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claire d'un objet, qu'autant que nous pouvons connaître clairement, en consultant cette idée, les modifications dont il est capable. C'est son principe, quoique je n'en convienne pas.

Et par conséquent, si la connaissance claire ou obscure que nous avons de ce qui regarde nos sensations, peut être apportée pour une preuve de la clarté ou de l'obscurité des idées de notre âme et de l'étendue, elle ne pourra servir qu'à nous faire conclure, contre les prétentions de cet auteur, que l'idée que nous avons de notre âme est plus claire que celle que nous avons de l'étendue.

NEUVIÈME RAISON1. « Comme on a une idée claire de l'or<< dre, si l'on avait aussi une idée claire de l'âme par le sen«<timent intérieur qu'on a de soi-même, on connaitrait avec << évidence si elle serait conforme à l'ordre; on saurait bien << si l'on est juste ou non; on pourrait même connaître exac<< tement toutes ses dispositions intérieures au bien et au mal, <«<lorsqu'on en aurait le sentiment. Mais si l'on pouvait se <«< connaître tel qu'on est, on ne serait pas si sujet à la pré<< somption. >>

RÉP. Tout cela n'est fondé que sur la fausse définition d'une idée claire, dont j'ai déjà parlé dans la réponse à la première raison; car j'avoue que s'il n'y avait point d'idée claire que celle qui nous donnerait le moyen de connaître si parfaitement un objet que nous ne pourrions rien ignorer, non-seulement de ses principales propriétés, mais généralement de toutes ses modifications: j'avoue, dis-je, qu'en prenant en ce sens le mot d'idée claire, nous n'avons point d'idée claire de notre âme. Mais je soutiens aussi que nous n'en avons d'aucune chose, et surtout que cet auteur n'a point dû supposer que nous en avons de l'ordre et de l'étendue, en niant que nous en ayons de notre âme.

Car, pour commencer par celle de l'ordre, il faudrait, pour en avoir une idée claire, selon la définition qu'il en donne,

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que nous sussions tout ce qui est conforme à l'ordre. Et comme les idées claires sont, selon lui, communes à tous les hommes, il faudrait qu'il n'y eût point d'homme qui ne connût ce qui est conforme ou ce qui n'est pas conforme à l'ordre. Or, si cela était, d'où vient donc que les païens, et ceux mêmes qui étaient les plus éclairés d'entre eux, ont eu tant de fausses règles de morale? D'où vient que parmi les chrétiens mêmes il y a tant de gens qui se persuadent ne faire rien contre l'ordre, lorsqu'ils le violent en mille choses? Il faut donc nécessairement, ou que nous n'ayons pas une idée claire de l'ordre, ou que nous en puissions avoir une, quoique nous ne sachions pas tout ce qui est conforme à l'ordre. Et par conséquent je pourrai avoir une idée claire de mon âme, quoique je ne la connaisse pas d'une manière si parfaite, que tout ce qui est en elle me soit toujours évident. Mais ce qui est bien étrange, est qu'il paraît que cet auteur a supposé que l'idée claire que nous avons de l'ordre nous donnait moyen de connaître avec évidence ce qui est conforme à l'ordre autrement il n'aurait pu conclure, « que «< comme on a une idée claire de l'ordre, si nous avions <«< aussi une idée claire de notre âme, on connaîtrait avec « évidence si elle est conforme à l'ordre. » Car, si je me puis tromper en croyant conforme à l'ordre ce qui n'y serait pas conforme, je pourrais connaître parfaitement l'état de mon âme, sans que je connusse pour cela avec évidence si cela était conforme à l'ordre. C'est ce qu'on comprendra mieux par un exemple. Quand saint Paul persécutait les chrétiens, il n'ignorait pas quel était sur cela l'état de son âme; car il connaissait fort bien le dessein qu'il avait d'exterminer la religion que les disciples de Jésus de Nazareth voulaient établir. Il n'y avait donc rien, au regard de la connaissance de son âme, qui le pût empêcher de connaître avec évidence si elle était ou si elle n'était pas conforme à l'ordre. Et cependant il ne le savait point, et il se trompait certainement en la croyant conforme à l'ordre. Son erreur venait donc, non

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de ne pas bien connaître son âme, mais de ne pas bien connaître ce qui est conforme à l'ordre. Et par conséquent on aurait autant de droit de conclure de là que nous n'avons pas une idée claire de l'ordre, que d'en conclure que nous n'avons pas une idée claire de notre âme.

Il en est de même de l'idée de l'étendue. Il y a une infinité de choses que nous n'aurions jamais su si elles convenaient ou non à l'étendue, si nous ne l'avions appris par expérience. Qui se serait jamais imaginé tous les effets de la poudre à canon, si on ne les avait appris par hasard? C'est encore le hasard qui a fait juger que les effets qu'on attribuait à la fuite du vide doivent être attribués à la pesanteur de l'air. Il y a très-peu de gens qui puissent croire que tout ce que font les autres animaux se fasse sans connaissance, par les seules modifications de l'étendue. Mais si des hommes étaient nés dans une île déserte, où il n'y aurait aucun animal, il est encore plus certain qu'ils ne trouveraient jamais dans l'idée de l'étendue qu'il pût y avoir de telles machines. Il en est presque de même des plantes. Si nous n'en avions jamais vu, la clarté de l'idée de l'étendue ne suffirait pas pour nous en faire avoir la moindre pensée. Cependant l'auteur de la Recherche de la Vérité ne laisse pas de croire que nous avons une idée très-claire de l'étendue. Pourquoi veut-il donc que ce soit une preuve que nous n'avons pas d'idée claire de notre âme, de ce que nous avons souvent besoin d'expérience pour connaître quelles sont ses dispositions intérieures touchant la vertu, ou quelles sont ses forces pour demeurer ferme dans son devoir ?

