèle pour cette opinion avec encore plus de force dans les paroles suivantes : « J'aime mieux qu'on << m'appelle visionnaire, qu'on me traite d'illuminé, et qu'on <«<dise de moi tous ces bons mots que l'imagination, qui est <«< toujours railleuse dans les petits esprits, a coutume d'op<«< poser à des raisons qu'elle ne comprend pas, ou dont

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