DIXIÈME RAISON. « Il est nécessaire de faire de grands rai<«< sonnements pour s'empêcher de confondre l'âme avec le <«< corps. Mais si l'on avait une idée claire de l'âme, comme <«<l'on en a du corps, certainement on ne serait point obligé << de prendre tous ces détours pour la distinguer de lui: cela « se découvrirait d'une simple vue, et avec autant de faci<< lité que l'on reconnaît que le carré n'est pas le cercle. »

RÉP. Cet endroit et beaucoup d'autres semblables font voir que cet auteur croit qu'on ne connaît point par une idée claire ce qu'on ne découvre point d'une simple vue; mais qu'on ne saurait savoir que par raisonnement. Je trouve une semblable pensée dans les troisièmes objections faites à M. Descartes par un Anglais nommé Hobbes; car ce philosophe prétendait aussi que nous n'avions point d'idée de ce que nous ne connaissions que par un raisonnement. Dans la troisième objection sur la troisième Méditation: « J'ai déjà, dit-il, souvent remarqué, << que nous n'avons aucune idée ni de Dieu ni de l'âme. << J'ajoute ici que nous n'en avons point aussi de la substance; <«< car nous ne la connaissons que par le raisonnement : et << ainsi nous ne la concevons point, et n'en avons point « d'idée. » A quoi M. Descartes répond en deux mots : « J'ai <«< aussi souvent remarqué que j'appelle idée la perception que <<< nous avons de tout ce que nous connaissons par raisonne«<ment, aussi bien que de tout ce que nous connaissons d'une << autre manière. >>

Et il en est de même d'une idée claire. On doit appeler idée claire la perception de tout ce que nous connaissons clairement par des raisonnements, quelque longs qu'ils puissent être, pourvu qu'ils soient démonstratifs, aussi bien que de tout ce que nous connaissons clairement d'une autre manière.

Et il faut bien que cet auteur en demeure d'accord, puisqu'il veut que nous reconnaissions par des idées claires toutes les propriétés de l'étendue; car niera-t-il qu'il y en ait une infinité qui ne s'aperçoivent point d'une simple vue, mais qu'on n'a pu découvrir que par de longs raisonnements? Est-ce que Pythagore n'a eu qu'à consulter l'idée du triangle rectangle et du carré, pour découvrir d'une simple vue que le carré de la base devait être égal aux carrés des deux côtés? Est-ce qu'Archimède n'a eu qu'à consulter l'idée de la sphère pour découvrir d'une simple vue que l'étendue de sa surface devait être quadruple de l'aire de l'un de ses grands cercles? Toutes les propriétés des sections coniques se décou

vrent-elles aussi d'une simple vue? Or, il s'est déclaré trop hautement le protecteur de l'idée claire de l'étendue, pour ne pas vouloir que tout cela se voie par des idées claires. Il a donc deux poids et deux mesures, lorsque, pour avoir plus de moyens de soutenir que nous n'avons point d'idée claire de notre âme, il s'avise de prétendre qu'on ne voit par une idée claire que ce que l'on découvre d'une simple vue, sans avoir besoin de raisonnement.

CHAPITRE XXIV.

Conclusions des raisons de cet auteur contre la clarté de l'idée de l'âme. D'où vient qu'il ne l'a pu trouver dans lui-même.

Je crois n'avoir omis aucune des raisons de cet auteur contre la clarté de l'idée de l'âme. Je ne sais s'il sera satisfait de ce que j'ai dit pour montrer qu'elles n'ont rien de solide; car il paraît, par la manière dont il les conclut, qu'il n'a point douté que tout le monde n'en dût être entièrement convaincu.

« Je ne m'arrête pas, dit-il, à prouver plus au long que << l'on ne connaît point l'âme ni ses modifications par des <«< idées claires. De quelque côté qu'on se considère soi<«< même, on le reconnaît suffisamment et je n'ajoute ceci à <«< ce que j'en avais déjà dit dans la Recherche de la Vérité, que « parce que quelques cartésiens y avaient trouvé à redire. Si «< cela ne les satisfait pas, j'attendrai qu'ils me fassent recon<< naître cette idée claire que je n'ai pu trouver en moi, quel<< que effort que j'aie fait pour la découvrir. »>

Il n'est pas surprenant qu'après avoir attaché la notion d'une idée claire à tant de conditions, comme nous avons vu dans tout l'article précédent, il n'ait pu trouver en lui-même une idée claire de l'âme qu'il voulait qui fût conforme à la définition qu'il en avait donnée. C'est par la même raison que

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